Un pasteur s’en va…

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Par Michel Paret

L’actuel système capitaliste et l’éducation qui le conforte nous obligent à découper notre existence en périodes : études, travail, retraite. Ces coupures génèrent des situations heureuses et malheureuses que viennent amplifier les événements de la vie. La plupart d’entre nous travaillons ou avons travaillé pour (sur)vivre dans ce monde. Il n’en a pas toujours été ainsi. Il existe encore quelques groupes qui vivent sur un rythme naturel ; et plus près de nous, des familles et communautés alternatives avec des emphases différentes.

Comme beaucoup, l’Évangile m’a libéré, libéré pour servir. Jeune, j’ai découvert cette légèreté et choisi d’en vivre, devenant ainsi « socialement inclassable, politiquement indigestible, religieusement irrécupérable »[1]. Au long de ma vie professionnelle j’ai eu le privilège de servir et vivre de cette vocation. Néanmoins il m’est arrivé, pour de courtes périodes, de vendre mon activité, marchandiser ma vie pour avoir le droit de consommer. Hormis ces rares moments, je n’ai pas été prisonnier du travail salarié, menacé d’élimination économique ou d’obsolescence productive. Tout en vivant dans une certaine précarité, j’ai connu le bonheur que procure un service (diakonia) gratuit à autrui. En famille nous avons plutôt réussi à satisfaire nos besoins ou tout du moins à être satisfaits dans une vie relativement simplifiée.

À l’heure de la retraite, mon corps m’a déjà signifié qu’il fallait retrouver un rythme adapté, regardant en arrière, le constat est sans appel. Ma vie professionnelle (ou vie active !) a été caractérisée par la gratuité et même une certaine forme d’inutilité. Rarement contraint ; mêlant vita activa et vita contemplativa, vivant à un rythme humain et non selon les horloges du « temps modernes », j’ai pu servir. D’ailleurs, pendant mes années d’aumônerie hospitalière, il aura été difficile à l’administration d’accepter que je n’aie pas d’horaires fixes, ni ne pointe, tout en restant salarié contractuel de la fonction publique.

Ce n’est pas le seul paradoxe d’une vie au service de l’Évangile et de l’Église. Tout d’abord parce que les deux ne sont pas toujours compatibles[2]… Et reste le sacro-saint statut de prêtrise donné par l’ensemble des fidèles au ministre tout en proclamant la doctrine du sacerdoce universel. Je regrette de ne pas avoir été plus porteur d’une parole de libération, me contentant souvent d’un service pastoral proche de l’aumônerie d’un troupeau quand il aurait fallu être prophète. Ce qui interroge sur le ministère pastoral aujourd’hui et sa formation. De son côté, Bernard Raymond écrit : « Qu’elle soit grande ou petite, un pasteur n’est jamais au service d’une Église. Plus exactement, le seul et meilleur service qu’il puisse lui rendre est d’être opiniâtrement en son sein un serviteur de la parole de Dieu. C’est très différent, car il n’est pas là pour satisfaire aux différents caprices de la communauté au sein de laquelle il exerce son ministère, mais pour la faire bénéficier des échos de cette parole »[3].

Ces dernières années, le ministère pastoral a été mon métier. J’en suis heureux. Pas forcément content de moi ou satisfait de vous, mais profondément en paix parce que j’ai l’intime conviction que j’ai servi.

Pour conclure, je vous laisse méditer cette phrase d’Elisée Reclus[4] : « Ah ! Mes amis, rien ne déprave comme le succès ! Tant que notre triomphe ne sera pas en même temps celui de tous, ayons la chance de ne jamais réussir ; soyons toujours vaincus ! ».

Michel Paret, pasteur

Photo : Luke Stackepoole

 

[1]     Jean Abel, A la recherche, L’autre incertain, 2012, p. 42.

[2]     Robin R. Meyers, Saving Jesus from the Church, Harper One, 2009.

[3]     Bernard Raymond, Le protestantisme et ses pasteurs, une belle histoire bientôt finie ?, Labor et Fides, 2007, p. 26.

[4]     Elisée Reclus (1830-1905) citoyen du monde, précurseur de la géographie-sociale, politique, historique, de l’écologie… végétarien, naturiste, espérantiste et d’origine protestante.

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