La terreur au nom de Dieu : un défi existentiel pour les croyants, par Larry Miller

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Pour prendre un peu de recul après les attentas du 13 novembre à Paris, nous proposons un texte écrit par Larry Miller, secrétaire général du Forum chrétien mondial, et ancien secrétaire général de la Conférence Mennonite Mondiale.

Un document présenté à la rencontre internationale pour la paix « Le courage d’espérer : dialogue entre religions et cultures », à la Communauté de Sant’Egidio, Rome, le 1er octobre 2013.

Même si le texte date un peu, il continue à faire sens…

A lire ci-dessous ou en pdf à télécharger : La terreur au nom de Dieu_Un défi existentiel pour les croyants

« La terreur au nom de Dieu : un défi existentiel pour les croyants »

Au cours des 30 dernières années, le terrorisme a connu une recrudescence et un changement dans sa nature et sa portée. Alors qu’il était auparavant principalement local et focalisé sur sa mise en oeuvre, le terrorisme est passé en avant-plan sur la scène mondiale et les victimes sont choisies aveuglément. Pour beaucoup, le terrorisme constitue l’une des plus graves menaces à la paix et la sécurité humaine.

Comme sous-entendu dans le titre de ce panel, le terrorisme contemporain revendique souvent une identité religieuse et utilise un langage religieux pour décrire ses attaques violentes contre l’ennemi. Suite à la destruction des tours jumelles aux Etats-Unis, Oussama Ben Laden a affirmé : « Voici l’Amérique frappée par Dieu dans l’un de ses organes vitaux […]. » Mais le caractère religieux du terrorisme aujourd’hui n’a d’égal que le caractère religieux des réactions dominantes à ces attaques. Plusieurs années après le commentaire de Ben Laden, George W. Bush a dit à un auditoire chrétien aux Etats-Unis: « Dieu m’a demandé de frapper al-Qaïda et je les ai frappés, et puis il m’a demandé de frapper Saddam, et c’est ce que j’ai fait. »

Tant de violence aujourd’hui est infligée au nom de Dieu, à la fois par ceux que l’on décrit couramment comme terroristes et par ceux qui les combattent, que cela a relancé de façon dramatique le débat sur le lien entre la religion et la violence. Pour beaucoup, ce débat met en question la croyance dans la nature fondamentalement bonne de la religion – en particulier la bonté des trois religions monothéistes. « Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait être le réel ‘axe du mal’ le journaliste britannique Christopher Hitchens a répondu: “Le christianisme, le judaïsme et l’islam”. »i

Ces développements posent un défi existentiel fondamental à la foi des croyants, en particulier des croyants pacifistes. Le défi est d’autant plus grand pour les croyants pour qui les textes sacrés racontant les événements fondateurs de leur foi rejettent l’utilisation de la violence meurtrière comme moyen de vaincre le mal – ce que font selon moi les récits de la vie, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth. Loin de montrer que « Dieu est de mon côté » et de fournir ainsi une justification pour « ma cause », ces récits révèlent que Dieu est du côté de ceux qui résistent au mal de façon non-violente, en choisissant de mourir au lieu de tuer, de donner leur vie plutôt que de prendre celle d’autrui.

Répondre à la terreur perpétrée au nom de Dieu : quatre pistes pour les croyants

Comment répondre au défi posé aux croyants par la violence menée au nom de Dieu ? Parmi les nombreuses réponses possibles et utiles, je suggère les quatre pistes suivantes, toutes reliées les unes aux autres.

(1) Mener une « évaluation de la terreur » au sein de sa propre tradition religieuse ; (2) refuser de participer à la « guerre sainte » contre le terrorisme ;

(3) s’engager dans des efforts de rétablissement de la paix juste à l’échelle locale et mondiale ;

(4) dissoudre les systèmes de croyances qui justifient la violence en invoquant le nom de Dieu.ii

1. Faire une « évaluation de la terreur » au sein de sa propre tradition religieuse

La première étape pour chaque communauté religieuse est de s’autoexaminer de façon critique, ce qui peut être fait au travers d’une « évaluation de la terreur »iii. Ce sondage est une évaluation honnête et attentive de la complicité historique, morale et théologique de sa propre communauté dans des actes de violence. Cette évaluation peut et doit conduire à la confession de péché, la recherche de pardon, la guérison des souvenirs, et un rétablissement des relations entre les communautés en conflit.

