Leçons d’Irlande du Nord

 Dans Christ Seul, Stimuler

Campbell JoeJoe Campbell a été longtemps actif dans le domaine de la médiation dans son pays, avant et après l’accord de paix en 1998 dit de Vendredi saint entre catholiques et protestants. Retour sur son travail pour la paix par la médiation et leçons apprises sur le terrain…

Jeune professeur dans un lycée au nord de Belfast en Irlande du Nord durant les années 1970, il était clair pour moi que certaines tueries et violences politiques qui paralysaient la société étaient en fait soutenus par des jeunes au chômage à la fin de leurs études,  choisissant l’agitation et rejoignant une ou plusieurs organisations illégales et violentes de l’époque, par besoin de camaraderie. Ma réponse a été de réfléchir à ma foi chrétienne. Si ma foi n’avait rien à dire dans cette situation, alors je n’avais rien à dire. J’ai démissionné de l’enseignement et j’ai commencé à travailler directement avec ces jeunes dans le cadre d’un centre des Unions Chrétiennes de Jeunes Gens nouvellement ouvert en ville.  Un programme passionnant d’activités en plein air, de formations à l’emploi et de rencontres favorisant l’amitié entre jeunes catholiques et protestants. Il y avait certes des tensions et des défis, mais des vies ont été changées en bien, malgré les difficultés.

La violence était toujours encore présente partout en Irlande du Nord.  Après 11 années de travail sur le front de la jeunesse, j’avais besoin de  repos, au risque de craquer. Une année sabbatique au Anabaptist Mennonite Biblical Seminary à Elkhart, Indiana (USA) m’a préparé pour la phase suivante,  le travail pour la paix.

Après quatre années dans la formation de responsables jeunesse à leur travail difficile et plein de défis, d’autres possibilités se sont ouvertes. Durant mon année sabbatique, je m’étais formé pour le travail de médiation entre victimes et offenseurs, ce qui m’a permis, à mon retour à Belfast, de participer aux débuts de la petite organisation qui devint plus tard Mediation Network Northern Ireland. Je fus le troisième membre à rejoindre l’équipe. Après quelques années, nous étions 12 employés, 30 employés à temps partiel, et quelque 60 volontaires. Le travail consistait à mettre en œuvre le concept et la pratique de la médiation là où les conflits s’exprimaient. Généralement, cela se passait dans la rue, entre voisins ou entre hommes politiques, entre policiers et la population, sur le lieu de travail ou même dans les foyers.

Les cessez-le-feu de 1994, l’accord politique de 1998 et un gouvernement qui commençait lentement à partager le pouvoir, ont été des acquis considérables. Mais le prix des vies perdues, des vies brisées par les blessures et les émotions, le gaspillage de ressources sont incalculables et sont un affront à toute société, en particulier si elle se dit chrétienne. Il reste encore beaucoup à faire et il est temps pour la prochaine génération de continuer le travail, afin de mettre en place une société sûre dans laquelle chacun peut atteindre son plein développement.

 

