LEURS OEUVRES LES SUIVENT…
À Canet-en-Roussillon, plus de 70 ans après les faits, resurgit l’histoire des enfants sortis du camp de Rivesaltes, accueillis, soignés et aimés par des organisations quaker et mennonite. Claude Hege a été invité à cette émouvante commémoration.
« Après de vaines recherches auprès de la population autochtone et dans la presse, il s’est avéré que nul souvenir ne subsistait dans les mémoires, la Villa Saint-Christophe ayant elle-même disparu. »
Et pourtant, à Canet-en-Roussillon (Pyrénées Orientales), le travail réalisé par le Mennonite Central Committee pour des enfants dans une maison de convalescence, entre avril 1941 et février 1943, vient d’être honoré et publiquement reconnu.
Ce sont deux sœurs, Simonne Chiroleu-Escudier et Mireille Chiroleu, membres du Club Cartophile Catalan, passionnées d’histoire et de patrimoine, aidées par le fils de Simonne, Éric Escudier, qui ont sorti de l’oubli cette œuvre admirable accomplie au nom du Christ par le MCC.
Du camp de Rivesaltes à la Villa Saint-Christophe
Dans cette période sombre de notre histoire, le MCC intervient en Europe durant la guerre civile d’Espagne (1936 – 1939) et poursuit son action en France pendant la Seconde Guerre mondiale. En collaboration avec l’organisme de secours des Quakers, le MCC apporte une aide aux enfants victimes du conflit dans le Sud de la France. Les conditions de vie dans le camp d’internement de Rivesaltes, à côté de Perpignan, sont terribles. Les enfants sont malnutris, affaiblis et malades. Des organisations humanitaires vont négocier avec les autorités pour sortir des enfants de ces camps et les remettre en forme. Au fur et à mesure de l’emprise du régime nazi sur le gouvernement de Vichy, les Juifs seront internés en vue de leur déportation dans les camps d’extermination. En août 1942, le camp de Rivesaltes devient le Centre de regroupement des Juifs pour la Zone Sud. Sortir des enfants de ces camps devient alors une question vitale.
Le 4 mai 1941, la Villa Saint-Christophe ouvre ses portes à une soixantaine d’enfants en provenance du camp de Rivesaltes. Située en bordure d’une plage de sable fin à Canet, elle est dirigée, pendant les premiers mois, par une volontaire suisse, Charlotte Gerber. Son visa n’étant pas renouvelé, elle devra retourner en Suisse. Deux jeunes volontaires des Etats-Unis, Loïs Gunden (professeur de français) et Helen Penner (étudiante) sont envoyées par le MCC pour encadrer ce travail. Le journal de Loïs, les correspondances et rapports d’activité, conservés dans les Archives Mennonites à Goshen dans l’Indiana, ont été exploités par les sœurs Chiroleu pour faire connaître toute cette page oubliée de l’histoire locale. Ce sont ainsi plus de 300 enfants, entre 3 et 15 ans qui ont été sortis des camps, instruits, soignés et nourris pendant des séjours de quelques semaines à quelques mois. Fin janvier 1943, les volontaires américains présents en France sont arrêtés et internés à Baden-Baden en Allemagne. Après une année de résidence surveillée en Allemagne, ces prisonniers de guerre seront échangés contre des prisonniers allemands et
embarqueront pour les états-Unis. En février 1943, les militaires allemands réquisitionnent la Villa Saint-Christophe et, après bien des difficultés, les enfants et le personnel sont accueillis dans le Lot, au château de Lavercantière, sous la direction de Roger Georges et d’Augustin Coma, poursuivant le travail pour le MCC.
Une stèle pour se souvenir
Le livre qui retrace cette histoire comporte de nombreuses photographies et documents d’archives. Un travail de fourmi a permis de retrouver plusieurs enfants, aujourd’hui âgés de plus de 70 ans, qui ont bénéficié de l’accueil à la Villa Saint-Christophe.
Le 27 juin 2014, sur la Promenade de la côte Vermeille à Canet-en-Roussillon une stèle, en mémoire de la Villa Saint Christophe, a été inaugurée en présence des autorités : Maire, Député, Sous-Préfet, Conseil Général, ainsi que le Consul d’Israël à Marseille. Plus de 200 personnes se sont rassemblées pour assister à cet événement. Deux anciens résidents d’origine espagnole et un ancien résident juif étaient également présents pour cette cérémonie. Le protocole a prévu de donner la parole aux mennonites, ce qui m’a permis d’expliquer à cet auditoire qui étaient les mennonites, ainsi que notre présence en France. J’ai été très touché par les témoignages de ces « anciens » qui m’ont dit que les mennonites leur ont sauvé la vie, au vrai sens du terme.
« Justes parmi les nations »
Loïs Gunden, directrice de la Villa Saint Christophe, et Mary Elmes, collaboratrice des Quakers à la même période, viennent d’être déclarées « Justes parmi les nations » par l’état d’Israël, la plus haute distinction accordée aux non-Juifs vertueux et remplis de compassion pour sauver des Juifs de l’extermination. Leur nom figurera dans l’Allée des Justes au Mémorial de la Shoah, à Yad Vashem, à Jérusalem. Loïs Gunden sera la quatrième Américaine à être distinguée de la sorte sur un total de plus de 25 000 Justes dans le monde.
Cette cérémonie nous rappelle que le MCC a incité les Mennonites français à s’engager dans un travail social. Au sein de la FAMIS, ce sont aujourd’hui quatre associations qui œuvrent dans le champ des personnes âgées, des personnes handicapées, des enfants en difficulté dans une petite centaine d’établissements et services, recevant et accompagnant plusieurs milliers de personnes.
L’exemple de Loïs Gunden et de ses collègues, leur engagement auprès des plus petits, dans une période autrement plus difficile que la nôtre, méritent que nous en gardions la mémoire. Les paroles et les actes posés lors de cette cérémonie par les pouvoirs publics sont des signes que notre travail porte des fruits, bien au-delà de notre horizon.