Des Églises au creuset de la guerre

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Par Tim Huber / Anabaptist World — Traduction : Michel Sommer

En Ukraine, au Congo et à Myanmar, vivre selon l’Évangile de paix exige des sacrifices et des risques.

Au cours de l’histoire anabaptiste, l’adversité a renforcé l’engagement pour la paix de Christ. Là où des anabaptistes sont confrontés de près à la violence, leur foi et leurs Églises sont testées et renforcées. Cela arrive actuellement dans trois pays : l’Ukraine, la République Démocratique du Congo et Myanmar.

En Ukraine

En Ukraine, la guerre a débuté en 2014, lorsque la Russie a occupé la Crimée ; la guerre s’est intensifiée considérablement en 2022 lors de l’invasion à grande échelle de l’est de l’Ukraine. Le plus grand conflit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale a provoqué une crise migratoire : de nombreuses Églises des Frères mennonites ont fermé ou ont choisi de déménager.

Des membres de l’Association des Églises des Frères mennonites en Ukraine distribuent de la nourriture et des médicaments en réponse à la guerre. – Crédit : AEFMU

« La souffrance provoquée par les pertes et la dévastation augmentent », dit Roman Rabhuka, responsable de l’Association des Églises des Frères mennonites en Ukraine (AEFMU), dans un courriel du début décembre 2024. « Même dans ces conditions, avec l’aide de Dieu et avec votre aide, nous continuons à œuvrer, et surtout, le nombre de personnes qui acceptent Christ grandit. »

L’AEFMU regroupe 27 Églises et lieux de ministère en Ukraine, ce qui inclut non seulement des Églises ou des implantations d’Église, mais aussi des abris où l’on répond aux besoins humains primaires. Certaines Églises locales ont déménagé en tant que groupe, recommençant une nouvelle vie dans un autre lieu et grandissant alors que de nouvelles amitiés se forgent.

« Dans nos structures mennonites, les gens peuvent recevoir de la nourriture, de l’eau et de la chaleur humaine, mais aussi se reconstruire et peut-être, entendre parler de Dieu pour la première fois », décrit Roman Rabhuka. « Dans cinq Églises situées dans des régions où ont lieu des combats, les cultes sont temporairement suspendus. Deux de ces églises ont été détruites, quatre églises ont été occupées et se trouvent en territoire ennemi. Des cultes ont lieu encore dans deux églises situées sur un territoire occupé temporairement. »

Un garçon observe un immeuble à Zaporijia en Ukraine, le lendemain d’une frappe aérienne russe le 1er octobre. – AEFMU

« Les pasteurs risquent leur vie et accomplissent un service pour lequel ils se sacrifient. Cela suscite de l’intérêt pour le mouvement mennonite. Les gens sont surpris et attirés par le sacrifice, l’amour, les bonnes œuvres, la vertu et la piété des mennonites. »

Des pasteurs et des membres d’Églises sont actifs dans des zones de conflit pour y fournir une assistance aux personnes en difficulté ou pour transporter d’autres personnes hors de ces régions dangereuses. Des cliniques mobiles permettent la distribution de médicaments dans des lieux mal desservis. Des individus fournissent de la nourriture à plusieurs centaines de personnes plusieurs fois par semaine.

Ce n’est pas facile. Le stress permanent et les demandes d’aide qui augmentent créent une fatigue chronique. La menace de la conscription aggrave encore la situation.

« Le choix le plus difficile pour nos frères est le suivant : partir à la guerre ou aller en prison. Nos hommes sont contraints de partir à la guerre et de mourir », selon Roman Rabhuka. « Ceux qui ne sont pas partis au front travaillent à l’arrière, ce qui n’est pas non plus facile. Vous pouvez être pris et envoyé au front n’importe quand… »

« Quand un jeune homme, un frère chrétien, doit faire face à ce choix cruel d’aller faire la guerre et très probablement de mourir ou de rassembler sa famille et de s’enfuir, les pasteurs aident par leurs paroles. Dans ces moments, l’empathie et l’amour sont nécessaires ! Dans ces moments, ils se tournent davantage et plus souvent vers le Seigneur, et le nombre de ceux qui se repentent et acceptent Christ grandit ! Au milieu de ces privations, ils voient des mains qui viennent en aide – chaque membre de l’Église qui distribue de la nourriture et qui dit : ‘‘Ce n’est pas moi, c’est le Seigneur !’’ Ces paroles semblent toucher les cœurs. »

Malgré toutes les épreuves provoquées par la guerre, Romain Rabhuka puise son espérance dans le texte d’Éphésiens 6.12 : les membres de l’AEFMU expérimentent cette vérité que le combat n’est pas contre la chair et le sang, et que le mal ne peut être vaincu par le mal.

