Vivre avec des réfugiés
Le coreprésentant du Mennonite Central Committee (MCC) pour l’Europe de l’ouest s’exprime sur la question de l’accueil des réfugiés. MCC est un organisme engagé dans le développement, le travail humanitaire et la construction de la paix, « au nom du Christ ».
Pourquoi l’Europe, et particulièrement les chrétiens en Europe, devraient-ils accueillir des réfugiés maintenant, alors que chaque jour, il en arrive par milliers ? Lorsqu’on m’a demandé de répondre à cette question, ma première réaction a été de dire que je ne suis pas la bonne personne pour répondre : je suis Canadien et un visiteur sur ce continent. Un Européen serait mieux qualifié, car il s’agit d’un défi pour l’Europe.
Après avoir réfléchi, j’ai cependant accepté. Car si nous formulons la question de la manière suivante : « Quelle devrait être la réponse de la communauté anabaptiste en Europe aux milliers de personnes qui arrivent à la recherche d’un refuge, dans l’espoir d’une vie meilleure ? », en écrivant à notre famille anabaptiste, je m’adresse à mes frères et sœurs, à ma famille et je ne m’exprime pas comme visiteur.
Se protéger car menacés…
Lorsque nous sommes menacés, notre instinct nous pousse d’abord à nous protéger. Pour la plupart d’entre nous, c’est un défi très nouveau que de voir des milliers de personnes prendre le chemin de l’Europe à la recherche de la paix, de la sécurité, dans l’espoir d’un avenir meilleur pour leurs familles. Ils veulent ce que nous avons. Ils veulent fuir la destruction, le danger et le chaos qu’ils ont connus en Syrie. Ils viennent d’autres pays aussi, comme l’Erythrée, le Bangladesh et différents pays d’Afrique, souvent envoyés par leurs familles, pour trouver une place en Europe, pour y travailler et envoyer de l’argent chez eux. Ils risquent leur vie durant leur voyage sur mer et sur terre, pour atteindre un lieu sûr.
Notre crainte, c’est : comment cela va-t-il nous affecter ? Notre hésitation à répondre peut être liée à nos peurs. Comment cet afflux va-t-il mettre la pression sur les services sociaux auxquels nous tenons tant ? Nous avons actuellement un fort taux de chômage, et avec cette masse de gens qui arrivent, cela ne peut qu’empirer. Et notre sécurité ? Qui sont ces gens que nous laissons venir ? Seront-ils une menace pour notre sécurité et celle de nos familles ? Nos peurs sont-elles liées à l’inconnu ? Avons-nous peur de l’arrivée de plus de personnes venant d’autres ethnies, religions et cultures ?
Les mennonites ou une histoire de déplacements
Je viens du Canada et comme vous le savez, mon pays s’est construit surtout à partir d’immigrants, dont beaucoup sont arrivés au Canada comme réfugiés, à la recherche de la sécurité d’un foyer et en vue d’une vie meilleure – ce à quoi aspirent désespérément les réfugiés d’aujourd’hui en Europe. Ma propre famille, que l’on appelle des mennonites russes au Canada, avait mis en place une manière de vivre paisible et prospère dans les steppes
d’Ukraine. Lorsque tout cela est tombé en miettes avec la Première Guerre mondiale et la Révolution russe, nous avons fui au Canada, notre nouveau pays. Même si nous avons affronté bien des défis dans notre nouvelle patrie, nous y avons été accueillis. Comment pourrions-nous maintenant fermer nos frontières à d’autres qui sont à la recherche de ce que nous avons trouvé ? Comment, en bonne conscience, pourrais-je demander aux mennonites européens d’être prudents en accueillant des étrangers au milieu d’eux ?
Le point de vue biblique
Que dit la Bible à ce sujet ? Nous n’allons pas faire ici une étude exhaustive, mais nous savons que nos ancêtres spirituels étaient eux-mêmes des réfugiés économiques. Abraham, Isaac et Jacob ont quitté la Terre Promise à plusieurs reprises à la recherche de nourriture. Le livre de Ruth est l’histoire de migrants qui n’ont cessé de franchir les frontières à la recherche de nourriture. Ainsi, l’immigration pour des raisons économiques, de guerre ou de recherche d’asile n’est pas très éloignée de l’héritage personnel de chaque chrétien.
Dieu a demandé au peuple d’Israël d’aimer les immigrés parce que lui-même les aime. « Dieu défend le droit de l’orphelin et de la veuve, il aime l’immigré et lui donne du pain et un manteau. Vous aimerez l’immigré, car vous avez été des immigrés en Egypte. » (Dt 10.18-19)
Nous sommes appelés à être hospitaliers, ce qui signifie littéralement dans le Nouveau Testament « aimer l’inconnu » ou l’étranger (Rm 12.13 ; Hé 13.2 ; 1 P 4.9). Jésus demande à ses disciples d’accueillir des personnes sans statut social, tels que les pauvres, les malades et les étrangers. (Lc 14.12-14)
Une occasion de manifester notre foi
Je comprends que le travail d’accueil et d’assistance aux réfugiés et aux immigrés en Europe a été dans le passé en grande partie celui des gouvernements. La taille de la tâche et l’urgence avec laquelle cette assistance doit être donnée donnent aux Eglises une chance exceptionnelle de mettre en pratique leur témoignage de foi. J’ai entendu qu’il y a de nombreuses initiatives individuelles et de la part des Eglises pour agir en tant que parrains envers des familles de réfugiés, par l’hébergement, pour les formalités d’entrée à l’école, pour l’accès au soins, pour les rendez-vous dans les administrations publiques, l’apprentissage de la langue et la liste n’est pas close. Voilà le genre de travail qui se fait et peut être fait ici en Europe pour ceux qui arrivent.
Ce qui se fait déjà
Le Mennonite Central Committee (MCC) fait aussi face aux besoins des personnes proches des zones de conflit. MCC cherche à endiguer le flot des personnes vers le Nord, en prêtant assistance aux personnes déplacées en Syrie et aux réfugiés syriens et irakiens en Jordanie et au Liban. L’espoir est qu’un jour ces personnes puissent retourner chez elles : il est donc préférable que ces personnes puissent rester proches de leur pays.
Les mennonites européens travaillent en relation avec MCC pour organiser un envoi de fournitures. Trois conteneurs de fournitures ont été remplis et envoyés en Syrie. Des couvertures, des quilts piqués à la main, des baquets remplis de fournitures d’urgence, des trousses d’hygiène, des trousses scolaires, des chaussettes et des bonnets tricotés. La Caisse de Secours (France), le Mennonitisches Hilfswerk (Allemagne), la Mission Mennonite Suisse/Not Hilfe Gruppe (Suisse) et Wereld Werk (Pays-Bas) travaillant tous main dans la main et avec MCC : voici un magnifique exemple de collaboration pour répondre aux besoins de nos prochains au Moyen-Orient. Des partenaires locaux sur place sont responsables pour la distribution de ce qui a été envoyé.
Pour conclure, prenons l’engagement d’accueillir l’étranger. Jésus conclut la parabole sévère et terrifiante des moutons et des chèvres en disant : « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais étranger et vous ne m’avez pas recueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. » (Mt 25.41-43)
Nous ne pouvons dire à ceux qui sont dans le besoin : « Ce n’est pas notre problème ».
Menno Plett, co-représentant du Mennonite Central Committee pour l’Europe de l’ouest, Strasbourg
Traduction : Louise Nussbaumer. Article publié dans Perspektive, mensuel des Eglises mennonites suisses, janvier 2016, repris avec autorisation