Jusqu’où le Pape François ira-t-il ?

 Dans Christ Seul, Explorer

Le pape FrancoisAlors que la récente encyclique Laudato Si’ a connu un retentissement considérable, au-delà des Eglises, gros plan sur le pape François, son style et son apport, et sur les relations entre l’Eglise catholique et les autres Eglises. 

Par un mennonite qui l’a rencontré et qui connaît bien la situation mondiale des Eglises.

Propos recueillis par Michel Sommer

Christ Seul :
Dans le cadre de tes fonctions, tu as eu l’occasion de rencontrer le pape François. As-tu noté quelque chose de particulier par rapport à des rencontres avec d’autres papes ?

Larry Miller : La première fois que j’ai rencontré le pape François, il était encore archevêque de Buenos Aires. J’ai été frappé par sa simplicité, sa chaleur et son humanité. Je n’ai pas pensé: « Voici un futur pape. » La fois suivante, c’était le lendemain de son investiture en tant que pape François. Il n’avait pas changé. Et il n’a toujours pas changé. Je pense que cette impression de simplicité et de chaleur est bien communiquée par les médias. Dans son cas, et c’est peut-être inhabituel, ce que l’on voit de loin est aussi ce que l’on voit de près. Le pape Benoît était lui aussi un homme simple et chaleureux, mais il était plus introverti et il permettait à sa personne d’être complètement enveloppée dans la dignité traditionnelle de sa fonction. Lorsque je rencontrais le pape Benoît, j’étais plus conscient de sa fonction. Lorsque je rencontre le pape François, j’entre davantage en contact avec l’être humain.

Christ Seul : Parmi les paroles fortes et les gestes symboliques de ce pape, quelle parole et quel geste retiens-tu en premier, et pourquoi ?

Larry Miller : C’est le terme « miséricorde » qui me vient à l’esprit. Le pape François utilise ce mot autant ou même plus que tout autre, non seulement en public mais aussi en privé. C’est avec ce mot qu’il appelle les chrétiens et l’Eglise à voir dans les autres ce que nous voyons lorsque nous le rencontrons : l’humanité dans sa complexité et dans sa fragilité. C’est avec ce terme qu’il appelle les chrétiens et l’Eglise à une vie de disciple, à suivre Jésus dans son amour pour le monde, à s’occuper de ceux qui souffrent aux marges des Eglises et de la société. Chez le pape François, ce n’est pas de la rhétorique. Il ajoute à ce mot le geste et l’action. Quand il était archevêque de Buenos Aires, il vivait dans un petit appartement et allait en bus à son travail à l’archevêché. Au Vatican, il refuse d’emménager dans l’appartement papal au palais apostolique et reste dans un petit appartement de la Casa Maria et va au travail à pied. La Casa Santa Maria est l’hôtellerie du Vatican près de la cathédrale St Pierre où le pape François partage maintenant la salle à manger de ceux qui y sont logés, et il arrive qu’il les serve lorsqu’il remarque que leur verre ou leur assiette sont vides. Il fait construire des douches sur la place St Pierre pour les sans-logis ; il défie la tradition en lavant les pieds de personnes handicapées, de femmes, de personnes appartenant à d’autres religions – et cela me rappelle Jésus qui enfreignait les traditions stipulant quand et à qui on est autorisé à faire du bien. Tout cela est résumé dans la proclamation par le pape François d’une année jubilaire de miséricorde qui va commencer le 8 décembre. Je pense que ce serait merveilleux si les responsables mennonites proclamaient une année jubilaire et que nous les mennonites nous pratiquions une année de miséricordes de diverses manières, alliant des paroles à des actions de miséricorde, tant dans la société que dans nos communautés.

Christ Seul : Certains disent que le pape François ne va rien changer en matière de doctrine, mais qu’il a un autre style, ou qu’il propose une méthode pastorale renouvelée ; d’autres estiment que finalement et jusque là, il n’a pas fait grand-chose concrètement. Est-ce un pape réformateur ou pas ?

