Fêlures et soudures – par Frédéric de Coninck

 Dans Blog, Paraguay 2009

Le groupe Joie et Vie poursuit sa visite des colonites mennonites du Chaco au Paraguay. Impressions.

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La statue à laquelle appartient cette tête de femme a été édifiée dans l’une des colonies mennonites du Chaco : la colonie de Neuland, fondée en 1947 par un groupe fuyant le communisme et le nazisme. De nombreux hommes avaient été déportés ou tués. Au sein de ce groupe, les femmes se retrouvèrent largement majoritaires. Elles durent, ainsi, se consacrer à des travaux agricoles que les hommes exerçaient auparavant. C’est la raison pour laquelle, à l’occasion des 60 ans de la colonie, celle-ci passa commande à un artiste, Viktor Just, d’une statue célébrant le travail accompli par ces femmes courageuses. Elle représente une femme labourant le sol.

L’ensemble, sans être monumental, pèse très lourd. De ce fait, lors du transfert de cette œuvre d’art depuis Asunción, elle bascula et se rompit. La tête, notamment, se détacha du reste. En l’observant bien, on devine une fêlure qui court du milieu du cou jusqu’à la base des cheveux. La soudure a été parfaitement exécutée, mais la marque de cette rupture reste. Le maire de l’époque commenta l’incident en disant qu’il était bien dans la ligne de ce que les femmes avaient souffert pendant ces années héroïques.

De fait, tout, dans le Chaco, est affaire de fêlures et de soudures.

Le souvenir de l’arrachement à la terre des ancêtres en Europe, de la perte des hommes, des morts pendant le voyage, reste vivace. Les mères ont transmis à leurs enfants (des personnes de ma génération) la mémoire de cette douleur et elle agit comme une plaie qui, cela m’a frappé, ne s’est pas refermée. Toutes les communautés vivent avec cette fêlure, avec une insécurité qui demeure. L’attachement à la langue des ancêtres participe de cette fêlure.

De l’autre côté se tient la question de la soudure avec les Indiens du cru. Les premières colonies, installées dans les années 20 tentèrent, dès 1936, de proposer un soutien et une place aux groupes indiens. Mais pour ces groupes, nomades auparavant, les choses étaient compliquées de toute manière. Ils devaient s’insérer dans un mode de vie sédentaire qui était, pour eux aussi, un arrachement. Peut-on dire qu’ils l’ont surmonté ? Pour autant que j’ai pu le voir, pas plus que l’autre groupe.

Aujourd’hui, de nombreux éléments de soudure sont construits, à tous le moins dans les groupes mennonites les plus ouverts qui sont ceux que nous avons rencontrés et chez les groupes d’Indiens les plus collaboratifs. Mais les fêlures demeurent, de part et d’autre.

A demain…

Frédéric de Coninck

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