Dieu et la pandémie

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Méditation apportée par Neal Blough lors de la rencontre des Anciens, Prédicateurs et Diacres le 1er mai 2021.

 

Nous vivons dans l’ombre de la pandémie depuis plus d’une année, situation qui touche l’ensemble de nos vies, de nos activités, de nos Églises, du travail pastoral. Beaucoup de questions se posent : pourquoi, qu’est-ce que cela signifie, quelle est notre réponse, quelle est la réponse de l’Église ?

Première remarque : la pandémie nous rappelle notre fragilité et notre mortalité. Depuis plusieurs générations en Europe occidentale, nous vivons un contexte plutôt exceptionnel dans l’histoire de l’humanité. Pour la grande majorité, nous avons une couverture médicale, nous n’avons pas faim, nous n’avons pas connu de conflit armé sur notre sol, le progrès technique facilite la vie et le travail, nous vivons plus longtemps que jamais dans l’histoire. Nous pensions maîtriser la vie. Nous appuyons sur l’interrupteur, et il y a de la lumière, nous ouvrons le robinet et il y a de l’eau potable, nous prenons la voiture, le train ou l’avion et nous nous déplaçons facilement.

Et tout à coup, nous sommes face à la maladie et à la mort sur le plan mondial, nous ne pouvons plus nous voir aussi facilement, nous perdons des membres de famille et des amis, certains perdent le travail, tout est bousculé sinon bouleversé.

Mais nous ne vivons pas en Syrie, en Afghanistan, en Inde, dans l’Est du Congo. Une bonne partie de l’humanité vit des situations plus difficiles depuis longtemps. Nos parents, nos grands-parents ont connu les guerres mondiales, la grande crise économique, moins de médicaments, la grippe espagnole. Les pandémies courent depuis toujours, c’était jusqu’à très récemment des phénomènes récurrents et mortels.

N’oublions pas que dans le contexte mondial actuel, nous restons privilégiés. Mais quand même nous nous posons des questions.

Et qu’est-ce que ça veut dire ? Comment comprendre ? Comment réagir ?

Beaucoup de réponses en ce qui concerne la pandémie : on sous-estime, on surestime, on cherche les responsables, c’est la faute à la Chine, c’est la faute à notre irresponsabilité écologique, c’est la faute à nos dirigeants.

Pour certains chrétiens, c’est un signe. Un signe de la fin des temps, un signe de la colère de Dieu, c’est une punition : pour le péché sexuel, pour l’injustice entre riches et pauvres, pour la surconsommation et le niveau de vie occidental. Parfois la pandémie fonctionne comme un mégaphone, nous permettant de crier plus fort ce que nous avions de toute façon envie de dire.

La recherche de signes pose la question de notre manière de lire et de comprendre l’histoire. Il est vrai, Jésus évoque et donne des signes, mais il a aussi dit « personne (même le Fils) ne sait l’heure ». Dans Matthieu 24, il dit même qu’il ne faut pas s’inquiéter

« Vous allez entendre parler de guerres et de rumeurs de guerre. Attention ! Ne vous alarmez pas : il faut que cela arrive, mais ce n’est pas encore la fin. » (Mt 24,6)

La description des efforts des chrétiens de lire la fin dans les événements de l’histoire rempliraient des volumes et des volumes. Comment donc comprendre les « signes » ?

« Alors quelques scribes et Pharisiens prirent la parole : « Maître, nous voudrions que tu nous fasses voir un signe. » Il leur répondit : « Génération mauvaise et adultère qui réclame un signe ! En fait de signe, il ne lui en sera pas donné d’autre que le signe du prophète Jonas. Car tout comme Jonas fut dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. » (Mt 12,38-40)

Plutôt que de chercher des signes dans les journaux et les événements, j’aimerais suggérer que nous avons à lire les événements à la lumière du signe de Jonas, c’est- à-dire, le signe, la réalité de la croix et de la résurrection. L’histoire a un sens, mais elle est à lire à partir du Christ, à partir des réalités fondamentales de l’Évangile. La vie, la mort et la résurrection du Christ, le cœur du projet de Dieu pour la bénédiction de toutes les familles de la terre.

Aujourd’hui, nous ne sommes pas loin du week-end de Pâques. Le vendredi saint et la croix nous rappellent la réalité du mal, le dérèglement de notre monde par le péché. Ces forces ont tout simplement cherché à supprimer le Fils. La croix, c’est l’attaque des forces du mal pour éradiquer le Christ.