Une communauté ne peut pas faire une évaluation de la terreur pour une autre communauté. Chaque communauté doit procéder elle-même à l’évaluation. Et dans le monde d’aujourd’hui où tant d’attention est portée au terrorisme islamique, en particulier dans les communautés chrétiennes, il est impératif que les chrétiens prennent l’initiative d’évaluer leur implication dans la violence.

Beaucoup d’entre nous qui sommes chrétiens oublient l’histoire honteuse de « terreur » faite au nom du christianisme à travers les siècles : la violence des Croisades chrétiennes du 11e au 13e siècles, les poursuites de l’Inquisition catholique au Moyen-Age, les excommunications et peines capitales imposées mutuellement par les chrétiens à leurs opposants religieux lors de la Réforme protestante en Europe au 16e siècle, les Guerres de religion sanglantes qui ont suivi la Réforme, et les conversions forcées et l’esclavagisme lors de la conquête européenne des Amériques aux 17e et 18e siècles.

Mais cette évaluation chrétienne de la terreur doit aussi prendre en compte l’histoire récente. Après tout, « ce ne sont pas des “terroristes musulmans” qui ont apporté l’horreur au Rwanda ; ce sont des chrétiens qui tuaient d’autres chrétiens. Ce ne sont pas des sectes “démoniaques” qui ont posé des bombes en Irlande du Nord ; il s’agissait de chrétiens commettant des brutalités envers d’autres chrétiens. Ce ne sont pas des “communistes athées” qui ont institué un règne de la terreur en Afrique du Sud ; c’étaient des chrétiens qui enlevaient, torturaient, et assassinaient d’autres chrétiens. […] Même dans les Balkans, les violences entre chrétiens orthodoxes serbes et chrétiens catholiques croates étaient tout aussi vicieuses que celles entre chrétiens et musulmans. »iv

L’initiative du pape Jean-Paul II d’examiner de façon critique l’histoire catholique et de confesser ses fautes est un exemple d’évaluation de la terreur, même si elle ne portait pas ce nom et ne se concentrait pas uniquement sur la violence. Dans un mémorandum à tous les cardinaux en 1994, le Saint-Père a annoncé que la confession du péché institutionnel serait une partie importante des célébrations de l’année du Jubilé en 2000 à Rome. « Comment pouvons-nous garder le silence sur toutes les violence perpétrées au nom de la foi ? » a-t-il demandé, en mentionnant spécialement les « Guerres de religion, les tribunaux de l’Inquisition, et d’autres violations de la personne humaine ». Il est allé jusqu’à les comparer aux « crimes du nazisme d’Hitler et du stalinisme marxiste ». « L’Eglise, a-t-il dit, doit de sa propre initiative examiner les endroits sombres de l’Histoire et les juger à la lumière des principes évangéliques. […] L’Eglise a besoin d’une metanoia, un discernement des fautes et des échecs de ses membres historiques, pour répondre aux exigences de l’Evangile. »v

Ce discernement a conduit le pape, dans son homélie sur la Journée du Pardon (le 12 mars 2000), à confesser et demander pardon pour « les infidélités à l’Evangile commises par certains de nos frères, en particulier pendant le deuxième millénaire. Nous demandons pardon pour les divisions qui ont eu lieu parmi les chrétiens, pour la violence que certains ont utilisée au service de la vérité et pour les attitudes de méfiance et d’hostilité parfois adoptées envers les adeptes d’autres religions. »vi Certaines de ces « infidélités » ont été nommées plus précisément dans la prière universelle de confession de péché et de demande de pardon lors de la Journée du Pardon, et dans les échanges bilatéraux qui ont suivi.

2. Refuser de participer à la « guerre sainte » contre le terrorisme et de la cautionner

Au cours de la dernière décennie, la réponse internationale au terrorisme international a porté principalement sur le limitation de la terreur, principalement par l’utilisation massive d’armes à feu. Des milliards de dollars ont été dépensés et des milliers de vies sacrifiées dans la soi-disant « guerre contre le terrorisme mondial ». Bien que l’usure liée aux combats gagne du terrain dans certains pays, cette guerre a reçu un large soutien populaire, y compris de la part des chrétiens, qui la considèrent comme une sorte de « guerre sainte ». En fait, la « guerre sainte » est un miroir de la « terreur sainte ». Toutes deux considèrent leur action comme un devoir sacré. Toutes deux diabolisent leur adversaire. Toutes deux refusent de faire un compromis ou de négocier avec l’ennemi. La destruction de l’ennemi est considérée comme la seule voie vers une paix durable. Toutes deux se méfient de ceux qui appellent à la modération. Toutes deux cherchent la préemption plutôt que la prévention. Toutes deux perçoivent le problème comme une bataille à gagner plutôt que comme une injustice à résoudre. Combattre la « terreur sainte » par la « guerre sainte » ne fait que légitimer la méthode et renforcer la détermination de ceux qui brandissent la terreur au nom de la religion. Si l’on veut mettre fin à la terreur, la réponse devrait être reconceptualisée en termes autres que ceux de « guerre » ou, dans le cas des croyants, de « guerre sainte ».vii

