Un monde animal qui échappe à notre prise

 Dans Christ Seul

Les réflexions chrétiennes sur la création se limitent trop souvent aux deux premiers chapitres de la Genèse. Mais il existe de nombreux autres passages qui nous parlent du monde créé par Dieu et de la place de l’homme dans ce monde.

Le psaume 104, par exemple, est une vaste fresque dans laquelle l’homme ne fait que de brèves apparitions. « Au lever du soleil, les bêtes se retirent dans leurs tanières et l’homme va à son travail et à ses cultures jusqu’au soir » (Ps 104.22-23). On ne nous en dit guère plus. La quasi-totalité du psaume décrit le monde créé, et le monde animal en particulier, d’une manière décentrée par rapport à l’homme. La mer, les montagnes et les animaux ont leur propre vie et Dieu s’occupe d’eux tout comme il s’occupe de l’homme (cf. v. 27-30).

Et il existe un grand texte sur la création qui passe inaperçu, car il nous surprend et nous déroute : la réponse de Dieu à Job (Jb 38-41). Or il s’agit d’un texte décisif qui tourne complètement le dos à l’idée d’une maîtrise de l’homme sur la création et sur le monde animal en particulier.

JOB ET LE DEUIL DE LA MAÎTRISE SUR LES ÊTRES

Crédit photo Claude Nardin

Au départ, j’ai lu, comme beaucoup d’autres, le livre de Job comme traitant de l’énigme du « juste souffrant ». Quand je le lis et relis, au fil des années, un thème, apparemment secondaire, prend de plus en plus d’importance, à mes yeux : celui de la perte de maîtrise sur la nature, sur les autres et, de la même manière, sur les animaux. Il est possible que j’y sois de plus en plus sensible du fait qu’il est de plus en plus évident que l’évolution de la nature nous échappe, que nous faisons des ravages que nous ne parvenons pas à contrebalancer et que les réactions négatives du monde naturel commencent à nous impacter gravement sans que nous puissions y faire face. Othmar Keel, théologien allemand qui a longuement étudié le livre de Job, a écrit une postface, au moment de la traduction française de son livre Dieu répond à Job¹, où il prend conscience, lui aussi, alors qu’il voit poindre la crise écologique à la fin du 20e siècle, de l’incroyable portée de ce texte pour une théologie de la création.

Le thème est déjà présent dans certains chapitres antérieurs du livre de Job. Au chapitre 28, par exemple, on trouve une longue méditation sur le savoir technique de l’homme, dans le domaine minier, et sur ses limites. Aux chapitres 29 et 30, Job découvre un arrière-monde social qu’il dominait, par le passé, et dans lequel il se retrouve plongé. Alors que ses amis l’interrogent sur une faute morale, Dieu l’interroge sur sa maîtrise illusoire. Job s’imaginait aux manettes d’un monde dont il était le centre : « Quand j’avais parlé, nul ne répliquait, sur eux goutte à goutte tombaient mes paroles » (Jb 29.22).

LE RIRE ET L’ONAGRE

Crédit photo Ansgar Scheffold.

Or, dans sa réponse finale, Dieu va lui dévoiler tout un monde qui lui échappe radicalement, notamment au chapitre 39, qui décrit une vie animale sauvage qui tourne le dos à la civilisation humaine. L’onagre (âne sauvage) est un des points d’orgue de ce tableau : « Qui a mis en liberté l’âne sauvage, qui a délié les liens de l’onagre, auquel j’ai assigné la steppe pour maison, la terre salée pour demeure ? Il se rit du vacarme des villes et n’entend jamais l’ânier vociférer » (Jb 39.5-7).

Depuis le 17e siècle (au moins), nous nous sommes imaginé le monde naturel comme un objet sur lequel nous pouvions agir sans dommage. Selon le mot de Francis Bacon, on
obéissait à la nature pour la commander. Et, dans la foulée, on a pensé qu’il nous serait possible de domestiquer le monde animal. Nous avons piétiné des écosystèmes qui avaient une logique que nous ne comprenions pas. Nous avons provoqué la disparition d’espèces sans nous émouvoir.

Et aujourd’hui, pour autant que nous commencions à comprendre les interrelations fines et complexes entre les différentes espèces animales, depuis les êtres microscopiques jusqu’aux grands mammifères, nous nous retrouvons comme Job face à l’onagre qui se rit du vacarme des villes.

¹Éd. du Cerf, 1993. L’édition originale datait de 1978.

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