Le repos du sabbat, une œuvre spirituelle
Si auparavant pouvait exister un légalisme du sabbat ou du dimanche, le risque aujourd’hui est plutôt d’ignorer la vertu du sabbat. Point de vue biblique.
Le jour où un ami m’a avoué qu’il avait une aventure avec une autre femme que la sienne, je lui ai parlé des conséquences de son comportement et lui ai dit que, s’il voulait sauver son couple, il devait interrompre cette liaison. Le jour où un visiteur de prison m’a dit qu’il rencontrait régulièrement un homme qui avait commis un crime particulièrement horrible, nous avons parlé du sens de la rédemption. Le jour où j’ai lu dans un journal qu’un homme politique avait fait un faux témoignage pour arranger un ami, j’ai été scandalisé. Le jour où, dans une soirée, un convive m’a demandé ce que faisait un pasteur, j’ai été très fier de lui répondre que je travaillais beaucoup et que cela faisait trois semaines que je n’avais pas pris le moindre jour de repos… J’ai dû ravaler ma fierté lorsque je me suis souvenu que, dans l’Écriture, le commandement du sabbat est dans le Décalogue et qu’il a la même valeur que l’interdiction de l’adultère, du meurtre ou du faux témoignage ! Pourquoi est-il aussi grave de ne jamais s’arrêter de travailler que de commettre un adultère, de tuer ou de voler ? C’est que, dans le respect du sabbat, il se joue une dimension fondamentale de la dignité humaine.
LE REPOS COMME COMMANDEMENT
En méditant le premier chapitre de la Genèse, les sages se sont demandé : si Dieu avait sept jours à sa disposition pour créer le monde, pourquoi s’est-il dépêché pour que tout soit achevé au soir du sixième jour ? Rachi de Troyes a répondu que la création n’était pas achevée le sixième jour, il manquait un élément essentiel : le repos. Le repos n’est pas une absence de travail, c’est une oeuvre en tant que telle. C’est ce qui a fait dire à Abraham Heschel : « Le travail est un métier, mais le parfait non-agir est un art. On y atteint par un accord de l’imagination, de l’esprit et du corps. Pour exceller dans un art, il faut en accepter la discipline. » Pour nous initier à cet art, la Bible ne parle pas du repos comme d’une concession faite à la fragilité de notre humanité, mais comme d’un commandement. Le sabbat n’est pas un temps de récupération parce qu’il faut bien faire reposer la machine, il est une oeuvre spirituelle.
Les deux versions des dix paroles dans le Premier Testament sont très voisines à une exception près : la justification du quatrième commandement. Dans la version du livre de l’Exode, nous devons faire mémoire du sabbat, car Dieu a créé le monde en six jours et il s’est reposé le septième et l’a béni (Ex 20.11). Le sabbat est une façon de se souvenir de la création de Dieu et de vivre dans sa bénédiction, il est un jour de mémoire et de louange. Dans la version du livre du Deutéronome, nous devons garder le sabbat afin de nous souvenir de la période de l’esclavage et de la libération de Dieu (Dt 5.15). Le sabbat prend ici une coloration sociale, il est un commandement qui empêche de se laisser asservir par son travail.
CONTRE-CULTUREL
La contemplation et le repos sont des contestations des valeurs de notre temps. L’idéologie de notre monde est comme un gaz incolore, inodore et sans saveur, on l’inhale sans s’en apercevoir. Progressivement, on se laisse façonner par la pensée dominante qui nous fait croire que la valeur d’un individu est proportionnelle à sa surface financière, à la notoriété de son travail, à la qualité de son carnet d’adresses et au nombre de personnes qui le reconnaissent. Le sabbat remet en question cette logique. Comme le disait le rabbin Joseph Telushkin : « Ce qui fonde la théologie du sabbat, c’est la notion révolutionnaire que l’être humain est digne de considération même lorsqu’il ne travaille pas, ne produit rien. »
LE DIMANCHE COMME CADEAU
Dans les évangiles, Jésus a contesté le sabbat, notamment dans son ministère de guérison. Si Jésus avait respecté la compréhension du sabbat de son époque, il n’aurait fait aucune guérison ce jour-là. S’il avait méprisé le sabbat en en faisant un jour comme les autres, la statistique aurait voulu que le septième des guérisons tombe un sabbat. Dans les évangiles, c’est plus de la moitié des guérisons qui ont eu lieu ce jour-là. Il n’est pas besoin d’être un fin statisticien pour découvrir que nous sommes au-delà du hasard et que cette fréquence répond à une intention théologique. En guérissant le septième jour, Jésus ne fait pas que contester le caractère trop légaliste du commandement, il lui donne son vrai sens, il en fait un jour de grâce. Le sabbat a quelque chose à voir avec la guérison, c’est une libération, une oeuvre de salut.
Puisque la tradition chrétienne a institué le dimanche comme jour de sabbat, nous sommes invités à revisiter la façon dont nous habitons nos dimanches pour en faire des jours de grâce. Si nous sommes épuisés par notre semaine, que le dimanche soit un vrai jour de repos, mais que ce soit surtout un jour où nous nous recentrons sur l’essentiel et où nous prenons le temps de la méditation et de la gratitude, le temps de se faire des cadeaux, des visites, des surprises…, nous dire des mots d’amour, partager des témoignages de reconnaissance…,