Tiercé

La dernière fois que j’ai voulu sortir mon harmonica de la poche, il a fait de la résistance. Quelque chose clochait, et, à son air renfrogné, j’ai compris que pour une fois la coopération allait se révéler difficile…

– Dis-moi tout, pourquoi es-tu fâché ?
– Ce mensuel dans lequel nous chroniquons, CHRIST SEUL, dont la devise est : « Nul ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, c’est-à-dire Jésus- Christ », se met maintenant à faire l’apologie des jeux de hasard et en particulier de la publicité pour le loto !
– Et c’est pour cela que tu boudes ?
– Parfaitement ! Ce jeune Samuel manque de tenue et même s’il ne joue qu’occasionnellement, même si apparemment – plein de bonne volonté – ses gains hypothétiques se transformaient en autant de bienfaits, ses états d’âme et ses remords sont à exposer ailleurs !
– Il a l’inexpérience de la jeunesse… – Inexpérience ? Mon oeil, avec ses références et son pedigree. Jeunesse ? Peut-être… Effectivement, ce n’est pas toi qui te laisserais aller à de tels dérapages : à ton âge, quand on fait, on a au moins la prudence de se taire…
– Je te savais de mauvaise humeur, mais des accusations comme ça, c’est trop ! Je veux des preuves.
– Mais tout de suite et sans même quitter le domaine qui nous occupe.
– De ce côté-là, je me sens à l’aise, tu auras du mal à me coincer.
– Et ton tiercé ?
– Mon tiercé ? Où ? Quand ? Comment ?
– Ton tiercé pendant tes vacances à Marseille. Certes, c’était il y a longtemps.
– Mon tiercé ? Mais ce n’est même pas moi qui ai joué ! – « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. » En tout cas, c’était quelqu’un de très proche, de si proche que tu n’as rien fait pour l’en dissuader.
– Le coup de la pomme, je connais : suis-je responsable des actes des autres ? D’ailleurs ce que tu ignores, c’est qu’intérieurement, j’ai prié très fort pour que le Seigneur donne une bonne leçon au coupable !
– Et ça a marché ?
– Au-delà de toute espérance : on a gagné. Certes, dans le désordre, mais ça faisait quand même pas mal de sous.
– Personnellement, si j’avais été le Seigneur, pour dégoûter quelqu’un, j’aurais utilisé une autre méthode.
– Et pourquoi donc ? Il n’a ni voulu qu’on se « refasse » en jouant à nouveau, ni donné un gain trop considérable, ce qui aurait, en aiguisant les appétits, pu inciter à recommencer.
– Tu fais une analyse assez curieuse de la situation… Mais dis-moi, toi ou ton double, vous avez rejoué ?
– Jamais.