ARTICLE 22 – PAIX, JUSTICE ET NON-RÉSISTANCE
Nous croyons que Dieu est le Dieu de la paix et qu’il veut la paix dès l’origine du monde qu’il créa. Cette paix est pleinement révélée en Jésus - Christ. C’est lui notre paix et celle du monde entier. Nous comptons sur le Saint - Esprit pour suivre le Christ sur le chemin de la paix, pour exercer la justice, pour apporter la réconciliation et pour pratiquer la non - résistance, même en temps de trouble et de guerre.
Bien que Dieu ait créé un monde en paix, l’humanité a choisi la voie de l’injustice et de la violence1. L’esprit de vengeance s’est intensifié, et la violence s’est multipliée. Cependant, la vision originelle de paix et de justice n’a pas disparu2. Prophètes et autres messagers de Dieu ont constamment encouragé Israël à faire confiance à Dieu plutôt qu’aux armes et à la force militaire3.
La paix que Dieu destine à l’humanité et à la création fut pleinement révélée en Jésus - Christ, et annoncée par un chant joyeux lors de sa naissance4. Jésus enseigna l’amour de l’ennemi ; il pardonna aux malfaiteurs et souligna la nécessité de relations humaines justes5. Menacé, il choisit de ne pas résister, mais donna librement sa vie6. Par sa mort et sa résurrection, il brisa la domination de la mort et nous donna la paix avec Dieu7. Ainsi, il nous a réconciliés avec Dieu et nous a confié le ministère de la réconciliation8.
En tant que disciples de Jésus, nous sommes appelés à prendre part à son ministère de paix et de justice. Il nous promet la bénédiction si nous sommes artisans de paix et recherchons la justice. Nous agissons dans un esprit de douceur, acceptant la persécution au nom de la justice9. En tant que disciples de Christ, nous ne nous préparons pas, ni ne participons à la guerre. Le même Esprit qui s’est saisi de Jésus s’empare aussi de nous afin que nous aimions nos ennemis, que nous pardonnions plutôt que de chercher à nous venger. Il nous incite à établir des relations humaines justes, à compter sur la communauté de foi pour régler les disputes et à résister au mal sans violence10.
Conduits par l’Esprit, et d’abord au sein de l’Église, nous témoignons à tout être humain que Dieu ne veut pas la violence. Nous en dénonçons toute forme, y compris la guerre parmi les nations, le racisme, son usage dans les conflits entre classes sociales, les violences faites notamment aux enfants, aux femmes et aux plus faibles, la violence entre hommes et femmes, l’avortement, l’euthanasie et la peine de mort. Nous encourageons les chrétiens et les instances politiques à construire des relations justes et fraternelles entre pays, ethnies, tribus, classes sociales, etc., pour prévenir les violences liées à l’injustice sous toutes ses formes : inégalités, ségrégations, pillages des ressources naturelles… En cas de conflit, nous invitons les autorités à utiliser tout moyen coercitif non - violent respectant la dignité et l’intégrité des personnes.
Notre ultime fidélité va au Dieu de grâce et de paix qui conduit l’Église jour après jour à vaincre le mal par le bien. Il nous rend capables d’exercer la justice et nous soutient dans l’espérance glorieuse du règne de paix établi par Dieu11.
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Enjeux
• L’article cherche à rendre compte de la complexité du témoignage biblique : il ne passe pas sous silence les guerres ordonnées par Dieu dans l’Ancien Testament, mais il met aussi en évidence l’importance de la paix dans l’Ancien Testament, avant de centrer notre regard sur le message et l’exemple de Jésus.
• L’article montre que la paix et la non - résistance sont inséparables de la vérité, de la justice et du refus de la violence. La paix n’est pas un rêve pour l’au - delà, mais un chemin sur lequel nous sommes invités à marcher en tant que disciples de Jésus.
• L’exigence de paix ne repose pas sur la vision optimiste d’un homme qui serait naturellement bon, comme l’affirment certains mouvements pacifistes ou humanistes. L’article souligne bien la réalité du péché dans le monde, et la nécessité de la rédemption en Jésus - Christ.
• Travailler à la paix et à la justice est le mandat des disciples de Jésus. En cas de conflit, Jésus nous ordonne de garder une attitude inclusive (l’amour des ennemis) et non exclusive (l’élimination de l’adversaire).
Les commentaires prennent acte de la diversité de compréhension de l’engagement pour la paix entre les chrétiens. Ils invitent à entrer dans la complexité des situations de façon ouverte et paisible.
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Commentaire
I- Dans la Bible, la paix (shalom dans l’Ancien Testament) a une dimension globale : elle concerne la relation avec Dieu, les relations humaines, les relations avec la création. Shalom recouvre les notions de guérison, réconciliation, bien - être, sécurité, harmonie. Cela implique la justice dans les relations, en faveur des pauvres et des opprimés (Dt 24,10 - 22 ; Mt 20,1 - 16 ; Jc 2,5).
Paix et justice sont au cœur du projet de Dieu pour la création. Jésus - Christ est venu libérer du péché pour rendre possible ce projet. Par sa mort et sa résurrection, il nous a réconciliés avec Dieu (Rm 5,10.18 - 21) et avec notre semblable (Ep 2,13 - 16). Suivant l’enseignement et l’exemple de Jésus, et par la force de l’Esprit, l’Église pose des signes, localement et sur le plan international, du projet divin de paix et de justice et elle en témoigne au monde.
