L’énigme des paraboles

 Dans Christ Seul

Lorsque les disciples de Jésus lui demandent pourquoi il utilise des paraboles pour enseigner aux foules, Jésus répond : « C’est pour qu’en voyant ils ne voient pas, en entendant ils n’entendent pas et ne comprennent pas ! » (Mt 13.13). Donc, si Jésus parlait en paraboles, c’était pour ne pas être compris. Comment en est-on arrivé là ?

Aujourd’hui, beaucoup de paraboles nous sont familières. Certaines sont même entrées dans la culture (la paille et la poutre, le bon Samaritain, etc.), au point qu’il pourrait nous sembler que ces histoires n’avaient qu’une fonction : celle de faciliter la compréhension de la Bonne nouvelle apportée par Jésus. Mais comment ces histoires ont-elles été reçues lors de leur première écoute ?

DES HISTOIRES MYSTÉRIEUSES

La Parabole du Bon Samaritain par Domenico Fetti (v. 1620), musée Thyssen-Bornemisza, Madrid.

On sait que Jésus n’expliquait pas toujours le sens de ses paraboles et pouvait laisser ses auditeurs déboussolés quant à la signification de ces récits étranges. C’est d’ailleurs pour donner suite à l’absence d’explication de leur maître que les disciples lui demandent : « Pourquoi parles-tu en paraboles ? » (Mt 13.10). Jésus vient de raconter une histoire de semeur, de grains tombés dans différents terrains produisant des résultats divers. Et Jésus de conclure : « Que celui qui a des oreilles entende ! » (Mt 13.9). Et ensuite… ? Rien. C’est tout. Fin de l’histoire et fin de la leçon. Pas d’autre explication. On comprend mieux la surprise des disciples dont la question à Jésus pourrait être reformulée ainsi : « Pourquoi te contentes-tu de raconter des histoires mystérieuses et n’enseignes-tu pas clairement ton message aux foules ? Pas étonnant que tout le monde ne te suive pas : les gens ne te comprennent pas… »

À cette question, Jésus répond : « Il vous a été donné, à vous, de connaître les mystères du règne des cieux, mais à eux cela n’a pas été donné » (Mt 13.11). Quelle parole choquante ! Jésus parlerait donc par « énigmes » (traduction possible du grec parabolè), non pas pour captiver son auditoire ou faciliter la compréhension de son enseignement, mais pour… ne pas être compris ? La suite de l’explication de Jésus est encore plus surprenante. Citant Ésaïe 6.10, il explique que cette absence de compréhension a des conséquences tragiques : elle empêche le peuple de se repentir et donc d’accueillir le salut de Dieu. Jésus obscurcirait donc la Bonne nouvelle en la formulant en énigmes afin d’empêcher la foule de la comprendre et d’être sauvée ?

UNE MÉTAPARABOLE

Afin de mieux saisir ces affirmations paradoxales de Jésus, faisons un pas en arrière et intégrons le contexte de ces paroles. Juste avant cet échange avec les disciples, Jésus a raconté à la foule la parabole du semeur et des quatre terrains (Mt 13.3-9). À la suite de ces déclarations étranges à ses disciples, il donne l’interprétation de la parabole, mais uniquement à ces derniers (Mt 13.18-23). Or cette célèbre histoire pourrait être considérée comme une « métaparabole » : une parabole à propos des paraboles, une parabole qui explique pourquoi Jésus parle en paraboles.

Jésus y enseigne que, comme les grains semés, la « parole du Règne » (Mt 13.19) qu’il annonce ne porte pas toujours du fruit. Bien qu’elle ait ce pouvoir en elle-même, cela dépend du terrain qui la reçoit, c’est-à-dire du comportement que chacun adopte lorsque la Bonne nouvelle lui parvient. Comme les auditeurs de Jésus, tous entendent les paraboles du « règne des cieux », mais elles ne portent du fruit que chez une minorité (un sur quatre, selon la parabole). Et ce qui diffère entre les terrains, ce ne sont pas les grains semés, mais la préparation du sol, c’est-à-dire la réponse que chacun va apporter à sa rencontre avec la « parole du Règne ». Cette parabole illustre ainsi la différence entre la foule et les disciples : tous entendent, mais seuls les seconds portent du fruit.

LES DISCIPLES ET LES AUTRES

Sermon sur la montagne, Carl Heinrich Bloch, 1877, Museum of Natural History, Copenhague.

La manière dont Jésus choisit de transmettre cette parabole confirme cette distinction entre la foule et les disciples : si tous peuvent entendre l’histoire, son interprétation est réservée aux disciples.

Une autre parole, prononcée par Jésus dans le même passage, illustre cette inégalité de traitement. Afin de justifier que la connaissance des mystères n’a été donnée qu’aux disciples, il déclare : « Car on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a » (Mt 13.11-12). Pourquoi un tel élitisme ? Pourquoi réserver l’Évangile à certains privilégiés, alors qu’il est censé être proclamé à tous, jusqu’aux derniers (cf. Lc 4.18) ?

Posons le problème autrement. Quelle est la différence entre les disciples et la foule ? Tous sont Israélites, tous voient Jésus et entendent ses paroles. Qu’est-ce que les disciples ont alors de spécial ? La réponse est triviale : ils sont disciples. Cela signifie qu’ils ne se sont pas contentés d’appartenir à un peuple élu ou de venir voir et écouter un envoyé qui fait les signes de Dieu. Ils sont entrés en relation avec lui, de personne à personne. Ils se sont attachés à lui. Ils ont choisi de faire de lui leur priorité, d’abandonner ce qui faisait leurs vies pour le suivre et lui obéir.

En enseignant en paraboles, en prêchant par énigmes, Jésus contraint les auditeurs qui veulent le comprendre à s’approcher de lui, à sortir de la foule. Il les oblige à dire « je », à l’interroger, à entrer en dialogue, en relation avec lui. Le revers de cet enseignement, c’est que celui qui l’entend, voit ces signes de Dieu et choisit de ne pas s’approcher, celui-là a reçu suffisamment d’éléments pour être tenu responsable de son éloignement, de sa perdition. C’est le sens de la terrible explication de Jésus basée sur Ésaïe 6 (Mt 13.13-17) : l’enseignement de Jésus est suffisant pour condamner celui qui le refuse, mais insuffisant en lui-même pour sauver celui qui se contente de l’écouter.

PARABOLISONS !

Et nous qui connaissons les paraboles et en avons souvent déchiffré les énigmes, que nous reste-t-il ? Nous pourrions nous demander quelles sont aujourd’hui les « paraboles » que Dieu met sur nos chemins ? Quelles sont ces énigmes par lesquelles il nous invite à nous tourner vers lui pour recevoir son explication, son enseignement ? Aujourd’hui comme hier, Jésus ne s’adresse pas à nous uniquement avec des phrases connues, polies par les ans, mais également à travers des mystères du quotidien qu’il nous invite à résoudre avec lui afin de mieux le connaître.

« Avez-vous compris tout cela ? demanda Jésus [à ses disciples]. Oui, répondirent-ils. Il leur dit : Ainsi donc, tout spécialiste des Écritures qui devient disciple du royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes. » (Mt 13.51-52)

 

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