500 ans des Réformes – Deux questions non résolues : l’unité de l’Eglise et le Sola scriptura

 Dans 500 ans des Réformes, Blog

Difficile de parler d’une seule « Réforme » : l’Église n’a pas cessé de connaître des réformes tout au long de ses deux millénaires d’existence. Neal Blough, professeur d’histoire de l’Eglise, revient aux fondements des questionnements. Qu’est-ce que l’Église et où se trouve son autorité ? Réponse tout en nuances. Quatrième article de cette série.

« Réforme » n’était pas un mot nouveau à l’époque de Luther. Déjà un siècle auparavant, au Concile de Constance, où l’on a réglé la question du schisme papal (Avignon ou Rome ?), la nécessité de réformer l’Église dans sa tête (la hiérarchie) et ses membres (la base) a été proclamée haut et fort. Au 11e siècle a eu lieu la « réforme grégorienne » qui a cherché à arracher l’Eglise de la main des pouvoirs politiques. Les mouvements monastiques ont connu des réformes nombreuses. Protestants et catholiques évoquent une Église semper reformanda, toujours en train de se réformer.

 

Conservatisme et adaptation

La nécessité constante de réforme vient non seulement du fait que l’Église peut être infidèle, mais aussi du fait qu’elle est « dans le monde » sans « être du monde ». Elle vit dans une tension constante entre sa mission de transmettre un Évangile qui « ne change pas » et le fait de se trouver constamment dans des contextes nouveaux. L’Église se voit souvent tiraillée entre un conservatisme qui ne veut rien changer et des adaptations puisant leur contenu plus du contexte que de l’Évangile, ce que nous appelons « syncrétisme ». Dire et vivre l’Evangile dans des contextes différents implique la nécessité constante de discernement, d’adaptation, de réforme, ainsi que la possibilité d’aller dans le mauvais sens.

Cherchons donc à discerner. En 2017, nous commémorons la Réforme mise en mouvement par Martin Luther. Cette Réforme, qui a aussi donné naissance à nos Églises mennonites, a accompli des choses qui étaient nécessaires, mais a aussi généré des conséquences non prévues avec lesquelles nous vivons toujours. Plutôt que de poser la question « que faudrait-il réformer aujourd’hui ? », nous examinerons deux questions restées ouvertes depuis Luther et la naissance du protestantisme.

 

Qu’est-ce que l’Église ?

Dès le Nouveau Testament et les premiers siècles de l’histoire chrétienne, l’unité de l’Église est vue comme quelque chose de fondamental. Cette unité est même devenue un article de foi dans le symbole de Nicée-Constantinople où il est question de l’Église « une, sainte, catholique et apostolique ». Les réformateurs, y compris anabaptistes, n’ont jamais remis en question cette formulation.

Ainsi, Luther et d’autres ne cherchaient pas à diviser l’Église, mais à la « guérir », dans son ensemble et localement. Le résultat a cependant été de nombreux schismes qui, dans le monde protestant et évangélique, se sont multipliés jusqu’à donner lieu à des milliers de dénominations aujourd’hui. Même si le désir de gérer localement la vie religieuse était un élément important au 16e siècle, les réformes (protestantes et catholiques) effectuées alors concernaient l’ensemble de l’Église occidentale. La « sur-centralisation » de l’Église médiévale a été l’une des cibles des réformateurs. La rupture a provoqué des Églises se proclamant « catholiques », mais en concurrence et conflit. Comme souvent, une réalité trop centralisée ou autoritaire provoque en réaction l’éclatement en morceaux.

 

Église locale ou centralisée

En réagissant – avec raison – à la centralisation, avec le temps, les familles protestantes se sont souvent éloignées de la vision de l’Église une. Pour beaucoup de mennonites, l’Église est surtout sinon exclusivement locale. Pour beaucoup de protestants, l’Eglise est au mieux nationale. Que dire ?

Ø  Si toute Église est locale, elle n’est pas que cela. L’Eglise est aussi universelle et osons le dire catholique. Dans beaucoup de lieux, des Églises locales existent tout en s’ignorant ou en se méprisant.

Ø  Les efforts missionnaires ont porté du fruit. Si, dans l’Europe sécularisée, le christianisme est souvent en recul, la présence de chrétiens issus de l’immigration nous rappelle que l’Église connait une expansion rapide en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il y a un siècle, les mennonites d’Europe représentaient 50 % des mennonites dans le monde. Aujourd’hui, nous ne sommes que 4 %, dépassés largement par l’Éthiopie, l’Indonésie et la République démocratique du Congo. C’est un phénomène mondial dont nous n’avons pas commencé à mesurer les implications. Les Occidentaux sont minoritaires dans une Église mondiale en voie de transformation rapide. Mais les efforts missionnaires ont trop souvent transplanté les divisions de l’Occident, compliquant encore plus la question.

Ø  Les deux constats précédents impliquent l’importance d’une participation plus consciente aux efforts pour guérir les schismes et pour mieux collaborer entre chrétiens, aux niveaux local, régional, national et international. Ce n’est évidemment pas facile, mais le Christ a prié pour l’unité de ses disciples « afin que le monde croie ». Le manque d’unité des chrétiens nuit à la mission de l’Église.

