Apprendre à mourir
Deux femmes accompagnant des malades et des personnes en fin de vie partagent leur manière d’être et de faire. Où ressort l’importance de l’écoute, de l’attention, de la mise en mots, de la relation. Une leçon de vie !
« Ah ! Madame le pasteur ! Je ne me sens pas particulièrement bien aujourd’hui… J’ai très mal… Je sens que c’est bientôt la fin… Et ce qui me fait le plus mal, c’est que je n’ai pas de réponse à mes questions : pourquoi moi ? Mourir si jeune, à 45 ans ? Que fait Dieu ? Est-ce qu’on pourra m’aider à mourir le moment venu ? » Quand une rencontre s’ouvre avec de tels propos, l’aumônier est appelé à une authenticité et à une humilité sans détours. L’accompagnement spirituel d’un patient en Unité de Soins Palliatifs (USP) se fait pour moi dans le respect de son humanité, en marchant à son rythme, dans ses silences, ses questions, ses doutes, ses émotions, ses régressions, ses revirements.
AFFRONTER SA PROPRE MORT
Affronter sa propre mort est une expérience unique. C’est un défi de vie visant par exemple à régler ce que l’on n’a pas encore dit, fait, été et que l’on aimerait achever ou parachever au moment de la mort C’est aussi un rendez-vous avec soi-même, avec l’authenticité, où tous les faux-semblants tombent. C’est enfin un essentiel où toutes les questions existentielles de l’humain fondent sur vous et vous terrassent, sans que vous y trouviez forcément une réponse.
RENDEZ-VOUS AVEC LA SOUFFRANCE
Affronter sa propre mort est très souvent un rendez-vous avec la souffrance. Souffrance physique : parfois très grande et que l’on ne peut pas toujours soulager entièrement. Souffrance psychologique : rapport à l’identité perdue, changée, difficultés relationnelles, de communication, dépendance. Souffrance spirituelle : Dieu existe-t-il ? Qu’y a-t-il après la mort ? Qu’est-ce que la mort ? Y a-t-il une vie après la mort ? Quelle espérance est la plus réconfortante ?… La mort est une rupture, que l’on soit croyant ou non. Elle recèle en elle une certaine violence qui frappe le mourant et son entourage.
SE FAIRE TOUT À TOUS…
L’aumônier, l’accompagnateur, dans sa présence, doit être conscient de ces éléments et avoir eu l’honnêteté intérieure d’appréhender sa propre mort et le ressenti qu’elle provoque en lui. Dans ma pratique, se faire tout à tous (1 Co 9,22) me semble être une approche ouverte, généreuse et respectueuse ; pouvoir supporter sa propre impuissance à soulager, répondre, agir, comprendre. Accepter d’être là, tout simplement, accueillir ses propres angoisses comme celles de l’autre sans les fuir ou les nier est hautement estimé par le patient. Le langage est celui du coeur, de la vie. Le questionnement éthique auquel nous sommes parfois confrontés en équipe (je collabore en équipe pluridisciplinaire avec les soignants de l’Unité de Soins Palliatifs) nous oblige à réfléchir ensemble en conjuguant nos talents. Lorsqu’un accompagnement devient trop difficile, savoir passer le relais est une sage attitude. Ce travail pastoral riche, exigeant, me fait pousser des portes sur des paysages inconnus, toujours nouveaux où la qualité de l’échange me suspend à des instants d’éternité que je ne voudrais manquer pour rien au monde. L’accompagnement en Unité de Soins Palliatifs est pour moi une école d’humilité. Côtoyer la mort m’apprend à vivre !
TÉMOIGNAGE
OSER PARLER DE LA SOUFFRANCE ET DE LA MORT
Infirmière dans une unité de cancérologie, je travaille sur plusieurs secteurs, allant de l’annonce du diagnostic au suivi d’anciens patients guéris, mais aussi d’un certain nombre de personnes en fin de vie. « Soigner n’est pas forcément guérir » m’a rappelé un médecin de l’équipe : tout un programme pour une soignante en contact avec des personnes atteintes de maladies graves. Je partage quelques pistes de réflexion.
– Prendre soin du patient, tout en se protégeant pour ne pas « plonger » avec lui.
– Prendre toujours le temps d’écouter quand il veut parler de la mort, sans remettre à demain (on nuancera avec le planning… et la sensibilité du cadre de santé !).
– Parler de la souffrance ou de la mort, est-ce plus difficile que de s’activer dans un soin technique ? Pourtant quelle richesse et quel cheminement après ces échanges, quelle humilité devant la vie !
– Dans un établissement public, je n’ai pas la possibilité directe de parler de l’espérance chrétienne aux malades. Mais un engagement envers Dieu se devine forcément : mes convictions sont évidentes malgré moi. Sans être en contradiction avec la loi sur la laïcité, je peux poser des questions sur les croyances ou poser des principes de vie.
– Respecter et considérer la personne jusqu’à la fin, en essayant de faire plaisir. Exemple : ramener un beau caillou de mes vacances en montagne à une ancienne randonneuse qui attendait avec impatience mon retour… Soignants, avons-nous toujours le souci d’être vrais et réceptifs, de ne pas éviter les questions directes et de penser aux petites choses qui valorisent l’autre ?
É. WURGLER
POUR ALLER PLUS LOIN…
– Ruth PICARDIE, « Avant de vous dire adieu », Ed. Robert Laffont, 1997 (une journaliste écrit des courriels à certains de ses amis ; autobiographique).
– Yvette CHABERT & Roger PHILIBERT, « Croire quand on souffre », coll. Tout Simplement, Les Editions de l’Atelier, 1996 (approche spirituelle, d’origine catholique).
– « Ultime solidarité, l’accompagnement à la mort. Paroles de témoins », Collectif, Ed. du Signe 2003 (pour tout public).