Si j’étais président… – Le sel du scrutin présidentiel, par Philippe Malidor

 Dans Blog, Si jétais président...

Voici le deuxième article « Si j’étais président… », par Philippe Malidor, journaliste à Réforme, auteur et traducteur.

Malidor PhilippeLe 18 janvier 2012, on a pu entendre sur France Inter une interview sidérante du PDG d’EADS. Interrogé sur son salaire par un auditeur, cet homme a déclaré gagner 2 600 000 € par an, soit, reconnaissait-il lui-même, dix fois plus que ce qu’il touchait auparavant comme PDG de la SNCF. Il estimait ce montant incompréhensible par la plupart des gens, et il s’est prononcé très explicitement en faveur d’une limitation des hauts revenus par l’autodiscipline et la fiscalité, affirmant très nettement qu’il devrait être taxé beaucoup plus lourdement. Il expliquait aussi que la réduction unilatérale de ses revenus poserait un problème annexe : la réduction subséquente de l’échelle salariale de ses cadres. Dans cette même émission, il affirmait verser une part de son salaire à des œuvres socialement utiles.
Quelques années plus tôt, un hebdomadaire de gauche avait fait un portrait extrêmement flatteur de cet homme, qui paye lui-même ses photocopies et ses timbres personnels. Ce même journal indiquait que cet homme, Louis Gallois, était chrétien…
C’est peut-être cela qui explique à quel point ses propos et son attitude vont à contre-courant de la mentalité ambiante, où les revenus sont proportionnels au nombre de gens que vous commandez, aux milliards que vous brassez (même si vous en faites perdre à votre société), à la roublardise dont vous faites preuve. Et si, par miracle, cela vous mène en prison, il suffit de détailler ses turpitudes dans un livre pour se refaire : c’est très tendance.
Un renard libre dans un poulailler libre
Cette époque où certains accaparent sans honte des salaires de plus de 450 fois le SMIC tout en licenciant des ouvriers parce que l’entreprise ne rapporte pas assez de dividendes me fait penser à cette formule du grand prêtre juif Hanina qui m’a marqué à jamais : « Priez pour ceux qui sont à la tête de l’État ; sans la crainte qu’ils inspirent, les hommes s’avaleraient vivants les uns les autres. »1 Or, les responsables de notre État (et de tant d’autres États) n’inspirent aucune crainte à leurs amis riches. Mieux : ils les servent. Comment ne pas se rappeler ces paroles du prophète Ésaïe : « Vous avez dévasté la vigne. Vous avez entassé dans vos maisons ce que vous avez pris aux pauvres. Pourquoi donc écrasez-vous mon peuple et foulez-vous aux pieds la dignité des pauvres ? »2 De ce point de vue, le comble de l’ignominie vient d’être atteint puisqu’un très haut personnage de l’État français cherche à jeter la suspicion publique sur les chômeurs, s’attirant cette réplique cinglante d’un de ses opposants : « Cibler les chômeurs, en faire un sujet d’affrontement comme si les chômeurs étaient le problème et pas l’absence d’emplois, est une perte inacceptable de sens de responsabilité. […] Ça contredit tout ce que le gaullisme a été. Je suis absolument certain que des gens marqués par le christianisme social ne peuvent accepter ça. »
Ronald Reagan et Margaret Thatcher disaient que l’État était le problème et non la solution. Je préfère ce que le sociologue protestant Jean Baubérot a bien résumé quant au devoir d’un État digne de ce nom : « …nous ne sommes pas tous égaux dans notre capacité de départ à produire ces œuvres utiles à la société : il y a des handicaps physiques, mentaux, sociaux, des malheurs qui peuvent survenir. […] Le rôle de la puissance publique consiste à diminuer la portée de ces aléas, à son niveau de compétence. Elle peut édicter des lois et mener une politique permettant qu’il soit moins difficile de vivre et de travailler malgré un handicap, plutôt que d’ignorer ce type de problème. »3 La vie est injuste, et les hommes égoïstes. Le rôle du gouvernant consiste à tempérer et non à aggraver cet état de fait, et le citoyen chrétien doit plaider, agir et voter en ce sens.
Bioéthique et mœurs