Pour nous, la Conférence mennonite mondiale (CMM) semble être un pas important pour répondre à ces constats. Elle dépend et émane de la réalité locale des communautés mennonites, tout en les ouvrant à une réalité mondiale où le « Sud » prédomine désormais. Tout en cherchant à consolider une identité anabaptiste-mennonite, elle entre aussi en dialogue avec d’autres familles chrétiennes en vue d’une meilleure compréhension et collaboration. La CMM cherche en même temps à répercuter l’impact de ces dialogues sur le plan local et régional.

 

Qu’est-ce que l’autorité et où se trouve-t-elle ?

Si les chrétiens ne sont pas unis depuis la Réforme, c’est qu’il y a parfois (mais pas toujours) des différences théologiques importantes. Luther a posé le principe de sola scriptura, l’Ecriture seule, comme autorité et moyen de réforme face à l’Église médiévale. Les anabaptistes ont critiqué Luther et d’autres, justement à partir de ce même principe scripturaire. Dans un certain sens, il serait possible de décrire la Réforme comme un débat pour savoir qui a le droit d’interpréter l’Écriture : une hiérarchie avec ses traditions séculaires accumulées ou un regard nouveau sur l’Écriture seule débarrassé du poids des siècles. Tout en étant nécessaire et utile, le sola scriptura pose la question de savoir quelle est la bonne lecture de l’Écriture. À partir de la même Écriture, les réformateurs n’étaient pas capables trouver un accord sur la nature de l’Église, la cène, le baptême, l’éthique ou le lien avec l’autorité politique. Comment un texte, qui a besoin d’être lu et interprété dans des situations différentes, peut-il faire autorité ? Qui est autorisé pour le lire, que fait-on lorsqu’il y a désaccord ? Voici une source importante de nos difficultés actuelles.

Le problème n’était pas nouveau au siècle de Luther. L’Église ancienne avait rapidement découvert la nécessité d’avoir des « règles de foi », c’est-à-dire des « poteaux indicateurs » pour guider son interprétation biblique. Lors des conciles des premiers siècles, l’Église ancienne rassemblait des représentants de l’ensemble des communautés pour débattre des questions telles l’Incarnation et la Trinité. Les Églises catholiques, orthodoxes et protestantes reconnaissent les quatre premiers conciles « œcuméniques » comme « guides de lecture », mais depuis le 11e siècle, il n’y a plus de lieu reconnu par tous les chrétiens pour aborder les débats théologiques ou éthiques. Il n’y a plus de lieux où tous sont représentés.

 

Désaccords légitimes ou non

Que faire devant des différences de compréhension de l’Écriture ? Les familles mondiales (catholique, orthodoxe, protestante, évangélique) ont chacune commencé à réfléchir sur leur propre plan global, mais aussi entre elles. Le Forum chrétien mondial est un nouvel effort pour créer un lieu où toutes les familles chrétiennes se trouvent autour de la table. Des instances plus locales comme le Réseau évangélique, le Conseil national des évangéliques de France ou la Fédération protestante de France cherchent aussi établir des accords théologiques et éthiques. Le discernement théologique et éthique revient aux communautés locales, mais en même temps concerne toute l’Église. L’impossibilité pour les chrétiens de parler d’une seule voix est un empêchement majeur pour leur témoignage dans le monde. La question est complexe : quels sont les désaccords légitimes et lesquels ne le sont pas ? Nous connaissons les questions qui se posent sur la politique, l’éthique, l’argent, la sexualité, les doctrines fondamentales…

Encore une fois, la CMM en consultant ses Eglises membres pour produire les Convictions communes nous aide à avancer dans ce sens, et les échanges avec les autres familles nous apprennent nos propres manquements et contribuent à enrichir la réflexion des autres.

 

Être solidement mennonite au sein de l’Église chrétienne mondiale

Ne nous faisons pas trop d’illusions : même si des progrès importants ont été faits, l’unité des chrétiens n’est pas pour demain et les débats théologiques continueront à créer des tensions. Néanmoins, l’Église est appelée à être une, localement et au-delà, et à transmettre l’Évangile et ses conséquences pratiques et éthiques de manière fidèle. Le travail théologique est aussi important, car l’Évangile ne s’invente pas, nous ne sommes pas maitres de son contenu, il est à transmettre de génération en génération, dans des contextes différents et nouveaux.

Pour les mennonites, je plaiderais pour travailler et maintenir une identité solide à partir des intuitions qui sont les nôtres depuis le 16e siècle. Le monde et l’Église plus large ont besoin de l’Évangile de paix et de réconciliation, d’une Église qui ne se laisse pas inféoder aux pouvoirs politiques ni aux mentalités ambiantes qui vont à l’encontre de l’enseignement du Christ.

Mais nous ne sommes pas seuls, et probablement pas les meilleurs. Nous devons prendre notre place, en tant que mennonites convaincus, mais ouverts aux autres, au sein de la famille chrétienne mondiale. Ce n’est pas une tâche facile, mais c’est une nécessité biblique et théologique. Et si l’Église était une famille mondiale connue pour la paix, la réconciliation, la non-violence, le partage économique, son témoignage serait plus crédible qu’il ne l’est actuellement. Si nous nous proclamons être une « Église de paix », pourquoi sommes-nous si souvent absents des efforts pour guérir les plaies de l’Église ?

Neal Blough, directeur du Centre Mennonite de Paris, professeur d’histoire de l’Eglise à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine

Cet article est paru également dans Perspectives, mensuel des Eglises mennonites de Suisse, avril 2017, p. 4-5

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