La question du  » voile islamique « 

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niqabLa mixité sociale et religieuse, en Europe occidentale, est vécue de manière très contrastée. Une des questions qui a défrayé la chronique est celle du voile islamique que portent de nombreuses musulmanes. Marc Schoeni, qui a enseigné pendant 12 ans Near East School of Theology de Beyrouth, s’exprime sur la question.

Je mets « voile islamique » entre guillemets, parce qu’on a pris l’habitude de désigner sous ce terme commode des réalités différentes. Il serait mieux approprié de parler de « code vestimentaire » ou de « code de décence », mais le terme de « voile » est partout dans les débats de société sur la tenue islamique. Le relatif irénisme de mon approche de ces débats tient au fait qu’après tout, la foi n’y entre pas en jeu comme lorsqu’il est question de la doctrine de Dieu ou de la mort et de la résurrection du Christ. Sachons garder le sens des proportions !

Que disent les textes ?
Que disent les textes fondateurs de l’islam ? Et d’abord, que dit le Coran ? Les passages qui traitent de la tenue vestimentaire féminine se trouvent dans la sourate XXIV (versets 30-31 et 60) et la sourate 33 (versets 33, 55, 59). Le premier passage enjoint la décence et la pudeur aux hommes comme aux femmes. Les autres passages expliquent que les règles de décence les plus strictes s’appliquent aux femmes nubiles (24, 60), lorsque celles-ci sortent dans l’espace public (33, 59) ou qu’elles se trouvent dans un espace privé avec des hommes qui ne font pas partie de leur proche parenté (33, 55). Ce qui ressort clairement, c’est qu’une femme ne doit pas, par sa beauté corporelle, attirer les regards des hommes autres que son mari ou ses proches parents.

Diversité
Ces passages du Coran ont suscité des interprétations diverses. C’est là un phénomène commun à toutes les traditions religieuses fondées sur un texte qu’il s’agit de lire, comprendre et appliquer (le christianisme ne fait pas exception). En islam de même, il y a diversité d’interprétations parmi les théologiens ou juristes. De plus, il faut tenir compte des différentes cultures dans lesquelles l’islam s’incarne ; l’application de normes vestimentaires n’est évidemment pas la même au Sénégal, au Liban, au Yémen ou en Indonésie.
Pour bien comprendre de quoi il retourne, il faut expliciter quelques termes. Tout d’abord, le mot arabe hijab : c’est le terme le plus général pour désigner les prescriptions de décence du Coran. Le mot hijab désigne les préceptes de décence dans l’espace public. Pour les interprètes plus libéraux (depuis le XIXe siècle), il s’agit d’observer les principes de décence adaptés à chaque contexte culturel. Mais pour les interprètes plus stricts, on peut tirer du Coran un véritable code de décence.
Au minimum, il consiste en ceci : le corps doit être entièrement couvert jusqu’aux pieds, le vêtement extérieur doit être suffisamment ample, les cheveux doivent être couverts. Le tchador persan est l’une des tenues traditionnelles qui satisfont à ces critères (il ne cache pas le visage). D’autres tenues traditionnelles voilent également le visage : le niqab, courant dans les pays arabes du Golfe, et le tchadri ou burqa, courant en Afghanistan et dans les régions limitrophes du Pakistan. Ce sont ces deux dernières tenues qui font actuellement débat en France, en Belgique et en Suisse.

Les débats de société actuels
Je me contenterai de poser quelques jalons pour la réflexion.

1. Dans nos sociétés du XXIe siècle naissant, la diversité culturelle et religieuse est un fait, une réalité irréversible. La multiplicité des cultures est là, parmi nous, et il s’agit d’appliquer le précepte biblique de l’amour du prochain dans ce contexte.
2. Il est capital de distinguer Évangile et culture. Certains se plaisent à présenter la situation actuelle comme un « choc des civilisations ». Même si cela est vrai, la foi chrétienne n’est pas en jeu dans les débats sur la tenue vestimentaire. Et c’est une escroquerie intellectuelle (et spirituelle) que de faire croire que notre liberté vestimentaire actuelle tient d’une identité culturelle qui peut se parer du nom de « chrétienne ». Cela d’autant plus si on est d’un milieu évangélique. Nous avons la mémoire courte. Il n’y a pas si longtemps, il y avait, dans bien de nos milieux, un code vestimentaire (surtout pour les femmes) qui ne se réduisait pas à un principe général de décence. Avons-nous oublié les discussions sur l’interprétation de 1 Corinthiens 11 ? Cela ne doit pas nous empêcher de participer aux débats de société sur les tenues vestimentaires admissibles ou non dans la vie publique. Mais nous le faisons en tant que citoyens ; nous ne le faisons pas en tant que chrétiens.
3. Je me permets à présent d’avancer personnellement une opinion citoyenne. Dans nos cultures d’Europe occidentale, il est important de rencontrer l’autre à visage découvert. Les expressions faciales font partie de la communication non verbale indispensable à une bonne compréhension. Cela ne veut pas dire qu’il faut légiférer contre les visages voilés. Les personnes qui, dans nos pays, portent niqab ou burqa sont très peu nombreuses. N’est-il vraiment pas possible de discuter avec elles et de leur expliquer que nous sommes très gênés, pour ne pas dire contrariés, face à l’incapacité de communiquer à visage découvert ? Je ne suis pas sûr que nous ayons donné toutes ses chances au dialogue dans ce domaine.

En conclusion, j’aimerais poser une question : pourquoi réagissons-nous si fort à la vue d’une personne en tenue islamique (même quand le visage est découvert) ? Est-ce parce qu’il n’y a pas si longtemps, il a fallu lutter pour se libérer de codes qui étaient vécus comme des carcans ? Mais sommes-nous vraiment libérés si la vue d’une personne « non libérée » fait monter notre taux d’adrénaline ? Que par l’Évangile, nous puissions apprendre la vraie liberté, qui est liée à l’amour (Ga 5.13).

Marc Schoeni, théologien, pasteur, Église baptiste de Court (Suisse)

Article paru dans Le lien fraternel, revue de l’Association d’Eglises baptistes de langue française, janvier 2011, repris avec autorisation

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