FAUT-IL CROIRE AU DIABLE ET AUX DEMONS ?
Dans le paysage des Eglises évangéliques, la conception et la place du « combat spirituel » diffèrent. éléments de réflexion et recentrage.
Sur cette question, un regard rapide sur le monde chrétien exhorte à l’équilibre. Il y a d’un côté ceux qui donnent trop d’importance au diable et aux démons, de l’autre ceux qui les négligent.
Dans l’Histoire, les chrétiens ont aussi changé de point de vue : la conscience de l’œuvre du diable était très présente dans la première église (à cause des persécutions), mais a aussi été utilisée comme instrument de contrôle du peuple par la hiérarchie au Moyen-âge. Plus récemment, le mouvement charismatique dit de la troisième vague a remis en valeur le thème du combat spirituel avec certains excès.
Dans un ouvrage non (encore ?) traduit en français intitulé Demons, Lies & Shadows [Démons, mensonges et ombres], le théologien mennonite canadien Pierre Gilbert plaide pour un retour « au texte et à la raison ». Il relève que les récits bibliques, pourtant incarnés dans leur culture, ne reprennent pas tels quels les catégories et les discours de la société ambiante ; par rapport aux récits des religions environnantes, la sobriété de l’Ancien Testament tranche. Par rapport aux apocalypses qui ont fleuri dans les siècles précédant et suivant Jésus-Christ, la sobriété des allusions au diable et aux démons dans le Nouveau Testament tranche encore plus.
Vision du monde en jeu
Ce décalage n’est pas, selon l’auteur, anecdotique : c’est la vision du monde qui diffère. On sait que la religion de Mani (terme qui a donné manichéisme) en Iran, quelques siècles avant Jésus-Christ, a beaucoup influencé le monde gréco-romain. Elle mettait en scène un combat à dimension cosmique entre les forces du mal et du bien. Le point de vue biblique est autre : il ne parle du mal et de son auteur qu’en creux, comme un pouvoir de corruption de l’œuvre du Créateur. Ni le diable en effet, ni les démons, n’ont aucun pouvoir propre, sinon celui d’accuser le croyant, de le tromper en se transformant en ange de lumière (2 Co 11.14).
« Star Wars » et tactique du diable
N’y a-t-il pas, aujourd’hui comme aux temps bibliques, une influence à dénoncer, un nouveau manichéisme ? Cette guerre cosmique opposant forces du Mal et du Bien est mise en scène au cinéma par des films comme Star Wars et toutes sortes d’apocalypses où le spectateur joue à se faire peur : le monde serait le théâtre d’une guerre cosmique où le Mal et le Bien s’affrontent.
Dans son célèbre ouvrage traduit en français sous le titre « Tactique du diable », C.S. Lewis est à mon sens plus proche du donné biblique. Il met en scène le maximum de ce qui peut être dit sur l’œuvre du diable : ce dernier enseigne à son apprenti sa tactique en sept points : l’intox (où il essaye de nous faire croire qu’il n’existe pas), le camouflage (par lequel il se déguise en ange de lumière), l’anesthésie (par laquelle il endort notre conscience), la propagande (la diffusion des fausses nouvelles), les complices qu’il trouve dans nos passions. De plus, le diable dispose, selon C.S. Lewis, d’une arme secrète, de mines anti-personnel : l’arme insidieuse du découragement. Enfin, sa stratégie varie et s’adapte à chacun.
Trop de pouvoir au diable
On voit maintenant ce que la question du début a de faux : ce n’est pas une question de croire ou pas au diable ou aux démons. Seul Dieu est digne d’être cru, seul Dieu est digne de ma foi, de ma confiance. Le diable et les forces du mal ne les méritent pas. Les adeptes de la guerre spirituelle donnent au diable un pouvoir propre qu’il n’a pas ; il réussit à leur faire croire qu’il règne sur un domaine sans partage, alors que tout ce qu’il peut faire est de singer, de tordre, de perturber la création bonne de Dieu. Or, si le diable semble parfois gagner un combat, il perdra assurément la guerre. C’est ce que nous affirmons en chantant un hymne à la résurrection devant une tombe ouverte. Nous n’oublions pas que chaque parcelle de pouvoir lui est concédée par le Seigneur de l’univers (comme le montre Job 1).
Combat spirituel centré sur le christ
Quelle place alors faire au combat spirituel ? Paul l’apôtre voit dans son empêchement à rejoindre les Thessaloniciens l’oeuvre de Satan (1 Th 2.17-18). Pourtant, cela ne l’empêche pas d’envoyer Timothée. Au quotidien, attention à ce que l’évocation du diable ne nous exonère pas de notre responsabilité. Il y a certes combat, mais ce combat se déroule autant dans le cœur de chaque chrétien qu’à l’extérieur, dans le monde. D’où les appels répétés à la vigilance et à la résistance dans les circonstances difficiles (persécutions). Attention également aux systèmes de pensée qui se glissent chez les chrétiens et remettent en cause le Christ et le salut, entraînant ensuite des errements éthiques (comme dans les églises selon Ap 2-3 où l’on évoque les dérives immorales des Nicolaïtes et indirectement les dérives de la gnose, connaissance pour initiés).
Oui, il y a combat spirituel, mais Dieu n’est pas un combattant comme un autre. Il n’a pas de véritable rival et l’issue du combat ne fait pas de doute, il a gagné la guerre d’avance ; c’est le voile que lève l’Apocalypse de Jean. C’est pourquoi il n’y a plus de suspense dans ce combat et les gens friands de spectacle resteront sur leur faim : attention pour nous aujourd’hui à ne pas donner du crédit au Malin en évoquant ses œuvres.
Combat spirituel et liberté responsable
Enfin, sachons nous méfier de nos préjugés. Un ami me montrait récemment une liste de pratiques censées être « démoniaques ». Dans cette liste à la Prévert, je n’ai pu m’empêcher de relever que ce qui les reliait était… notre méconnaissance des mécanismes d’action et leur origine exotique. Toute thérapeutique n’est pas diabolique ; toute religion méconnue n’est pas démoniaque. Dans ce domaine, la force est donnée par la confiance que j’y place, comme pour les viandes sacrifiées aux idoles.
Pas de meilleure conclusion que de rappeler les paroles de Jésus aux gens inquiets de l’issue de l’Histoire : « Prenez courage, car j’ai vaincu le monde. » (Jn 16.33). Exhortons-nous et entretenons en nous la tranquille assurance de Paul : « Ni la mort ni la vie, ni les dominations ni les puissances […] ne nous sépareront de l’amour de Christ. » (Rm 8.37-38).
[titre]Pour aller plus loin….[/titre]Pierre Gilbert, « Demons, Lies & Shadows – A Plea for a Return to Text and Reason », Winnipeg, Kindred Productions, 2008, 177 pages
C.S. Lewis, « Tactique du diable – Lettres d’un vétéran de la tentation à un novice », Paris, Empreinte temps présent, 2010,138 pages