Au lieu de penser en termes de guerre, que cela soit une « guerre sainte » ou même ce que la tradition chrétienne appelle une « guerre juste », il est plus utile de penser en termes de cadre juridique pénal et d’une « police juste ». Il ne s’agit pas de jouer avec les mots. Il y a bien une différence normative entre une action bonne et juste de la police et une action militaire. « Le travail des policiers est soumis à une retenue judiciaire ; il est guidé par les exigences de la justice procédurale ; il a des objectifs strictement limités (de contrôler les méfaits, et non de tuer tous les malfaiteurs) ; il ne pose pas de jugement et n’administre pas de punitions ; son pouvoir coercitif s’applique seulement à la partie contrevenante ; et il est attendu que les policiers exercent une force minimale dans l’accomplissement de leurs tâches. »viii

La création d’un cadre juridique international efficace et, dans ce cadre, d’un « maintien de l’ordre juste » mérite le soutien des croyants. La caution morale à la « guerre sainte » et la participation à celle-ci ne le méritent pas.

3. S’engager en faveur d’une « paix juste »

Le terrorisme religieux semble grandir plus facilement « dans les communautés démunies, opprimées et traumatisées, où les formes traditionnelles d’appartenance religieuse sont importantes ».ix Si tel est le cas, la prévention et le traitement thérapeutique de la terreur religieuse exigent de répondre aux « facteurs de base prédisposant à la violence, tels que la pauvreté, le chômage, le non-respect des droits de l’homme, l’endettement, l’accès aux armes, la faiblesse de l’Etat, la répression politique ou militaire, et d’autres injustices et humiliations »x, y compris celles qui limitent l’expression religieuse pacifique. En d’autres termes, la réponse au terrorisme exige des initiatives durables dans l’établissement d’une « paix juste ».

La résistance non-violente est au coeur de la paix juste. Mais la paix juste va au-delà de la résistance à l’oppression et du rejet de la violence. Elle est enracinée dans le respect de la dignité de chaque homme et de chaque femme. La paix juste englobe la justice sociale, le respect de la loi et une sécurité partagée. Elle renforce les institutions de la société civile et la pratique de la liberté religieuse. Elle identifie les intérêts de sécurité communs des adversaires, tout en favorisant des méthodes coopératives de résolution des conflits et la justice restaurative. Bref, la paix juste est un « processus de libération de la peur et du besoin, de dépassement de l’hostilité, de la discrimination et de l’oppression, et d’établissement des conditions pour des relations justes privilégiant l’expérience des plus vulnérables […] ».xi

Les croyants qui confessent que Dieu est un Dieu de paix sont appelés à agir en faveur de l’établissement d’une paix juste à l’échelle locale et mondiale.

4. Remplacer les systèmes de croyances qui sanctifient les massacres au nom de Dieu

Le terrorisme au nom de Dieu n’est pas seulement une réponse à la pauvreté, l’oppression ou l’humiliation. Tout comme « la guerre sainte », il est aussi l’expression d’une « vision théologique du monde, qui repose sur une appropriation sélective des textes et thèmes clés d’une tradition sacrée, et est alimenté par une détermination à défendre la vraie religion contre les forces de l’apostasie et de la dilution ».xii C’est pourquoi, dans notre réponse au défi de la violence religieuse, la tâche la plus particulière aux croyants pourrait être de remettre en question et de remplacer ces systèmes de croyances au sein de leurs propres communautés religieuses, en articulant et en préconisant des théologies et pratiques qui favorisent la paix juste, l’action non-violente, la transformation des conflits, la réconciliation des adversaires, et la guérison des mémoires. Bien que ce soit une tâche pour tous les croyants dans ces communautés, cette tâche incombe en particulier aux responsables des communautés religieuses.

Comment pouvons-nous réaliser cette tâche ? En plus de l’évaluation auto-critique de la terreur, au moins cinq réponses interdépendantes sont nécessaires :

  • Nous devons mettre en question chaque justification théologique ou religieuse de l’utilisation de toute forme de violence léthale, non seulement la violence du « terrorisme », mais aussi la violence des « guerres » utilisées pour le combattre.

