Une réforme aujourd’hui ? On se trompe d’époque !
Après quelques articles (et avant d’autres à venir) sur les réformes dont l’Eglise aurait besoin aujourd’hui, voici un article quelque peu décalé de Frédéric de Coninck, qui questionne le fait même de vouloir appliquer l’idée de réforme aujourd’hui à l’Eglise.
Au début du XVIe siècle, pratiquement toutes les personnes vivant en Europe de l’Ouest, à l’exception des juifs, se disaient catholiques. Un schisme séparait l’Europe en deux, avec les catholiques d’un côté et les orthodoxes de l’autre. Quand Luther a affiché ses thèses, il entendait proposer une réforme interne à l’Eglise catholique. Il n’était pas le premier à la proposer. Des mouvements dissidents existaient (les hussites en Bohème, les vaudois en Italie et dans le sud de la France, par exemple) mais ils n’avaient pas vraiment ébranlé ce socle qu’était l’Eglise romaine. Elle disposait d’un pouvoir politique, financier et moral considérable. Les élections des papes opposaient des factions rivales et relevaient bien plus de la géopolitique que de la théologie.
Une séparation au lieu d’une réforme
C’est ce bloc que Luther espérait réformer et la portée d’une telle revendication était forcément considérable, vu la place prise par l’institution Eglise dans la société de ce temps. Contraint par les événements, il a produit une séparation au lieu d’une réforme. Mais même cette séparation a produit des effets majeurs dans un tel contexte. Par la suite, les Eglises issues de la Réforme ont toujours contribué à l’émiettement des groupes religieux, la plupart des propositions de réforme se traduisant par l’émergence d’une nouvelle Eglise. Mais la portée de ces émiettements successifs n’a cessé de décroître.
A chacun son Eglise
Siècle après siècle, cela a débouché sur le tableau d’ensemble actuel qui est parfaitement adapté à l’économie de marché : on peut trouver à peu près n’importe quoi au sein du foisonnement des groupes se réclamant du christianisme. Chacun est libre de fréquenter l’Eglise qui correspond à ses convictions, de s’associer à la spiritualité qui lui convient et de mener le mode de vie qui lui plaît. On trouve les partisans de la prospérité et ceux de la vie simple ; des défenseurs de la morale traditionnelle et des partisans de l’accommodement aux tendances de la modernité ; des défenseurs des puits pétroliers et des écologistes ; des partisans de la guerre et des pacifistes ; des tenants d’une piété émotionnelle et des partisans d’une foi plus rationnelle. On rencontre des groupuscules qui se chamaillent pour des points de doctrine qui laissent perplexes les non-chrétiens.
Quelle Eglise réformer ?
Quelle est donc l’Eglise qu’il conviendrait de réformer ? De recherche d’une Eglise plus « pure » en recherche d’une Eglise plus « pure », j’ai bien peur que nous ayons collectivement fait fausse route et oublié l’importance du travail de discussion, de confrontation interne, ainsi que la nécessité de la patience et de la tolérance. Les invectives et les accusations d’hérésie volent vite et il est tellement simple de régler un conflit par l’exclusion !
Pendant ce temps, le monde autour de nous a complètement changé. En Europe de l’Ouest, la religion n’est plus au centre des préoccupations (sauf quand des poseurs de bombe s’en réclament). Nos divisions et nos débats laissent de marbre nos contemporains. Ils sont, sans doute, toujours à la recherche d’une bonne nouvelle qui donnerait sens à leur vie. Mais pour le reste, l’heure me semble plus être à l’ouverture et au dialogue entre chrétiens, qu’à la recherche d’une n+1ème réforme qui croirait rebattre les cartes d’une manière décisive.
Frédéric de Coninck est chercheur en sociologie (depuis peu à la retraite) et prédicateur à l’Eglise mennonite de Villeneuve-le-Comte