Prêtre jésuite, il devient anabaptiste…

 Dans Christ Seul, Explorer

L’étude biblique du samedi sur « La liberté : une grâce et une responsabilité »* a été apportée par Antonio González. Rencontre avec ce théologien espagnol au parcours atypique…

CHRIST SEUL : Avant de devenir membre d’une Eglise des « Frères en Christ » à Madrid, tu étais prêtre jésuite. Peux-tu évoquer ton parcours ?

Antonio González : Je me suis converti à l’âge de 17 ans dans le contexte de la jeunesse catholique. Voulant servir Dieu, je suis devenu prêtre, en suivant une formation chez les jésuites. Je suis allé ensuite en Amérique centrale, au Salvador, attiré par la théologie de la libération. Des prêtres ont été tués dans l’université où j’enseignais. J’ai travaillé aussi avec des communautés de paysans, dans les plantations de café. J’ai obtenu ensuite en Europe un doctorat en philosophie et un doctorat en théologie. De retour au Salvador, j’ai eu de la difficulté à vivre en pratique mon rôle de prêtre. Dans ce rôle pastoral, je souhaitais une vie meilleure pour les gens que ce que l’Église catholique leur proposait : une manière d’être chrétien plus biblique, davantage de liberté par rapport aux structures… J’étais troublé intérieurement. J’aurais pu continuer, en invoquant des raisons qui auraient rendu la situation acceptable…

CS : Qu’as-tu fait alors ?

Antonio González : J’ai relu l’histoire de l’Église, les sources protestantes et la Bible, en particulier en rapport avec la question de la violence. En effet, au Salvador, après la guerre civile, les cicatrices de la violence étaient présentes dans la société : les armes, les crimes, etc. Je voyais les effets de la théologie de la libération, sans qu’il y ait une critique à son égard. En Amérique centrale, la théologie de la libération estimait que la violence était légitime et nécessaire dans certains cas, pour le bien des pauvres. Mais je voyais les résultats contrastés de l’usage de la violence et aussi du paternalisme envers les pauvres qui n’étaient pas sujets de leur propre vie.

CS : Mais tout cela est encore bien loin des mennonites…

Antonio González : J’ai relu aussi un livre de Gerhard Lohfink, « l’Église que voulait Jésus », où il est question de l’Église comme nouvelle société et aussi de non-violence. Au Guatemala, j’ai rencontré les enseignants d’un séminaire anabaptiste (SEMILLA). J’ai découvert les écrits de John Yoder (« Jésus et le politique » et « The Priestly Kingdom ») et de John Driver. Je me suis dit : « C’est cela que je crois. » J’ai vécu un temps de reconstruction intellectuelle, mais aussi de souffrance… De retour à Madrid, j’ai enseigné encore deux ans chez les jésuites. Je suis tombé amoureux, j’ai quitté l’ordre des jésuites en 2002 et je me suis marié.

CS : Quels sont tes rapports avec l’Église catholique ?

Antonio González : En recevant le baptême en tant qu’adulte, l’excommunication est automatique. Je garde des amis jésuites, surtout en Amérique centrale. Concernant mon appartenance à l’ordre des jésuites, j’ai été relevé de mes fonctions de prêtre ; d’un point de vue juridique, les choses sont à cet égard réglées.

CS : Tu as découvert l’anabaptisme comme courant théologique, tu as rencontré des théologiens… Mais qu’en est-il de la réalité des Églises mennonites qui se réclament de cet héritage ? N’as-tu pas été un peu déçu par rapport à l’idéal théologique ?

Antonio González : Non, je n’ai été déçu. Je n’avais pas d’attente de type idéaliste. J’avais une certaine expérience de vie qui me permettait d’être réaliste dans mon approche de ces Églises.

CS : Quel est aujourd’hui ton regard sur l’Église catholique ? Peut-elle changer ? Tout est-il mauvais ?

Antonio González : Non, il y a de bonnes choses, aussi dans la tradition jésuite, par exemple les Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola. C’est une spiritualité profonde qui peut être utile aux mennonites. Le problème est le cadre théologique dans lequel ces Exercices s’inscrivent, par exemple la distinction entre laïcs censés observer certains commandements seulement et les ordres religieux qui eux suivent vraiment Jésus. Certaines choses au sein de l’Église catholique ne peuvent changer, même si d’autres ont changé. En tout cas, les contacts personnels sont le plus important…

Propos recueillis par Michel Sommer

* Ce texte est publié dans le dossier La liberté qui engage, disponible sur commande.

 

BIOGRAPHIE
Antonio González est né à Oviedo en 1961 et enseigne au « United Evangelical Theological Seminary » (SEUT) à Madrid. Il est aussi l’un des responsables de l’Église des Frères en Christ dans la même ville. Il est marié avec Aída Stella Sánchez. Il a publié entre autres « Reinado de Dios e imperio » (2000) et « The Gospel of Faith and Justice » (2006).

LA THÉOLOGIE DE LA LIBÉRATION EN BREF
La théologie de la libération est un mouvement qui a cherché à intégrer la théologie avec des préoccupations socio-politiques, dans des contextes d’injustice, d’oppression et de souffrance humaine massive. L’option pour les pauvres, l’importance des communautés de base, l’accent sur la pratique caractérisent ce mouvement surtout présent en Amérique latine et centrale.

LES ANABAPTISTES-MENNONITES EN EUROPE
Allemagne : 32 776 membres, 167 assemblées
Autriche : 416 membres, 6 assemblées
Belgique : 48 membres, 3 assemblées
Espagne : 153 membres, 7 assemblées
France : 2100 membres, 32 assemblées
Grande-Bretagne : 240 membres, 6 assemblées
Irlande : 22 membres, 1 assemblée
Italie : 258 membres, 8 assemblées
Luxembourg : pas de chiffres connus
Pays-Bas : 10 200 membres, 121 assemblées
Portugal : 100 membres, 5 assemblées
Roumanie : 43 membres, 1 assemblée
Suisse : 2300 membres, 14 assemblées
Ukraine : 254 membres, 6 assemblées

Total : 48 910 membres, 377 assemblées

Chiffres de la Conférence Mennonite mondiale, repris dans « Testing faith and tradition », Global Mennonite History Series : Europe, Good Books, Intercourse, 2006, p. 291.
Ces chiffres incluent des Églises mennonites, “ Frères mennonites ”, “ Frères en christ ”, Beachy amish, etc., membres ou pas de la CMM. Conférences membres de la CMM en Europe : 20 936 membres et 237 assemblées.

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