  • Nous devons affirmer la légitimité complète des croyants qui résistent de façon active et non-violente à toutes les formes d’injustice et d’oppression. Les préoccupations de ceux qui utilisent la violence au nom de Dieu peuvent parfois être légitimes, même si leurs méthodes et convictions idéologiques ou théologiques ne le sont pas.

  • Nous devons nous engager dans la construction de relations humaines et de la confiance au-delà des barrières de confession ou de religion. Cela ne concerne pas seulement les universitaires et les théologiens, ou seulement le niveau international. Il est urgent et fondamental de « rapprocher les communautés religieuses locales par un contact direct, à la fois pour exprimer leur acceptation de l’autre en tant qu’être humain de valeur égale, et pour explorer la façon dont les perceptions des uns et des autres peuvent promouvoir »xiii la dignité humaine et la paix juste pour tous.

  • Nous devons investir massivement dans l’éducation des membres de nos communautés religieuses pour « accueillir de façon chaleureuse d’autres traditions, et contester les voix extrémistes au sein de (nos) propres traditions […] Des laïcs engagés et théologiquement éclairés constituent une ressource importante pour résister à la voix de la violence. Les croyants bien informés peuvent questionner les militants au sein de leur tradition théologique, et encourager d’autres à rejeter l’appel aux armes ».xiv

  • Nous devons soutenir pleinement le développement et l’utilisation de mécanismes de transformation des conflits et de réconciliation inspirés par la foi. A cet égard, les dirigeants des communautés religieuses sont responsables « d’identifier et de mettre en évidence les parties de leur tradition sacrée qui placent la paix et le pardon au-dessus de l’intérêt personnel et qui affirment le caractère sacré de la vie au-dessus de tout le reste […] ».xv

Si nous arrivons non seulement à entreprendre ces tâches mais aussi à les maintenir dans le temps, nous pourrons répondre avec une certaine efficacité au défi existentiel posé aux croyants par le blasphème de la violence perpétrée au nom du Dieu de Paix et de toute Bonté.

« Le courage d’espérer : dialogue entre religions et cultures »

Rencontre internationale pour la paix, Communauté de Sant ‘Egidio

Panel 28 : « La terreur au nom de Dieu : un défi existentiel pour les croyants » Rome, 1er octobre 2013

Larry Miller, Forum chrétien mondial, Secrétaire général, Strasbourg, France

Traduction : Améline Nussbaumer

Notes

i Cité par Christopher D. Marshall, « For God’s sake: Religious Violence, Terrorism, and the Peace of Christ », en ligne: http://www.micahnetwork.org/sites/default/files/doc/library/religion_and_conflict_0.pdf, p. 6. Consulté le 23 septembre 2013.

ii Ces idées, ainsi que la plupart des autres dans cette présentation, proviennent de Christopher D. Marshall, directeur du Département d’Histoire de l’art, langues anciennes et d’études religieuses à l’Université Victoria de Wellington, Nouvelle-Zélande. C.Marshall est spécialisé dans l’étude de l’éthique, la théologie et la pratique de la paix, et la justice restorative – à la fois au niveau théorique et pratique.

iii C. Marshall, « For God’s sake », p. 16.

iv Lee Griffith, The War on Terrorism and the Terror of God (Grand Rapids: Mich. : Wm B. Eerdmans, 2002), p. 6.

v Ivan J. Kauffman, « Facing the Inquisition: A Pope seeks Pardon », America (10 décembre 2007), p. 25-26.

vii Cf. C. Marshall, p. 11.

viii Christopher D. Marshall, « Religious violence, Terrorism and restorative justice », in : Daniel Van Ness et Gerry Johnston (sous dir.), Handbook on Restorative Justice (Uffculme Cullompton, Devon: Willan Publishers, 2007), p. 381.

ix C. Marshall, « For God’s sake », p. 12.

x C. Marshall, « For God’s sake », p. 12.

xi Conseil oecuménique des Eglises, « An Ecumenical Call to Just Peace: “Guide our feet into the way of peace (Luc 1:79)” » (Genève: Conseil oecuménique des Eglises, 2011), en ligne:http://www.overcomingviolence.org/fileadmin/dov/files/iepc/resources/ECJustPeace_English.pdf p. 5. Consulté le 23 septembre 2013.

xii C. Marshall, « For God’s sake », p. 13.

xiii C. Marshall, « For God’s sake », p. 14.

xiv C. Marshall, « For God’s sake », p. 14.

xv C. Marshall, « For God’s sake », p. 15.

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