La justice restaurative

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La Justice Réparatrice ou Restaurative – Africanité, universalité et intersectionnalité

Ce texte fait suite à la conférence de Fidèle Lumeya donnée dans le cadre du Centre de Formation à la Justice et à la Paix le 29 juillet 2021.

Fidele Ayu Lumeya est congolais, diplômé de Eastern Mennonite University en ‘Conflit, Justice et paix’, praticien de peacebuilding dans différents pays d’Afrique.

Pourquoi cette recherche ?

En réponse aux défis auxquels sont confrontés les systèmes de justice de par le monde, plusieurs pays, comme la France, le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, les États-Unis, etc. ont choisi de trouver des alternatives à la justice dite moderne, d’où la justice réparatrice ou restaurative. Partout où elle est pratiquée, la justice réparatrice s’inspire en grande partie des réponses autochtones et coutumières. Ces réponses dites autochtones et coutumières sont à la base de cette recherche.

Pour beaucoup des communautés autochtones, surtout dans le grand Sud, comme en République Démocratique du Congo, la justice occidentale ou moderne a fait plus de mal que de bien dans les communautés, à cause de son caractère répressif, c’est-à-dire le système de punir les auteurs sans se soucier de la victime. L’accent mis sur la punition pour les crimes commis semble n’avoir pas réussi à satisfaire plusieurs communautés qui sont restées ainsi sur leur soif d’une justice sociale et équitable, considérant la justice moderne comme un instrument en faveur de l’État, des élites et des officiels, d’où la nécessité d’une approche différente.

Il a existé, en Afrique, une justice dite traditionnelle avant l’arrivée du colonisateur européen. Les communautés autochtones ont pratiqué et continuent de pratiquer une justice réparatrice. Comme résultat de cette pratique, on constate que des réponses autochtones et coutumières n’ont créé en Afrique ni prison ni cachot avant l’arrivée du colon blanc. Alors qu’aujourd’hui une partie de la population vit dans les prisons et des cachots.

Qu’est-ce que la justice réparatrice/restaurative ?

Différentes perspectives pour comprendre la Justice réparatrice

  1. Perspective africaine

Le Yédu-Yédu (voir article CS n°1124)

  1. Universalité de la justice réparatrice/restaurative.

En Europe en général et en France en particulier, l’expression « justice restaurative » est plus fréquemment employée que « justice réparatrice ». Mais les deux désignent le même concept. Il y a mésentente sur la bonne façon de traduire le terme anglais Restorative Justice.

  • La justice restaurative est un processus par lequel la victime d’une infraction, un auteur ou toute personne concernée par celle-ci, échange avec l’aide d’une tierce personne indépendante, impartiale et formée, sur les conséquences de l’infraction, et les traumatismes qui en résultent. (Cela correspond au Ngenji dans le Yédu Yédu)
  • La justice réparatrice est une pratique qui a une provenance très ancienne. Elle prend son origine dans des traditions culturelles et religieuses des peuples autochtones d’Amérique du Nord et de Nouvelle-Zélande.
  • Le concept moderne de la justice réparatrice s’est développé dans les années 1970, notamment au Canada et aux États-Unis, à partir de critiques émises quant au système de justice pénale et son administration. Les premières expériences des mesures de justice réparatrice au Canada ont eu lieu en 1974, à Kitchener en Ontario, sous la forme de médiation en matière pénale.
  • Au Québec (Canada) vers la fin des années 1970, des projets concernant des adolescents voient le jour dans quelques communautés. Le but était de permettre aux jeunes de réparer le tort qu’ils avaient causé, tout en évitant d’être confrontés au processus judiciaire. Jusqu’à aujourd’hui, un grand nombre d’initiatives de justice réparatrice a émergé dans plusieurs milliers de communautés un peu partout au Canada et dans le monde.
  • Ainsi, la justice réparatrice est généralement définie comme une approche pour lutter contre les préjudices causés par la criminalité tout en tenant l’auteur responsable de ses actes, en donnant aux parties directement touchées par le crime – victimes, délinquants et collectivités – l’occasion d’identifier et de répondre à leurs besoins à la suite du crime.
  • Du côté du Service Correctionnel du Canada, on définit plutôt la justice réparatrice comme étant une philosophie et une approche dans le cadre duquel la criminalité et les conflits sont considérés surtout comme des torts causés aux personnes et aux relations. Elle vise à offrir du soutien aux personnes touchées par un crime ou un conflit ainsi que la possibilité de communiquer et de participer à des processus pour favoriser la responsabilisation, la réparation et le cheminement vers la compréhension, la satisfaction, la guérison, la sécurité et l’apaisement.

