Les Amish ont-ils quelque chose à nous apprendre ?

 Dans Christ Seul, Explorer

dans le monde chretien_flickr- Deirdre HayesDeux livres récents parlent des amish, de leurs origines à la tragédie de Nickel Mines. Gros plan sur un groupe qui cherche à passer inaperçu…

Dans les familles amish, on joue volontiers au Dutch Blitz, un jeu de cartes qui demande gestes rapides et capacité à regarder à plusieurs endroits en même temps ! Ce jeu prisé des amish exprime l’un des paradoxes de ce groupe : alors que ses membres mènent de paisibles vies au rythme lent de leurs drôles de carrioles tirées par des chevaux, les amish se défoulent (?) autour d’un jeu qui provoque souvent beaucoup d’excitation !
Deux livres très différents, dans leur forme et par leur contenu, parus en 2013 et 2014, aident à mieux connaître et à mieux comprendre les amish.

Emigrations

Le premier, intitulé « Les Frères amish », de la plume de Marie Kuhlmann, ancienne journaliste pour la presse féminine et auteur de plusieurs romans situés en Alsace, raconte les débuts du mouvement amish à Markirch ou Sainte-Marie-aux-Mines en Alsace. Auparavant, un tiers du livre se passe en Suisse dans le canton de Berne. Sous la forme d’un roman historique, on suit essentiellement un couple – Elias et Frena Greiber – qui se forme, opte pour émigrer vers l’Alsace afin d’y chercher une vie meilleure, puis participe à l’émergence de la réforme mise en place par Jacob Amann parmi les anabaptistes installés en Alsace. Le roman s’achève par la seconde émigration du couple, cette fois vers l’Amérique du nord.

Durcissement

L’histoire se situe entre 1670 et 1712, « dans cette période marquée par un exode important de Suisses bernois persécutés dans leur pays d’origine et dont l’implantation en Alsace a conduit à l’émergence du mouvement amish » (Robert Baecher, Souvenance anabaptiste n° 33, 2014, p.41 ). L’histoire se lit bien, même si des ruptures dans la narration surprennent parfois le lecteur. La forme romanesque permet une identification avec les personnages : avec le mari du couple quelque peu secret même si déterminé, ou avec la femme soumise mais au caractère bien trempé néanmoins. On comprend de l’intérieur la réforme voulue par Jacob Amann, basée sur la confession de Dordrecht (adoptée à Ohnenheim en 1660 par les anabaptistes alsaciens), mais interprétée de manière plus stricte, et les conséquences de ce durcissement en terme de séparations avec leurs complexités (le couple traverse des dilemmes familiaux et relationnels, lorsque le fils est amoureux de la fille de réformés par exemple).

Tragédie

Le second livre, « Quand le pardon transcende la tragédie », traduit de l’anglais, traite du pardon accordé par les amish après la tuerie dans l’école amish de Nickel Mines en Pennsylvanie le 2 octobre 2006. Ce jour-là, un voisin tire sur dix fillettes âgées de 6 à 13 ans ; 5 meurent et les 5 autres sont très grièvement blessées, alors que le meurtrier se donne la mort. Les trois auteurs du livre, professeurs d’histoire et spécialistes des amish, racontent en détail l’horreur de la tragédie et le pardon accordé par les amish le même soir, puis les jours suivants, pardon en gestes et en paroles envers le tueur, sa veuve et ses enfants… Le jour de l’enterrement du meurtrier, plus de la moitié des personnes présentes sont amish. La tragédie ayant suscité un élan de compassion dans le monde entier, le comité de gestion des fonds reçus octroie un soutien financier à la famille du meurtrier.

Pardon collectif immédiat

Dans les jours qui suivent, ce pardon collectif des amish suscite admiration ou questionnements critiques relayés par les médias. Certains voient dans la réaction des amish un « modèle de ce qu’aurait dû faire le président Bush après le 11 septembre » (p. 81). D’autres se demandent si un pardon si rapide est sincère, s’il est juste de pardonner à un bourreau et de pardonner pour des actes commis envers d’autres personnes que soi.

Source du pardon

Le livre creuse ces aspects de manière passionnante, en présentant la spiritualité et la culture amish, au sein desquelles la pratique du pardon est profondément inscrite – au quotidien et dès le plus jeune âge. La prière quotidienne, et à plusieurs reprises au cours d’une journée, du Notre Père et sa demande pour le pardon de Dieu comme l’on pardonne à ceux qui nous ont offensés, les histoires des martyrs anabaptistes, la notion de Gelassenheit (abandon à Dieu et aux autres, par soumission) qui irrigue toute la vie amish apportent des clés de compréhension.Puisque le pardon fait partie de leur ADN, les amish ont pratiqué un « pardon décisionnel », exprimant leur refus de la vengeance. Le « pardon émotionnel » a certainement pris plus de temps, certains amish ayant admis des sentiments de colère, contenue et redirigée vers la réalité du mal plutôt que vers le meurtrier ou ses proches.

Questions

Les auteurs, qui ont enquêté auprès de 30 amish, abordent le paradoxe du pardon généreux accordé au meurtrier face à la pratique rigoureuse et peu compatissante de l’évitement envers les ex-membres des communautés amish. Ils indiquent comment les amish s’interrogent, un peu mais pas trop, sur la providence et la volonté de Dieu dans cette tragédie ; en effet, ils préfèrent reconnaître le mystère de Dieu, et s’attachent plutôt à l’idée vérifiée dans les faits que de la tragédie, Dieu peut faire jaillir du bien.

Le pardon crée du neuf

Vers la fin du livre, j’ai été particulièrement touché par l’interview de la mère du meurtrier, qui raconte le pardon reçu et ses propres démarches envers les amish : elle invite les fillettes survivantes et leurs familles pour un thé une fois par année chez elle, et se rend une fois par semaine auprès de la fillette restée gravement handicapée…
Le pardon accordé par les amish a fait le tour du monde. Il vaut la peine d’en comprendre les ressorts profonds, liés à l’ensemble de leur spiritualité et de leur mode de vie – et de s’en inspirer. Mais le pardon amish n’est pas une recette à suivre. Il est un miracle né d’un « travail » communautaire et personnel. Les amish ont exprimé en actes ce qu’Hannah Arendt écrivait, à savoir que le pardon est « la rédemption possible de la situation d’irréversibilité ». Autrement dit, seul le pardon accordé crée du neuf. Les amish ont beaucoup à nous apprendre…

 

Pour aller plus loin…

– Marie Kuhlmann, Les Frères amish, Presses de la cité, collection Terres de France, 2013, 399 pages.

– Donald B. Kraybill, Steven M. Nolt, David L. Weaver-Zercher, Quand le pardon transcende la tragédie – Les amish et la grâce, Excelsis, collection Perspectives anabaptistes, Charols, 2014, 293 pages

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