Dans les milieux chrétiens, singulièrement évangéliques, les débats tournent souvent autour des affaires de bioéthique. Il est vrai que celles-ci engagent, et pour longtemps, des choix de société dont la facture se paiera dans une ou deux générations. Les discussions autour de l’avortement ou de l’euthanasie ne sont absolument pas méprisables. Faut-il pour autant faire de ces sujets l’alpha et l’oméga du choix à faire devant l’urne ? Faut-il insister davantage sur les deux extrémités de l’existence terrestre au point d’occulter tout ce qu’il y a entre deux, c’est-à-dire, en l’occurrence, 65 millions de citoyens vivants ? Quid de la justice, de l’équité, de l’honnêteté en affaires, de la santé, de l’emploi, de l’éducation, de la morale publique, du droit d’opinion et de religion ?
Il n’est pas question de céder au discours très convenu sur une question essentielle comme celle de l’homosexualité et de tout ce qu’elle engage sur le plan familial et même anthropologique. Les mœurs en matière de sexualité ont de quoi inquiéter, c’est vrai ; cependant, elles ne sont pas le critère unique de l’évaluation des sociétés et des personnes ; et en la matière, rien n’est plus éloquent ni plus moteur que l’exemple de sa propre vie. Je crois que c’est là que les chrétiens sont attendus par leur Seigneur… et par celles et ceux qui les regardent vivre.4
Ceci étant posé, on commente fort peu le fait que ce n’est pas le sexe dévoyé ou extraconjugal qui est la cible principale des avertissements du Christ, mais l’Argent : « Vous ne pouvez pas servir en même temps Dieu et l’Argent. »5 De la servitude qu’on développe à l’égard de cette divinité, le reste dépend d’ailleurs beaucoup : l’affaire du Sofitel de New York en est une fantastique parabole moderne…
Liberté, Égalité, Fraternité
Là où les Américains idolâtrent la Liberté au point d’en faire un ferment de sauvagerie économique, de perversité sexuelle et même de boulimie alimentaire, là où d’autres prêchent une égalité mathématique qui n’est ni possible ni forcément souhaitable (à condition que nul ne manque du nécessaire), je penche pour la notion de fraternité qui est une invention proprement judéo-chrétienne. Mais Jean Brun nous avait prévenus : c’est au nom de la fraternité qu’on tue les frères. Ce terme ne doit donc pas devenir un slogan : on voit à quoi il est réduit aujourd’hui. Ce qui compte, c’est que les Français et tous ceux qui vivent sur leur territoire apprennent à se respecter, voire… à s’aimer. Avez-vous remarqué que nous ne nous aimons guère nous-même, ni les uns les autres ? « Aime ton prochain comme toi-même. » Se donner des raisons d’avoir moins honte de soi-même afin de porter sur autrui un regard bienveillant, c’est un bel objectif, non ?
Quant à la parole publique des chrétiens, le cadre laïc tel qu’il existe est parfaitement satisfaisant pourvu qu’il ne soit pas interprété de manière restrictive. Si le temps, heureusement, est loin où une certaine Eglise cherchait à régenter la société, nous n’accepterons pas d’être relégués dans nos chapelles et exclus du débat public. Nous avons aussi le droit à la différence, après tout…
Je ne serai jamais Président de la République. Vous n’aurez donc pas à voter pour moi, ce qui vous évite au moins une occasion de vous tromper ! Mais j’ai tenté d’énoncer quelques critères qui me semblent exclure certain/e/s candidat/e/s et alimenter notre réflexion sur ceux qui semblent fréquentables. Comme disaient les apôtres de l’Église primitive : « Car il nous a semblé bon, au Saint-Esprit et à nous-mêmes… »6

Philippe Malidor

 

Notes

1. Pirké Avoth 3.2, in : Les Maximes des Pères, éd. Colbo, 1995, p.29. Cité par Antoine Nouis, L’aujourd’hui de la création. p. 222.

2. És 3.14-15.

3. Certitudes n° 241, août-octobre 2009.

4. Il y a longtemps qu’on n’ose plus parler de virginité, dont certains ont fait un thème obsessionnel. Whitney Houston, naguère célébrée dans des revues chrétiennes pour sa chasteté prémaritale revendiquée, vient hélas de donner la preuve tragique que cela ne suffit pas à réussir sa vie ni à la rendre exemplaire, soit dit en toute déférence pour cette malheureuse personne.

5. Mt 6.24.

6. Ac 15.28.

Pour aller plus loin…

Philippe Malidor, 10 paroles pour tous – Origine et actualité des 10 commandements, Ed. Farel, 2008, 176 pages

Contactez-nous

Envoyez nous un courriel et nous vous répondrons dès que possible.

Illisible ? Changez le texte. captcha txt
0

Commencez à taper et appuyez sur Enter pour rechercher