Mondialisations
La liberté est un bien précieux, mais si elle n’est plus qu’une imitation mutuelle de comportements, mérite-t-elle encore ce nom qui fait rêver ?
Qu’on ne s’y trompe pas, cette photo n’a pas été prise à New-York, mais à Tokyo. Ceux qui connaissent la vue d’origine, aux Etats-Unis, auront tout de suite perçu que quelque chose ne collait pas. Mais la similitude entre les deux scènes m’interroge quand même.
Mon propos n’est pas d’ironiser sur le goût des Japonais pour le kitsch et l’imitation. Ils s’y livrent, il est vrai, sans retenue. Dans le quartier récent où cette photo a été prise, on trouve de fausses rues européennes, dans des centres commerciaux, avec de faux ciels dont l’éclairage évolue au fil de la journée, autour de places intérieures meublées de fausses fontaines antiques. Non loin, une simili-route trône dans la surface immense construite par un vendeur de voitures qui a, juste à côté, reproduit de faux vieux garages européens ou américains. Mais si l’on parle des copies de la statue de la liberté, il faut commencer par balayer devant notre porte, et considérer qu’il existe, en France, une bonne vingtaine d’imitations, disséminées un peu partout sur le territoire, dont une, paraît-il, à Colmar. Ici, le cadre ressemble beaucoup au cadre d’origine : une baie et des alignements de gratte-ciel.
On effectue régulièrement des comptages sur le nombre d’Etats démocratiques dans le monde, à partir de critères formels et sans se laisser impressionner par les Etats qui se disent démocratiques sans l’être. Suivant ces critères, la fin de la guerre froide a fait rapidement progresser le nombre de démocraties (d’une vingtaine en 1946 à près de 100 aujourd’hui). Il existe encore bon nombre de régimes autoritaires. [c][b]CONFORMISMES[/c][/b]Mais dans les pays ayant accédé à la démocratie, les réflexions sur la liberté ont pris un autre tour. Que penser d’une liberté qui nous conduit à nous imiter les uns les autres avec une telle insistance ? C’est certainement intéressant de pouvoir tirer parti des inventions et des richesses culturelles des autres nations. Mais il y a autre chose dans cette course à l’imitation : il y a une sorte d’angoisse qui nous fait croire que tant que nous n’aurons pas les mêmes produits, les mêmes possibilités, la même offre de services que les autres, il nous manquera quelque chose de décisif.
Dans la zone où j’ai pris le cliché, des centres commerciaux moitié parcs d’attraction, moitié temples de la consommation s’étalent complaisamment. Ils sont parcourus par des familles qui ressemblent beaucoup aux familles que l’on croise, tout près de chez moi, à Disneyland Paris, dans un parc d’attraction qui ressemble, de son côté, énormément à un centre commercial ! Que cherchent ces familles ? Sont-elles libres dans leur poursuite effrénée de l’expérience qu’il faut avoir faite ? [c][b]COURSE A L’IMITATION[/c][/b]Comment ne pas penser aux paroles de Jésus : « Ne cherchez pas ce que vous mangerez ni ce que vous boirez, et ne vous tourmentez pas. Tout cela, les païens de ce monde le recherchent sans répit » (Lc 12.29-30) ? J’aime ce : « ne vous tourmentez pas ». C’est une forme de tourment que je perçois, en effet, dans cette course sans fin à l’imitation de ce que les autres font et à l’acquisition de ce qu’ils possèdent. La liberté n’est certes pas au bout d’un tel tourment.
Dans un autre endroit de Tokyo, j’ai eu la surprise de découvrir, sur le fronton d’une bibliothèque, un verset de l’évangile de Jean : « La vérité vous rendra libres ». Bon, ce n’est pas forcément dans une bibliothèque que l’on trouve la vérité ! Mais l’écoute de la voix de Dieu nécessite pour le moins, un peu de recul, de recueillement et de réflexion, à distance de la course à l’imitation qui ronge notre société mondialisée.