En tension entre deux mondes
Un peu comme des chauves-souris, mi-souris mi-oiseau, nous sommes appelés en tant que chrétiens à vivre en tension entre deux mondes. Souris qui vole ou oiseau avec une gueule de rat, la chauve-souris n’est bienvenue ni dans le monde de la gente ailée, ni dans celle des rongeurs… Expérience particulière…
J’ai connu une de ces expériences en 1976. Ma femme et moi nous préparions cet été-là à quitter les États-Unis pour un séjour de deux ans de service à l’étranger, d’abord en France pour étudier la langue, puis en Côte d’Ivoire pour un ministère d’enseignement au sein d’une Église d’Afrique de l’Ouest.
Nous nous efforcions d’adapter nos lunettes culturelles pour appréhender la vie d’un point de vue différent. Nous comprenions de mieux en mieux comment Dieu s’y prenait pour abattre les barrières culturelles ancestrales et rassembler en une seule famille des membres issus de peuples et tribus différentes. Nous avons eu alors bien difficultés à comprendre pourquoi tant de nos compatriotes américains, animés d’une ferveur patriotique, étaient convaincus que « Si tu n’aimes pas l’Amérique, alors dégage !» (« Love America or leave it »)… » Les années passant, ce sentiment d’être « chauve-souris » n’a fait que s’aggraver.
L’AVENIR APPARTIENT AUX MÉTIS !
Je suis arrivé à un tournant dans ma compréhension de la mission en lisant au milieu des années 80 un article intitulé « L’avenir appartient aux métis » sous la plume de Léopold Sedar Senghor, politicien et auteur sénégalais de renom. Senghor était particulièrement bien placé pour comprendre cette réalité. Noir originaire d’Afrique de l’Ouest, il a épousé une femme blanche française avec laquelle il a eu des enfants qu’il décrit comme « à cheval entre deux cultures ».
En observant ses propres enfants et les milieux où ils vivaient, il en est venu à admirer et même à envier l’aisance et le naturel avec lesquels ils évoluaient librement entre ces diverses réalités. « Loin d’être un handicap, écrit Senghor, le fait d’être bi-culturel est un don et une bénédiction. Les métis en ce monde, poursuit-il, sont les mieux placés pour nous aider à dépasser les limites de notre provincialisme tribal et nous introduire à la créativité et au dynamisme de la communauté multiculturelle mondiale à venir. »
J’observe que les personnes qui ont le plus contribué à faire avancer le projet de Dieu dans ce monde se situent sans honte au milieu de cette tension entre des réalités culturelles différentes tout en construisant des ponts entre elles. C’était le cas de Moïse qui n’a pu accomplir ce qu’il a fait que parce qu’il était immergé aussi bien dans la réalité des palais de Pharaon que celle des quartiers des esclaves hébreux. L’apôtre Paul de même naviguait avec beaucoup de facilité dans le monde des philosophes grecs aussi bien que celui des prophètes hébreux. Martin Luther King a passé son enfance à Atlanta, en Géorgie, dans un quartier situé exactement sur la frontière entre les communautés noire et blanche. Et enfin, Jésus de Nazareth, nous a donné le modèle le plus explicite de ce que veut dire chercher le Royaume de Dieu, « sur terre… comme dans les cieux ».
TRADUIT PAR DANIEL GOLDSCHMIDT DE “ IS IT INSENSITIVE TO SHARE YOUR FAITH ? ”, GOOD BOOKS, 2005, P. 85-87