En conclusion :  l’aspect de l’universalisme de la justice réparatrice/restaurative se reflète dans les trois aspects : le respect, la responsabilité, la relation.

  1. Intersectionnalité

L’intersectionnalité étudie les formes de domination et de discrimination, non pas séparément, mais dans les liens qui se nouent entre elles, en partant du principe que les différenciations sociales comme le genre, la race, la classe ou l’orientation sexuelle ne sont pas cloisonnées, ou encore les rapports de domination entre catégories sociales ne peuvent pas être entièrement expliqués s’ils sont étudiés séparément les uns des autres. L’intersectionnalité entreprend donc d’étudier les intersections entre ces différents phénomènes. Elle analyse les rapports sociaux aux niveaux macrosociologiques et microsociologiques. Par macrosociologique, on entend la façon dont les systèmes de pouvoir expliquent le maintien des inégalités ; par microsociologique, on entend l’analyse des systèmes d’inégalités dans les trajectoires individuelles. Cette dualité macro/micro caractérise la recherche intersectionnelle.

Mais qu’est-ce que la justice réparatrice et comment doit-elle faire partie d’une analyse intersectionnelle ? D’entrée de jeu, il n’existe pas de consensus sur la définition exacte de ce concept. Howard Zehr, considéré comme l’un des pionniers de la justice restaurative, propose la définition suivante : « La justice restauratrice est un processus qui vise à impliquer, dans la mesure du possible, toutes les parties concernées par une infraction spécifique, et qui cherche à identifier et à traiter de manière collective les souffrances, les besoins et les obligations, de façon à guérir et réparer autant que faire se peut.

La justice restaurative procure un espace de dialogue de nature à offrir aux personnes impliquées, qui souffrent des répercussions du crime, la possibilité de se rencontrer pour en questionner le « pourquoi » et le « comment ». Ses promesses sont susceptibles de s’épanouir tant dans le champ de la prévention des conflits intersubjectifs que dans celui de la réaction sociale au phénomène criminel. Dans ce dernier cas, elles s’inscrivent, en totale complémentarité, au sein du système de justice pénale.

Le processus est dynamique et il suppose la participation volontaire de tous ceux et toutes celles qui s’estiment concerné(e)s par le conflit de nature criminelle, afin d’envisager ensemble un dialogue, par une participation active, en présence et sous le contrôle d’un assistant juridique et avec l’accompagnement éventuel d’un psychologue et/ou travailleur social. Les solutions doivent être les meilleures pour chacun, de nature à conduire, par leur responsabilisation, à la restauration et au retour à l’harmonie sociale communautaire.

Il découle de cette définition que la justice restaurative n’est en aucun cas orientée vers le pardon, qu’elle n’a aucune intention thérapeutique et que la spiritualité qui l’anime n’a aucune prétention prosélyte. De réinvention anglo-saxonne, elle doit s’adapter au contexte culturel de notre pays. Il importe de souligner que le processus même que mettent en œuvre les rencontres restauratives, au sens large, est aussi important que la rencontre elle-même, selon les situations à prendre en compte.

En aucun cas opposée à la sanction de l’acte et à la réparation indemnitaire de la victime – de la seule compétence du juge pénal – la justice restaurative n’a pas davantage pour ambition de conduire, directement, à des aménagements de peine ou à des réparations matérielles particulières.

Chaque participant vient y cheminer, à son rythme, selon ses besoins, ses attentes, ses aptitudes avec le soutien, le cas échéant, de ses proches et/ou de membres de leurs communautés d’appartenance. Il va sans dire que le professionnalisme, spécifique et abouti, des intervenant(e)s est la clé de voûte de la justice restaurative.

