Une voix africaine appelle à un christianisme de compassion
Des Églises pleines et de la ferveur le dimanche sans conséquences le lundi matin, cela ne sert à rien… Daniel Bourdanné appelle à vivre un christianisme de service, d’actions concrètes et de compassion. En écho au week-end organisé par le Comité de Mission au Rimlishof les 6 et 7 octobre prochains. Le thème : Eglises et stratégies missionnaires…
A quoi sert la ferveur africaine du dimanche si les démons de la corruption, des conflits et des génocides ressurgissent de plus belle dès le lundi ? A quoi servent en Europe nos cultes et nos prières, si nos vies restent dominées par la recherche du profit maximum et si nos Eglises restent divisées ? Telle est l’interpellation que nous lance Daniel Bourdanné, secrétaire des Groupes bibliques universitaires (GBU) d’Afrique francophone. Une conviction l’anime : « Le message du Christ peut transformer les hommes et la société – pour autant que nous le mettions en pratique ». Il milite pour un christianisme qui débouche sur l’action, le service, la compassion et la justice – aussi bien dans notre propre société qu’envers les pays défavorisés.
LA GRÂCE DE DIEU… ET LA RESPONSABILITÉ DES ÉGLISES
On constate une réelle effervescence parmi les chrétiens d’Afrique. On est frappé par les Eglises pleines et la chaleur de la foi, et on parle d’un déplacement du centre de gravité du christianisme vers les pays du Sud. Mais Daniel Bourdanné déplore le peu d’impact de cette effervescence dans la vie réelle – en termes de lutte contre la corruption, contre la pauvreté, contre les maux qui handicapent nos sociétés. « Je ne peux rester insensible à ces pays qui sombrent dans la corruption et les génocides, comme si l’Evangile n’avait pas d’impact pour briser les chaînes. On chasse les démons le dimanche, et ils reviennent en force le lundi. Quelque chose ne va pas. » Pour parvenir à de véritables changements, la théologie évangélique doit connaître une transformation. « Il s’agit de revisiter nos manières de voir, pour que le mandat créationnel soit véritablement intégré dans notre engagement aujourd’hui. » La question fondamentale sur laquelle doivent se prononcer aujourd’hui les évangéliques du Nord comme du Sud, c’est de savoir si notre responsabilité sociale reste marginale et s’ajoute simplement aux activités religieuses, ou si nous y voyons une véritable interpellation du Seigneur. Daniel Bourdanné fait un constat sévère sur les lacunes du christianisme africain. « Nous avons l’Ecriture entre nos mains. Qu’en faisons-nous ? La déforestation se poursuit à un rythme effrayant et on ne plante que peu d’arbres autour des stations missionnaires ! » Il note que ces questions ne sont que rarement abordées dans les publications évangéliques. Il a l’impression qu’un accent trop fort a été mis sur une forme de spiritualité qui place le chrétien dans les nuages, sans que ses pieds soient accrochés au sol.
LES ÉGLISES D’EUROPE SONT UNE FORCE
A quoi nos Eglises d’Europe sont-elles appelées ? Daniel Bourdanné estime qu’elles sont une force et peuvent contribuer à deux niveaux au développement dans le Sud : par leur engagement en Europe et par le partenariat dans le Sud. « Les Eglises européennes doivent s’impliquer dans les débats économiques autour des grandes institutions internationales comme le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale. C’est une lutte pour une autre manière de gérer l’économie mondiale, une lutte qui prenne réellement en compte les conséquences dans le Sud de certains choix économiques. » « La baisse de quelques euros du prix à la tonne d’un produit comme le cacao peut priver des populations entières de Côte-d’Ivoire de la possibilité de se soigner ou de scolariser normalement leurs enfants », relève-t-il. Pourtant, estimet- il, plus de justice est parfaitement possible sans mettre en péril les industries existantes, comme ce fut le cas sur la question des médicaments contre le VIH/sida, grâce à l’action militante. Pour Daniel Bourdanné, ce militantisme revêt une dimension missionnaire importante. « Nos actes parlent plus que nos paroles. Il faut que les victimes de l’injustice voient l’engagement des chrétiens occidentaux dans ce domaine. »
DÉVELOPPER UN PARTENARIAT D’ÉGLISE À ÉGLISE
Daniel Bourdanné insiste aussi sur le développement de capacités dans les pays du Sud. Il rêve que des responsables évangéliques se rassemblent autour d’une table pour réfléchir à la manière de renforcer les capacités et de développer le monde associatif, afin que les gens puissent prendre en mains leur destinée. « Il faut pour cela développer des partenariats d’Eglise à Eglise, en évitant le piège d’un partenariat uniquement financier. Chaque partie doit pouvoir contribuer, selon ses moyens. Des échanges bien préparés, bien organisés, permettent de créer une dynamique. » Daniel Bourdanné se réjouit du lancement de « Stop pauvreté 2015 », dans le cadre du Défi Michée. Il invite les chrétiens évangéliques à s’y engager résolument. Il attend de nous un christianisme de compassion, engagé socio-politiquement et en partenariat avec les chrétiens du Sud. « Il y va de la crédibilité de la foi évangélique ! »
Cet article a été rédigé à partir d’un entretien de Sylvain Dupertuis avec Daniel Bourdanné.
Il a paru dans Vivre, avril 2006 et a été légèrement remanié. Repris avec autorisation.