Larry Miller : D’habitude, la doctrine historique de l’Eglise, qu’il s’agisse de l’Eglise catholique ou des Eglises mennonites, ne change pas par une décision abrupte et par la proclamation d’un seul responsable, qu’il soit pape ou ancien. Lorsque la doctrine change de manière durable, cela se passe d’habitude sur une longue période et c’est autant une conséquence du changement dans la culture dominante de l’Eglise que le fruit d’une nouvelle révélation, d’une percée théologique ou d’un acte révolutionnaire. Le pape Benoît était avant tout un théologien dont le travail théologique ne mettait pas en question la culture traditionnelle de l’Eglise catholique. Le pape François est avant tout un pasteur dont la pratique pastorale remet en question des éléments importants de la culture catholique dominante. Je pense qu’il est beaucoup trop tôt pour dire si cette mise en question conduira à un consensus théologique assez large et assez profond pour opérer des changements ou des « développements » dans la doctrine catholique allant au-delà de ceux opérés par Vatican II. En attendant, il pourrait être judicieux pour nous mennonites de nous demander quels aspects de la doctrine mennonite gagneraient à être réformés.

Christ Seul : Les évangéliques italiens sont critiques envers ce pape et envers l’Église catholique romaine et estiment que celle-ci n’a en réalité pas changé (médiatrice du salut ; ajout de dogmes, sur Marie par ex. ; Eglise impériale liée à un Etat, etc.). Ont-ils raison de garder leurs distances pour appeler l’Église catholique romaine et son pape à des changements ?

Larry Miller : Les paroles, les gestes et les actes du pape François ont été assez forts pour provoquer des réactions contradictoires dans l’Eglise catholique et dans les autres Eglises. L’un des développements les plus surprenants pour ceux qui ne savaient pas quelle était sa pratique en tant qu’archevêque de Buenos Aires est le fait qu’il cherche le contact avec les évangéliques et les pentecôtistes – et qu’il utilise même le terme « Eglise » lorsqu’il parle d’eux et avec eux. Les responsables évangéliques et pentecôtistes du monde entier ont réagi de manières diverses à cela. Parmi les membres de l’Alliance évangélique mondiale (AEM), les évangéliques italiens sont les plus critiques, non seulement vis-à-vis de l’Eglise catholique et du pape François, mais aussi vis-à-vis des responsables de l’Alliance évangélique mondiale, parce qu’ils ont rencontré plusieurs fois le pape François. Les responsables de l’AEM réagissent en disant: « Nous reconnaissons les différences entre nos traditions respectives, catholique et évangélique, mais nous nous réjouissons des tâches que nous avons pu accomplir ensemble dans le passé et nous prions qu’il soit possible de poursuivre le travail ainsi effectué. […] Nous partageons la même foi dans notre Seigneur Jésus-Christ et le même désir de servir le royaume de Dieu, nous avons à cœur d’encourager le renouveau spirituel et la transformation de chacun et nous souhaitons passionnément faire connaître Jésus dans le monde entier. Nous cherchons à obéir au Christ et considérons le temps dans lequel nous vivons comme une ère nouvelle dans les relations entre évangéliques et catholiques. »
Comment décider combien de distance il devrait y avoir par rapport à ceux avec lesquels nous avons des différences doctrinales ? Dans la diversité du Nouveau Testament, la référence fondamentale est Jésus-Christ seul. « Christ seul » est la référence ultime, celle qui fait autorité. Du point de vue anabaptiste, il existe une référence corollaire et c’est la vie de disciple – suivre Jésus dans la vie au quotidien : « Nul ne peut connaître vraiment Christ s’il ne le suit dans la vie quotidienne et nul ne peut suivre Christ dans la vie quotidienne s’il ne le connaît vraiment » (Hans Denck). Ce que j’ai vu auprès du pape François, tant de loin que de près, m’amène à dire qu’il suit et connaît le Christ dans sa vie quotidienne. Je ne sais pas où cela le conduira, lui personnellement et l’Eglise catholique, du point de vue doctrinal. Mais je pense que si nous aussi nous voulons suivre Jésus-Christ au quotidien, nous avons une bonne raison de cheminer ensemble pendant une période et sur une distance encore non déterminée avec le pape François et son Eglise, malgré et en raison de nos différences doctrinales.

