Conformité au monde ?
La non-conformité au monde est une caractéristique de l’éthique anabaptiste. Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment la non-conformité au monde est-elle vécue par les mennonites francophones à travers le monde ? Deuxième article d’une série sur ce thème, dans le cadre du Réseau mennonite francophone.
Être chrétien, est-ce renoncer à quelque chose ? Nos jeunes font les yeux ronds alors que je pose cette question à la suite de l’étude que nous venons de faire de Jean 12 (vous savez, Marie qui sacrifie un parfum de grand prix pour oindre les pieds de Jésus). Donc, être chrétien, est-ce renoncer à quelque chose et si oui, à quoi ? Nos jeunes sont de plus en plus perplexes. Un oui timide se glisse de ci de là, mais sans grande conviction ! C’est peut-être une question piège, qui sait ?
C’est vrai qu’elle est un peu piège cette question, comme celle plus générale qui consiste à demander : être chrétien (qui plus est d’héritage mennonite), est-ce se démarquer du monde, renoncer au monde, et si oui, en quoi ?
LES STANDARDS DU MONDE
Piège, parce qu’il me semble que les formes de démarcations évoluent. Il n’y a plus de barrières physiques, fini la piété préservée : même les fermes les plus excentrées ne sont qu’à quelques minutes de voiture du cœur des villes. Fini aussi les protestations anti-modernistes : une grande majorité des membres de notre Église ont téléphone portable, courrier électronique, et les écrans plats fleurissent les salons. Notre Église à Châtenay-Malabry, bien que peu portée à la technique, s’est même équipée récemment d’un vidéo projecteur, l’argument massue avancé étant : c’est devenu le standard ! Évidemment, les standards nous gagnent dans bien d’autres domaines encore : vestimentaires par exemple… Non, la question, c’est plutôt de savoir si les standards du monde nous gagnent seulement sur des questions de forme ou aussi sur des questions de fond, sur le cœur de notre spiritualité.
TELLEMENT DIVERS, RÉUNIS PAR JÉSUS CHRIST
Nous avons l’habitude de célébrer le jeudi saint en prenant ensemble un repas simple qui nous rappelle le dernier repas de Jésus avec ses disciples dans la chambre haute. Nous lisons les textes, méditons, chantons, prions et nous avons proposé cette année un lavement des pieds. Assis à mes côtés, il y avait une femme qui avait quitté le Tchad à peine quelques jours plus tôt. En face d’elle, un artiste peintre. A sa gauche, une mère de six enfants d’origine congolaise. Plus loin, un diplomate et son épouse, un couple missionnaire américain, mon épouse ukrainienne… d’autres encore et moi-même alsacien exilé. Qu’est-ce qui peut bien rassembler toutes ces personnes que tout sépare ? Je n’ai pas rencontré dans le monde un groupe si divers, si ce n’est dans le métro. Mais il y a autre chose que la rame de métro, il y a une communion profonde et véritable autour du Christ qui nous unit ! Et c’est vrai que nous en vivons des moments forts : de 0 à 89 ans, de Madagascar à Haïti en passant par le Vietnam, c’est le Christ qui nous rassemble.
UNIS POUR LE PIRE ?
Mais si nous sommes unis pour le meilleur, je me demande parfois si nous le sommes aussi pour le « pire ». Un frère tirait la sonnette d’alarme il y a quelques mois demandant : qui sera là pour assurer le culte du nouvel an ? Silence généralisé… Notre Église débordante pour la fête de Noël et pour Pâques se vide lors des vacances, car vous le savez bien, les vacances c’est sacré, et le standard, c’est de partir ! Voilà à mon avis une belle part de notre spiritualité que se taille le monde. Elle est bien là l’hésitation à la question : est-ce qu’il s’agit de renoncer ? Elle est encore là l’hésitation lorsqu’il faut s’aventurer dans la circulation et l’obscurité pour se rendre à la réunion de prière. Tiens ! D’ailleurs personne n’est venu hier, c’était les vacances…
QUELLE CROIX PORTONS-NOUS ?
L’image du disciple souffrant qui se donne jusqu’à la moelle n’a plus trop la cote, peut-être parce que là encore, notre monde se taille des parts de lion de notre discipulat. J’entends bien plus souvent des personnes me dire qu’elles ont été retenues tardivement au travail pour boucler un projet plutôt que tardivement à l’Église : c’est un standard qui passe très bien.
Il me semble qu’avec les années, notre monde ne devient pas plus facile. Et courageusement, nous portons chacun notre croix. Je me demande juste parfois quelle croix…
CET ARTICLE ET LE RÉSEAU MENNONITE FRANCOPHONE
Tous les trois mois, un même article est publié dans trois revues : Perspective (CH), Christ Seul (France), Le Lien (Québec), et sur le site de la Conférence Mennonite Mondiale. Les articles proviennent à tour de rôle des pays suivants : Suisse, France, Canada (Québec), Burkina Faso, République Démocratique du Congo. Les Églises de ces pays font partie du Réseau mennonite francophone. Coordination : Jean-Paul Pelsy.