10 leçons apprises 

  1. Croire que les gens peuvent changer. Même l’homme le plus violent et le plus aigri peut changer. La Bible nous l’enseigne, je l’ai vu et je le crois. C’est plus difficile à croire lorsque qu’un nouveau cycle de violence éclate. C’est pour cela que nous mettons en place des écoles et des Eglises : nous croyons que les gens peuvent changer et nous aussi nous pouvons changer.
  1. Tous les secteurs d’une société doivent jouer leur rôle dans le travail pour la paix. L’Eglise est importante, mais aussi les foyers, où les générations futures sont éduquées et où se forment leurs opinions. Les écoles doivent enseigner les techniques non-violentes d’interaction entre élèves. Chacun de nous a besoin de quitter sa manière de construire des relations et de comprendre ceux qui sont en désaccord avec lui. Le milieu des affaires a également un rôle important à jouer. La paix est bien trop importante pour être laissée aux hommes politiques ou aux ONG, même si tous deux sont importants.
  1. Tout type d’activité est important et approprié à des moments particuliers. De grandes manifestations publiques et une diplomatie discrète ont toutes deux leur place. Prière et action sont plus que nécessaires. Il faut travailler à la paix quand c’est possible et se retirer à d’autres moments lorsque c’est trop dangereux.
  1. Obtenir un cessez-le-feu ou signer un engagement politique sont des étapes importantes et formidables. Cependant, les efforts entrepris pour atteindre ces étapes doivent être poursuivis, sinon il y a un vrai risque de revenir au point de départ.
  1. Ceux qui sont engagés dans le travail pour la paix, particulièrement s’ils travaillent dans leur propre pays, ont besoin de repos et de temps à part pour prévenir le danger de l’épuisement… Pour ma famille et moi, le Mennonite Central Committee et Mennonite Mission Network nous ont permis de vivre une ou deux semaines par an de repos dans un lieu paisible en Europe. Nous en serons toujours reconnaissants.
  1. Construire la paix prend du temps, beaucoup de temps. Durant les années 1970 et 1980, j’étais convaincu que jamais je ne verrai la paix dans mon pays… Mes enfants peut-être… Mais la pression en faveur du changement et de la paix finit par gagner un jour… Les guerres commencent par les gens et les gens ont la capacité d’y mettre fin. Il n’existe pas de situation de violence où la paix soit impossible.
  1. Regarder au-delà de notre contexte irlandais était important. Trop souvent, nous étions tellement focalisés localement sur le résultat que nous étions incapables de voir d’autres voies possibles. Les visites de personnes engagées dans le travail pour la paix (du Peacebuilding Institute de Eastern Mennonite University en Virginie) nous ont aidés à entrevoir d’autres perspectives et d’autres possibilités. Non dans le but de faire le travail à notre place, mais pour marcher à nos côtés à travers la peur et à travers la colère provoquée par la violence.
  1. Le travail pour la justice est crucial et l’équilibre entre la justice et la construction de relations est délicat : il est difficile d’y parvenir. Cependant, il ne peut y avoir de paix là où il y a exploitation, inégalité et menaces d’oppression derrière les apparences, conduisant à l’humiliation. La paix dont parle Jésus n’est pas l’absence de guerre ni un silence renfrogné dans l’Eglise et la société. Sa paix est shalom, impliquant des relations saines avec tous les  peuples, l’environnement, avec soi-même et avec Dieu.
  1. La violence est prévisible et nous savons où elle mène, mais le travail pour la paix est souvent mystérieux. Nous devons faire des expériences, avoir du courage, prendre des risques. En faisant cela, nous pouvons échouer, mais nous pouvons découvrir que dans l’échec, autre chose peut advenir. Quelque chose sur quoi nous pouvons construire et que nous pouvons consolider sur le chemin vers la paix.
  1. Tout travail (ou presque) pour la paix se fait sous la pression d’une crise, dans l’espoir de retrouver un temps plus normal. Mais j’ai appris que la vie est une crise permanente et que le temps normal n’arrive pas. La méditation biblique, le fait de faire partie d’une communauté chrétienne qui a pris soin de moi, et la réalité de la présence constante de l’amour de Dieu en moi, ont été des facteurs importants pour tenir bon. Les choses ne dépendaient pas de moi-même. Construire la paix est l’œuvre de Dieu, on peut aussi appeler cela la construction de l’espérance.

 Joe Campbell, médiateur à la retraite, Irlande du Nord. Traduction de l’anglais par Jean-Paul Walther

 

Exemple : une médiation à haut risque

En juillet 1995, 5000 manifestant protestants de l’Ordre d’Orange veulent traverser un quartier catholique. La police les stoppe et les affrontements commencent. Le Mediation Network est contacté pour trouver une solution entre manifestants protestants et habitants du quartier catholique. Après 16 heures de dialogue, une solution est trouvée : une marche silencieuse, sans orchestre et avec un unique drapeau à travers le quartier dont les habitants ont l’autorisation de brandir des affiches contre la marche.

 

Bio en bref

D’origine presbytérienne, Joe Campbell a travaillé pour Mediation Network Northern Ireland avec le soutien de missions mennonites. Ce réseau de médiation était actif alors en politique, dans les domaines de la prison, de la famille et des Eglises. Une particularité du travail de Joe Campbell a été la formation en médiation de la police d’Irlande du Nord. En 2006, avec son épouse Janet, ils sont partis au Népal pour quatre ans où il a exercé comme conseiller dans le domaine de la résolution des conflits. Il est à la retraite dans son pays natal.

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