Christ Seul : Le 22 décembre 2014, lors de sa présentation des vœux à la curie romaine (les évêques en charge de l’administration), le pape François a très vivement dénoncé 15 maladies spirituelles (l’Alzheimer spirituel, c’est-à-dire la perte du premier amour ; la rivalité et la vanité ; la schizophrénie existentielle ; la médisance et le commérage ; la divinisation des chefs ; le visage lugubre, le profit mondain, l’accumulation des biens, etc.). Que penser d’une telle charge envers les « cadres » de son Eglise ?

Larry Miller : J’ai été surpris par la force de sa présentation. On trouve ce genre de critiques vis-à-vis des responsables de certaines Eglises dans les épîtres du Nouveau Testament. Ces lettres furent envoyées très loin, de sorte qu’on les a lues et qu’on y a réagi sans que l’auteur puisse entendre ces réactions. Mais ici, voici un responsable qui dit ces choses alors qu’il est au milieu de ceux avec lesquels il vit, chemine et travaille quotidiennement, ceux-là même qu’il a peut-être à l’esprit en disant ces paroles. Voilà qui n’est pas exactement politiquement correct ! Personnellement, je n’aurais pas le courage de le faire. Mais je pense que c’est un appel exemplaire à l’intégrité, aussi pour nous dans les autres Eglises. J’espère que cela portera des fruits tant dans l’Eglise catholique que dans d’autres Eglises.

Christ Seul : Quels seraient les obstacles à lever pour plus d’unité entre l’Église catholique romaine et les Eglises protestantes ? Ce pape peut-il y contribuer ?

Larry Miller : La réponse dépend dans une certaine mesure de la manière dont on comprend « l’unité », quelle Eglise protestante on a à l’esprit et quels catholiques sont impliqués. Je ne suis pas sûr qu’il y ait un obstacle à « plus » d’unité dans certains aspects de la vie chrétienne autres que le manque de volonté de la rechercher. Il y a un potentiel de plus d’unité, par exemple, dans la lecture de la Bible, la prière, le service, la mission, le plaidoyer publique et dans certains domaines de la théologie et de la doctrine, comme l’a montré la récente la « Déclaration commune sur la doctrine de la justification » publiée par l’Eglise catholique et la Fédération luthérienne mondiale. Mais même si les questions doctrinales étaient résolues dans un avenir qu’on ne peut encore prévoir et presque pas imaginer, la question du rôle du pape demeurera probablement. Pour la plupart des autres Eglises – non seulement pour les protestants plus anciens et pour les évangéliques plus récents, mais aussi pour les Eglises orthodoxes – la question de l’autorité du pape est un obstacle fondamental à une unité totale. Est-ce que le pape François peut contribuer à changer cela? L’autorité qui est au centre de l’Eglise catholique – et c’est ce qu’est le pape François – ne peut abandonner la continuité ou se rebeller contre elle-même. Mais il peut faire appel à des aspects de la continuité dans la tradition pour redéfinir le rôle de l’autorité. François fait quelques démarches dans ce sens, entre autres en diminuant gentiment l’influence de la Congrégation de la doctrine et de la foi et en donnant en même temps plus de place à d’autres, pas seulement aux responsables ecclésiastiques mais aussi à tout le « peuple de Dieu », y compris les hommes et les femmes laïcs, comme nous l’avons vu lors de la première partie du synode sur la famille.
La vie du pape François à la suite de Jésus et son témoignage publique au cours des deux années passées ont amélioré de manière significative l’image du christianisme aux yeux des non-chrétiens dans le monde entier. Lorsqu’il est devenu pape, les premières paroles adressées au monde entier ont été : « Priez pour moi ». Je pense qu’il n’a pas seulement besoin de nos prières, mais qu’il les mérite.

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