« Le Seigneur nous a appelés à la paix ! », déclare-t-il. « Nous prions pour la paix de Dieu, pour la délivrance du mal et le salut des tourments éternels. Jésus-Christ est l’issue hors de toutes les situations difficiles. »

En République Démocratique du Congo

En République Démocratique du Congo, la proximité entre Églises des Frères mennonites et milices armées créent des occasions de ministère. En 2021 et 2022, le pasteur Jacques Pilipili a cherché à entrer en contact avec des combattants, qui ont ensuite déposé les armes par douzaines. Cette histoire a été racontée pour la première fois en 2022 dans Christian Leader, le magazine des Frères mennonites.

En 2021, le pasteur Jacques Pilipili, coordinateur des Églises des Frères mennonite dans le Nord et le Sud Kivu, à l’est du Congo, distribue des Bibles à des membres d’une milice dans la province du Kivu, et les encourage à déposer les armes. Certains d’entre eux sont maintenant membres d’une Église locale des Frères mennonites. – Crédit : Jacques Pilipili

Basé à Bukavu, Jacques Pilipili est le coordinateur des Frères mennonites pour le Nord et le Sud Kivu, région située à l’est du Congo. Après une rencontre avec Gary Prieb, lui-même en visite à Kinshasa, il a demandé des Bibles dans une lettre de prière en 2021. Gary Prieb, retraité de la mission des Frères mennonites Multiply, avait reçu la lettre et avait été touché par cette demande, entre autres du fait de son enfance passée en République Démocratique du Congo comme fils de missionnaires. Gary Prieb a cherché alors à rassembler des fonds en collaboration avec la Fondation des Frères mennonites, Nzash Lumeya et Fidèle Lumeya, pour soutenir la vision de Jacques Pilipili.

« Cette distribution a conduit au baptême de 12 miliciens, et 18 autres ont quitté l’armée et sont retournés dans leurs familles », raconte Jacques Pilipili à Anabaptist World à la fin du mois de novembre. « S’il y a une possibilité de recommencer cette activité, nous sommes ici pour le service du Seigneur. »

Selon Jacques Pilipili, la manière de faire est simple, malgré le fait qu’il y a plus de 100 milices qui se battent dans la province du Kivu, et qui recrutent des combattants dès l’âge de 12 ans. Lui et d’autres prennent d’abord contact avec des chefs de guerre ou des commandants et leur expliquent qu’ils ont la paix comme objectif.

« Ils témoignent devant l’Église », ajoute-t-il. « Je suis même allé voir deux miliciens baptisés devant le commandant de l’armée de la République Démocratique du Congo, de sorte que l’un d’entre eux a témoigné et a rendu les armes au commandant. Ces miliciens, baptisés dans notre Église, sont maintenant membres de la chorale, ils chantent à l’église, et d’autres participent à des activités de l’Église. D’autres encore ne viennent à l’église que le dimanche, car ils n’ont pas encore pris l’engagement pour devenir membre permanent. »

À la fin de l’année 2024, plus de 400 Bibles ont été envoyées au Kivu pour y soutenir les 42 Églises des Frères mennonites, alors que les milices continuent de se battre pour l’accès à des minerais et pour d’autres raisons. Ce travail poursuit l’action de Mama Kafuti, qui s’était opposée de manière courageuse à des combattants à Kafumba, lors de la rébellion du Kwilu en 1963. À cette époque, selon Nzach et Fidèle Lumeya, beaucoup de familles étaient piégées, prises entre la peur des rebelles et des forces gouvernementales. Des hommes se cachaient ou rejoignaient la résistance. Elle a rassemblé des femmes de son Église et elles se sont rendues à pied au camp des rebelles en portant une écharpe blanche en signe de paix.« Notre pays a souffert depuis trop longtemps », leur a-t-elle dit, selon le récit de Fidèle et Nzach Lumeya. « Nous ne pouvons pas construire l’avenir si le sang continue à couler. Nous sommes vos mères et vos sœurs. Nous sommes venues vous demander de choisir la vie, pas la guerre. » Ces jeunes combattants avaient grandi en entendant les chants des femmes à l’église et leur noms prononcés dans la prière. Ils se mirent à plaider pour la paix. Mama Kafuti et son Église négocièrent un cessez-le-feu, et promirent que l’Église viendrait en aide aux rebelles qui déposeraient les armes et retourneraient chez eux.