Autrement dit, nous ne devrions pas avoir besoin de signes comme la pandémie pour nous rappeler que notre monde est déréglé, que nos relations sont déréglées, que l’économie, la politique, l’écologie montrent les efforts du mal à conquérir l’histoire.

L’ensemble de l’Écriture nous dis que le mal est complexe et que nous ne pouvons pas facilement l’expliquer. Parfois, je subis les conséquences directes de mon comportement, il y a parfois un lien évident entre mon péché et ce qui m’arrive. Parfois, nous subissons le mal commis par les autres, et ce n’est pas directement de notre faute. Les méchants prospèrent et les innocents trinquent. Est-ce qu’on va dire que l’enfant syrien qui meurt de Covid dans un camp de réfugiés est responsable d’avoir attrapé cette maladie ? Parfois, dans la Bible, par exemple dans le cas de Job, le mal est une épreuve que Dieu permet pour tester la fidélité et montrer sa souveraineté. Étant tous pris dans le cycle infernal du mal, nous ne devrions pas être trop rapide à proclamer « à qui la faute ». On est tous impliqué d’une manière ou d’une autre.

Comment répondre ? je soulève plusieurs pistes. D’abord, les Psaumes. Le peuple d’Israël est souvent confronté au mal. Parfois, c’est de sa faute (l’exil), parfois, ce n’est pas de sa faute (l’esclavage en Égypte), parfois, c’est tout simplement incompréhensible. Dans 33 % des Psaumes nous trouvons la plainte.

Face au dérèglement, le peuple s’adresse honnêtement à Dieu.

« Tu nous livres comme agneaux de boucherie, tu nous as dispersés parmi les nations.

Tu cèdes ton peuple sans bénéfices, et tu n’as rien gagné à le vendre. Tu nous exposes aux outrages de nos voisins, à la moquerie et au rire de notre entourage.

Tu fais de nous la fable des nations, et devant nous les peuples haussent les épaules.

Tous les jours, j’ai devant moi ma déchéance, et la honte couvre mon visage, sous les cris d’outrage et de blasphème, face à un ennemi revanchard.

Tout cela nous est arrivé, et nous ne t’avions pas oublié, nous n’avions pas démenti ton alliance ; notre cœur ne s’était pas repris, nos pas n’avaient pas dévié de ta route, quand tu nous as écrasés au pays des chacals et recouverts d’une ombre mortelle. » (Ps 44,12-20)

« Jusqu’à quand SEIGNEUR ? Te cacheras-tu constamment ? Laisseras- tu flamber ta colère ?

Pense à ce que dure ma vie : tu as créé l’homme pour une fin si dérisoire ! Quel homme vivrait sans voir la mort, échappant à l’emprise des enfers ? Seigneur ! où sont tes bontés d’autrefois ? Tu avais juré à David sur ta fidélité !

Seigneur ! pense à tes serviteurs outragés, à tout ce peuple dont j’ai la charge.

Tes ennemis l’ont outragé, SEIGNEUR ! en crachant sur les pas de ton messie. » (Ps 89,47-52)

Nous pouvons faire de même. Nous pouvons poser nos questions difficiles à Dieu, nous pouvons lui dire que nous ne comprenons pas. La plainte est permise, voire nécessaire, mais ce n’est pas le dernier mot. C’est une étape de notre réponse, de notre lecture de l’histoire humaine. Le Psaume 89 que je viens de citer, se termine de la manière suivante :

« Béni soit le SEIGNEUR pour toujours ! Amen et amen ! » (Ps 89,53)

Dans le signe de Jonas, il y a la croix qui nous rappelle l’existence et le sérieux du mal. Mais le dernier mot est la résurrection et la victoire sur le mal. Et nous avons ici la deuxième clé de lecture de l’histoire. La croix et la résurrection nous montrent la manière dont Dieu fait face au mal. Le Christ reste fidèle, il n’entre pas dans le jeu de la domination, de la vengeance, de la violence. Il reste dans la volonté de Dieu, il reste fidèle à ce qui lui-même avait enseigné dans le sermon sur la montagne. Il nous montre ce que l’amour de Dieu est prêt à subir pour nous sauver.

Il est sorti du tombeau, il est monté à la droite de Dieu et toute autorité lui a déjà été donnée. C’est à partir de là que nous répondons au mal, à la pandémie, c’est la clé de notre compréhension du monde et le moteur de notre action.

Ici, les récits de Pâques dans l’Évangile de Jean peuvent nous aider. On pourrait dire qu’après la crucifixion, les disciples se confinent.

« Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Juifs, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées. » (Jn 20,19)

Les disciples ne comprennent pas ce qui est arrivé, ils ont peur, et ils ferment les portes. Nous, par crainte du virus, nous nous trouvons confinés. Mais c’est dans une telle situation que le Christ se manifeste.

« Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : « La paix soit avec vous ». » (Jn 20,19)

Le Christ ressuscité offre la paix à ceux qui ont peur, à ceux qui se trouvent enfermés. Et dans ces mêmes conditions, Jésus confie une mission à ces disciples.

« Alors, à nouveau, Jésus leur dit : « La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » » (Jn 20,21)

Et pour cela, il les équipe avec le Saint Esprit. « Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. » » (Jn 20,22) La mission de l’Église commence dans le contexte des larmes des femmes dans le jardin, des disciples qui ont peur, qui doutent et qui sont enfermés.

Et c’est ici, dans cet envoi, dans cette mission que nous trouvons la réponse à la question des signes. Les disciples sont envoyés comme le Christ a été envoyé. Comme le Père m’a envoyé, je vous envoie. Comme, c’est-à-dire de la même manière. Face au mal, face au dérèglement, Dieu est venu parmi nous en Christ et le Christ a posé des signes.

D’abord, il a partagé entièrement notre humanité. Il a eu faim, il a connu la tentation, il pleure lorsque son ami Lazare décède, et il a connu la souffrance et la mort. Comme remède, Dieu vient parmi nous partager notre vie. Et ce même Jésus, envoyé par le Père, Parole faite chair, a posé des signes.

La résurrection ouvre le chemin vers la nouvelle création dont parle l’Apocalypse, la création brisée, que Dieu va guérir et restaurer. Et les signes posés par Jésus étaient des signes de cette nouvelle création. Signes d’une vie nouvelle, Dieu venant dans l’ordinaire et faisant l’extraordinaire. Guérir les malades, changer l’eau en vin, donner du pain à ceux qui avaient faim, donner la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, manger avec des personnes de mauvaise réputation, pardonner les péchés, dénoncer le mal, appeler à la repentance, ce qui veut dire qu’une autre vie est possible. Des signes d’un monde nouveau, des signes du monde vers lequel l’histoire chemine.

La croix et la résurrection sont à la fois la source de notre rédemption et le modèle de notre action dans un monde déréglé par le mal.

Dieu a envoyé Jésus, Jésus envoie les pauvres en esprit, les doux, les affamés de justice, les miséricordieux, les cœurs purs les artisans de paix.

N.T. Wright décrit la mission des disciples de la manière suivante : apporter l’amour de Dieu là où le monde a mal, être un peuple en prière au milieu d’un monde qui a mal. Il dit aussi que nous pouvons, devons apporter nos plaintes à Dieu. Mais une fois que c’est fait, au lieu de poser la question de « pourquoi » ou « à qui la faute », poser plutôt celle de savoir « que pouvons-nous faire ? »

Dans Actes 11, l’Église d’Antioche apprend qu’il y aura une famine, c’est-à-dire qu’il y aura des gens qui risquent de mourir. Cette Église ne dit pas « c’est un signe de la fin », elle ne dit pas, « l’empereur aurait dû faire des stocks », même si le texte donne le nom de l’empereur. Elle pose la question de savoir « que pouvons-nous, que devons-nous faire ? » Quelle réponse à une catastrophe annoncée ?

Les disciples décidèrent alors qu’ils enverraient, selon les ressources de chacun, une contribution au service des frères qui habitaient la Judée.

Ce qui fut fait. L’envoi, adressé aux anciens, fut confié aux mains de Barnabas et de Saul. (Actes 11,29-30)

Sachant que des sœurs et des frères auront faim, ils décident de faire une collecte et ils désignent des responsables. Les épîtres de Paul nous montrent à quel point cette collecte était importante. Des Églises de partout ont pris soin de chrétiens qu’ils ne connaissaient pas. Elles ont posé le signe d’un monde fraternel et solidaire, du monde tel que Dieu le veut, tel qu’il sera.

Au milieu de nos craintes, lorsque nous nous trouvons confinés, le Christ se fait connaître, et il nous confie la même mission : comme le Père m’a envoyé, moi, je vous envoie. Soyons de ceux et celles qui apportent l’amour et le pardon de Dieu là où notre monde a mal, là où notre monde souffre.

Neal Blough

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Note : Cette méditation s’inspire de ma lecture du livret de N.T. Wright, God and the Pandemic : A Christian Reflection on the Coronavirus and its Aftermath, Zondervan Reflection, 2020.

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