Le concept de non - résistance exprime le refus de résister avec violence, mais non sans force, au méchant ou de chercher vengeance (Mt 5,39). Le chrétien est appelé à résister au mal, avec une attitude et des moyens qui sont en cohérence avec la paix et la justice (Ep 6,13 - 18). Notre exemple est Jésus qui supporta accusations et abus sans se venger. Mais à cause de l’exigence de la justice, il dénonça ceux qui font le mal (Mt 23,1 - 36 ; Jn 2,13 - 22). Il le fit de manière non - violente, nous montrant ainsi comment surmonter le mal par le bien (Rm 12,21 ; cf. 1 P 2,21 - 24).
II- Au sein des Églises chrétiennes, la non - résistance est perçue de diverses manières. Toutes sont d’accord pour dire que « tendre l’autre joue » ou « aimer ses ennemis » (Mt 5,38 - 48) vaut pour les relations de personne à personne au sein de l’Église (éthique interpersonnelle). Pour l’Église des premiers siècles, pour le mouvement anabaptiste non - violent et les Églises historiquement pacifistes, ces commandements de Jésus s’appliquent aussi aux chrétiens dans leur rôle de citoyens (éthique sociale). En effet, pourquoi limiter à l’Église, corps du Christ, le champ d’application des commandements du Christ, tête du corps ?
L’Église et les chrétiens ont donc une vocation spécifique dans le monde : œuvrer à la paix, à la justice, par des moyens non - violents à l’exemple de Jésus. Cette vocation, distincte de celle des nations et des autorités (voir article 23), peut conduire les chrétiens à renoncer à tel métier, à tel rôle social, à telle allégeance, pour obéir aux commandements de Dieu plutôt qu’aux hommes (Ac 5,29). Il ne s’agit ni de passivité, ni de démission, mais de chercher à vivre la vocation première de l’Église et des chrétiens. Que l’Église soit l’Église !
III- Cette vocation à la paix et à la justice par la non - violence concerne les chrétiens et l’Église d’abord ; elle s’adresse à tout homme ensuite, pour le bien (shalom) de la cité (Jr 29,7). Elle peut s’exprimer de plusieurs manières : éducation à la paix, gestion non - violente des conflits quotidiens, conciliation et médiation, actions et campagnes non - violentes (par ex. Martin Luther King ou les Christian Peacemaker Teams), objection de conscience au service militaire, choix du service civil ou de coopération, pétitions, soutien aux pauvres, amitiés entre les peuples… Dans l’histoire mennonite, cet engagement a conduit certains à l’exil plutôt qu’au service militaire, d’autres à choisir un service militaire non - armé.
IV- Il n’existe pas d’explication simple aux guerres de l’Ancien Testament. Un principe devrait guider l’interprétation (Ex 14,13 - 14) : ce que Dieu peut faire dans sa souveraineté (combattre, détruire, exterminer) n’est pas à appliquer tel quel par les membres du peuple de Dieu. Voilà pourquoi celui - ci est encouragé à la confiance en Dieu et non dans les armes. Ce principe (parfois atténué comme en Jos 6,8.16 et 1 S 17,12 - 58) traverse l’Ancien Testament qui s’oriente à maintes reprises vers la paix (Jg 7,2 ; Ps 37 ; Pr 12,20 ; Es 31 ; Os 2,20 ; Mi 4,3 - 4 ; Za 4,6). Il culmine en Jésus - Christ et dans le Royaume qu’il proclame et vit (Ac 10,36). L’enseignement, la vie et la mort de Jésus - Christ – révélation suprême de Dieu – témoigne de la non - violence approuvée par Dieu lors de la résurrection de Jésus - Christ. Le chemin de la fidélité, du renoncement et de la croix peut provoquer des réactions de violence (Mt 10,34 - 39). La guerre, loin d’être un combat épique par lequel le camp du bien vaincrait celui du mal (comme on nous le présente parfois), se caractérise par une violence souvent incontrôlable et des « dommages collatéraux » inévitables envers les populations civiles
V- Un chrétien peut - il être soldat ou policier ? Un soldat ou policier chrétien est invité à réfléchir à sa vocation première. Un tel engagement ne risque - t - il pas d’entrer en conflit avec cette vocation lors de situations extrêmes ?
Comment accueillir et accompagner dans l’Église des soldats ou des policiers chrétiens ou devenus chrétiens ? Le dialogue présentant la position non - violente doit être premier. Ce sujet doit pouvoir être débattu en Église, tout en donnant du temps à chacun pour avancer vers une position mûre prenant en compte l’enseignement de l’Évangile et des situations souvent complexes.
Notes
1- Gn 1 - 11
2- Es 2,2 - 4
3- Lv 26,6 ; Es 31,1 ; Os 2,18 - 20
4- Lc 2,14
5- Mt 6,14 - 15 ; Lc 16,19 - 31 (ou tout Mt 5 ; 7,1 - 5.12) ; Mt 25,31 - 46
6- Mt 26,52 - 53 ; 1 P 2,21 - 24
7- 1 Co 15,54 - 55 ; Rm 5,10 - 11 ; Ep 2,11 - 18
8- 2 Co 5,18 - 21
9- Mt 5,3 - 12
10- Mt 5,39 ; 1 Co 6,1 - 11; Rm 12,14 - 21
11- Es 11,1 - 9