Si les définitions de la justice réparatrice sont nombreuses, certains principes de base sont incontournables. Le premier principe est que le comportement criminel, en plus de causer préjudice à la victime, porte également atteinte à la communauté et au criminel lui-même. Au contraire de la justice pénale traditionnelle, ce n’est pas l’État qui est considéré comme lésé lorsqu’un crime est commis, ce qui donne lieu à une tout autre manière d’aborder le règlement de la justice.

Selon Howard Zehr, le crime est, fondamentalement, une violation à l’égard des personnes et des relations interpersonnelles. Le crime porte préjudice en premier lieu à la victime directe, mais également à la communauté, de façon indirecte. Dans la justice réparatrice, on mise sur l’implication de la victime, de la communauté et du contrevenant, qui sont vus comme des parties centrales du processus de réparation.

L’État peut avoir un certain rôle à jouer pour faciliter le processus, mais il n’est pas au cœur de celui-ci. Le tort engendré par l’acte criminel crée, pour son auteur, l’obligation de le réparer. Celui-ci est amené à se rendre compte du préjudice qu’il a causé à la victime et à adopter des moyens de le réparer. Le crime engage également des responsabilités de la communauté : supporter les victimes d’actes criminels et participer à la réinsertion sociale des délinquants.

Conclusion

La justice réparatrice vise la réhumanisation holistique de la victime, du bourreau et de la communauté tout entière. Le crime déshumanise la personne humaine dans son entièreté.  Une guérison des blessures causées à toutes les parties par le crime et la réparation de tort causé est nécessaire à la réhumanisation.

La justice réparatrice a comme objectif de combler les besoins tant de la victime, que ceux du contrevenant et de la communauté. Les victimes d’actes criminels ont souvent des besoins qui ne sont pas comblés par le système de justice traditionnelle. Selon H. Zehr, la justice réparatrice permet de prendre en considération de tels besoins, comme le besoin d’information, le besoin de pouvoir dire la vérité sur ce qui s’est réellement passé, le besoin de responsabilisation en ayant une place dans le processus judiciaire et le besoin de réparation et de justification. Concernant le contrevenant, le processus de justice réparatrice a pour but de l’amener à prendre conscience et à reconnaître le mal qu’il a causé à la victime et à prendre les mesures nécessaires pour réparer le tort subi par la victime autant que possible. On vise également à réintégrer les contrevenants dans la communauté, bien que l’emprisonnement ne soit pas exclu pour certains cas. Enfin, la justice réparatrice vise à prendre en compte les besoins des membres de la communauté en tant que victimes secondaires du crime, à construire un sentiment de responsabilisation partagé face à la criminalité et promouvoir le soutien aux victimes, ainsi qu’aux infracteurs. Ainsi, la justice réparatrice peut avoir des avantages pour toutes les parties impliquées.

Cette approche ne représente toutefois pas une solution miracle pour remplacer le système de justice pénale officielle. Il y a des situations où l’application d’un processus de justice réparatrice n’est pas appropriée (par exemple, lorsqu’il n’y a pas participation volontaire de l’une des parties). Elle ne représente pas non plus nécessairement une solution de rechange à la prison. De plus, la justice réparatrice ne fait pas l’unanimité au sein des groupes de défense des droits des victimes. Certains craignent que la victime ne subisse une victimisation secondaire due à l’augmentation de ses responsabilités dans le processus de justice, puisqu’elle prend une place centrale dans le processus de justice réparatrice. Toutefois, des études ayant procédé à l’évaluation des pratiques de justice réparatrice ont montré que les victimes apprécient grandement les interventions réparatrices en tant que complément aux procédures judiciaires. Elles seraient même plus satisfaites de ces interventions que de la procédure judiciaire en soi.

 

Photo : À Kinshasa, des personnes déplacées de guerre participent à un cercle de justice restaurative

Crédit : Fidèle Ayu Lumeya

 

 

 

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