Conformité au monde ?

 Dans Christ Seul, Explorer

La non-conformité au monde est une caractéristique de l’éthique anabaptiste. Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment la non-conformité au monde est-elle vécue par les mennonites francophones à travers le monde ? Début d’une série d’articles sur ce thème, dans le cadre du Réseau mennonite francophone. Parole à la Suisse pour commencer.

 

SITUATION

On ne peut nier que les membres des communautés mennonites1 ne sont pas exactement conformes au monde2. Il y a des différences dans le comportement. Le tutoiement est la règle, et ce n’est pas anodin : il marque la volonté de tenir pour peu de choses les différences sociales, de générations, de niveau d’instruction. Le visiteur occasionnel trouvera généralement au moins une personne pour entamer la conversation et l’inviter pour le repas. Le travail non rémunéré est encore de mise et la générosité sous toutes ses formes fait contraste avec le monde.
En matière de morale sexuelle, certaines pratiques largement acceptées dans le monde sont encore vigoureusement rejetées : une tenue trop suggestive choque ; on est très majoritairement opposé à l’avortement ; la sexualité ne peut concerner que les couples mariés ou, à la rigueur, des partenaires – un homme et une femme ! – déterminés à s’engager pour la vie.
Cela dit, je crains que certains aspects de cette non-conformité ne tiennent qu’à un simple décalage temporel. Nous nous conformons à l’usage du monde, mais avec retard. L’idée que le chrétien est une personne comme tout le monde s’insinue peu à peu. Je suis chrétien, mais rien ne doit me différencier des autres : le chrétien n’est pas sectaire, ni une personne « spéciale » ; il n’a pas à se distinguer des gens qui l’entourent !
En fait, la conformité au monde entre largement dans nos communautés par le biais d’un vecteur particulièrement efficace : l’individualisme.
Car la non-conformité puise sa force dans la vie communautaire. On ne peut vivre autre chose que le monde qu’en étant entouré des autres, encouragé par eux. Or, l’individualisme sape le lien communautaire, en s’alignant sur les revendications du moment : on revendique fort le droit aux loisirs, le droit à ce qu’on nous « fiche la paix » durant les vacances, le droit de prendre soin de soi et de s’écouter, le droit de rechercher le luxe et l’enrichissement… L’individualisme revendique très fort le droit à la vie privée qui ne regarde que soi.
Pourtant, une des idées de l’anabaptisme des débuts3 était que la foi (son contenu et sa pratique) découle du partage communautaire, du dialogue et de la lecture commune de la Bible. Or, l’individualisme produit un tout autre effet : on écoute la prédication ou on participe à l’étude biblique, mais ensuite, chacun décide pour lui, et chez lui, de ce qu’il veut retenir ou rejeter, et se bâtit ainsi un corpus de convictions… qui est souvent assez bien conforme au monde.

RÉAGIR

La raison qui me semble la plus décisive pour réagir est à chercher dans le fait que Dieu choisit de dévoiler au monde quelque chose de son règne par l’Église, peuple saint (c’est-à-dire séparé). L’Église, et donc les communautés chrétiennes, ont à vivre quelque chose du royaume de Dieu pour témoigner, par des manières de vivre différentes, de ce que sera la guérison du monde que Dieu aime.
La manière à laquelle les mennonites devraient tenir, me semble-t-il, pour accomplir ce service (car c’est bien de service du monde qu’il s’agit !) consiste à vivre une vie communautaire forte où l’on s’applique à se comporter selon les nouveaux fonctionnements qu’enseigne Jésus. Non pour vivre en retrait du monde, mais pour y être sel et lumière. Il s’agit de ranimer la ferveur communautaire, de réapprendre à lire la Bible ensemble et de comprendre ensemble ce qu’être disciples de Jésus implique en mode de vie : partage, assistance mutuelle, justice, paix, attitudes nouvelles par rapport aux richesses, à l’écologie, à la sexualité, à la réconciliation. Il s’agit de retrouver le goût de la communauté où les mauvais comportements sont guéris par la puissance de l’Esprit-Saint. De ranimer la volonté de tenir cet équilibre difficile de communautés qui sont dans le monde mais pas du monde.
Voilà, me semble-t-il, ce dont il faut (re)prendre conscience pour que nos communautés et leurs membres ne soient pas conformes au monde tout en étant à son service. Avec une remarque encore : toute contrainte est exclue. Seule conduit à l’authenticité la libre conviction que la vie transformée que propose Jésus est bonne, et qu’il vaut la peine de la vivre, pour son propre bénéfice bien sûr, mais aussi comme démonstration à l’égard du monde qu’une autre manière – meilleure ! – de vivre est possible.

NOTES
1. Je parle surtout des communautés mennonites que je connais : les communautés francophones de la Conférence mennonite suisse. Il s’agit évidemment d’observations globales, des sortes de moyennes, et chacun saura citer des exceptions !
2. J’entends ici par « monde » ce qui s’oppose, délibérément ou non, à la vie belle et bonne que Dieu veut pour nous : les états d’esprit et les comportements qui conduisent à l’injustice, au meurtre, à la guerre, à la pauvreté, à l’exploitation, à la vengeance, à l’exclusion…
3. Au moins celui dont nous sommes héritiers.

 

CET ARTICLE ET LE RÉSEAU MENNONITE FRANCOPHONE
Tous les trois mois, un même article est publié dans quatre revues : Perspective (CH), Christ Seul (France), Le Lien (Québec), Courrier (Conférence Mennonite Mondiale). Les articles proviennent à tour de rôle des pays suivants : Suisse, France, Canada (Québec), Burkina Faso, République Démocratique du Congo. Les Églises de ces pays font partie du Réseau mennonite francophone. Coordination : Jean- Paul Pelsy.

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