« Le courage de Mama Kafuti a inspiré d’autres femmes de la province à s’engager dans le travail pour la paix », ajoutent Nzach et Fidèle Lumeya. « Son histoire est devenue un témoignage quant à la manière dont la foi et la communauté peuvent surmonter la violence, même dans les moments les plus sombres. Les années suivantes, le positionnement de l’Église comme un organisme œuvrant pour la paix dans la province du Kwili fut renforcé. Elle devint une institution de confiance : les responsables locaux et les factions rebelles faisaient tous deux appel à elle pour de la médiation. »

Célestine Mayindama est l’une des femmes qui dirige les activités pour la paix et pour l’éducation de la Women Situation Room en République Démocratique du Congoe. – Jean-Paul Ndibu/CEFMC

Au sein des Églises des Frères mennonites du Congo, des femmes continuent de travailler pour la paix et pour des démarches dans le domaine de l’éducation. L’une d’entre elles s’appelle Célestine Mayindama, diacre de son Église à Mbandu, paroisse du plateau de Kikwit, la région où Mama Kafuti avait été active. Avec un groupe de femmes, Célestine Mayindama a proposé il y a deux ans des formations pour sensibiliser aux questions de nutrition, de création de revenus, de santé reproductive et d’abus sexuels.

« Nous organisons les formations dans l’une de nos Églises », raconte Célestine Mayindama. « Si en 2025 nous avons les ressources financières nécessaires, nous ferons de même avec certaines écoles de notre voisinage… Lorsque nous avons connaissance d’un viol, nous le signalons au service psychologique local. Nous travaillons également à la résolution des conflits et à la médiation. »

En sensibilisant à des sujets tabous parmi les jeunes femmes, le programme produit des effets bénéfiques immédiats ; mais il y a aussi des bénéfices indirects. Selon Célestine Mayindama, « les gens du voisinage voient comment l’Église prend soin de ses voisins. Je pense que [l’Église des Frères mennonites] est unique par rapport à d’autres Églises. Les femmes y ont une voix et un rôle plus forts. »

À Myanmar

L’Église Bible Missionary inaugure un nouvelle église à Sanpya, Myanmar. – Amos Chin /BMC

Myanmar a subi des destructions par la guerre civile, suite à un coup d’État militaire en 2021. Chaque jour, des bombardements se poursuivent, alors que près de la moitié de ce pays d’Asie du sud-est est sous contrôle de forces rebelles. L’Église Bible Missionary, membre de la Conférence Mennonite Mondiale, a été impactée de multiples manières. Près de la moitié de ses 47 Églises locales se situent dans des régions gravement affectées par la guerre. Quatre églises ont été abandonnées, après que les membres aient dû quitter leur maison pour se cacher dans des forêts montagneuses, loin du conflit.

Sur les 54 millions de la population de Myanmar, 20 millions de personnes ont dû se déplacer à cause de la guerre, selon Amos Chin, président de l’Église Bible Missionary. Le succès des rebelles et le déplacement de la population ont conduit à la conscription et au recrutement de militaires.

Le président de l’Église Bible Missionary, Amos Chin, s’exprime lors de l’inauguration d’une nouvelle église à Sanpya, Myanmar. – Amos Chin/BMC

« Un de nos plus grands défis, c’est la jeunesse », dit Amos Chin. « Le gouvernement militaire d’une part et le groupe révolutionnaire d’autre part cherchent de différentes manières à recruter des jeunes. Certains de nos jeunes ont rejoint le mouvement révolutionnaire pour diverses raisons. Nous ne voulons pas que nos jeunes rejoignent une force militaire, quelle qu’elle soit ; et nous travaillons à proposer des formations pour la paix aux jeunes en priorité. Par la grâce de Dieu, mes jeunes gens ont compris la voie anabaptiste et ont refusé de participer à la guerre. Ils ont décider d’aller en prison plutôt que de rejoindre les militaires. Par ailleurs, beaucoup de jeunes s’enfuient, car ils ne veulent pas s’engager dans le service militaire. »

À cause de l’inflation et du chômage, beaucoup de familles mangent un repas par jour, tout en vivant sous la menace de bombardements aériens à tout moment.

« Ma sœur est décédée (en octobre) dans la forêt, par manque de médicaments », rapporte Amos Chin en novembre. « Actuellement, 251 familles mennonites sont déplacées et manquent de nourriture ; merci de prier pour elles. » Malgré les difficultés, il note qu’une Église a récemment inauguré un nouveau lieu de culte, et le travail missionnaire de l’Église Bible Missionary progresse « de manière exceptionnelle (…) La bonne nouvelle de Christ est devenue un sujet d’intérêt pour ceux qui sans espoir pour l’avenir, et la pauvreté a ouvert la porte à la foi en Christ », ajoute-t-il. « Cette situation impacte aussi notre travail missionnaire, et de nouveaux croyants s’ajoutent jour après jour. »

 

Amos Chin, président de l’Église Bible Missionary, prend la parole lors de la récente inauguration d’une nouvelle église à Sanpya, Myanmar. – Amos Chin/BMC

 

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