Les défis du printemps arabe

 Dans Christ Seul, Explorer

Une année après le Printemps arabe, que penser des évolutions en cours ? Quel avenir pour les chrétiens dans les pays concernés ? Le point de vue d’un chrétien syrien.

Ce que nous connaissons sous le vocable de « Printemps arabe » englobe une réalité aussi plurielle que les pays qui ont connu ces soulèvements depuis fin 2010. Certains pays ont vécu un changement de régime (Tunisie, Libye, Egypte) ; d’autres ont initié d’importantes réformes politiques (Maroc, Yémen, Jordanie) ; d’autres enfin, voient leurs régimes vacillants répondre aux soulèvements par la répression, comme en Syrie et à Bahreïn. La situation diffère dans chacun de ces pays bien qu’ils présentent des similitudes. Similitude par leur histoire, l’origine des soulèvements et leurs ambivalences ainsi que leurs retombées positives. Sans oublier les défis à relever par les populations en général et les Eglises en particulier, du moins pour les pays dans lesquels une Eglise nationale jouit d’un statut officiel (Egypte, Syrie et Jordanie).

Contexte historique

Jusqu’à la Première Guerre mondiale (1914-1918), les populations arabes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord étaient largement régies par l’Empire ottoman avec pour capitale Istanbul (ancienne Constantinople). Ce quatrième Empire islamique était arrivé au pouvoir en 1299 à la suite de l’effondrement de l’Empire des Abbassides en Irak. Pour la première fois dans l’histoire, les Arabes étaient dirigés par une puissance non-arabe. Bien qu’étant un état islamique, les Ottomans étaient détestés de la plupart et des Arabes musulmans et des chrétiens qui combattirent ensemble pour leur indépendance.

L’Empire ottoman s’effondra et fut remplacé par la république laïque de Turquie fondée par Mustapha Kemal Atatürk (« le père des Turcs »), profondément influencé par l’humanisme et le nationalisme européens. Avec Atatürk, la Turquie devint le premier pays à majorité musulmane gouverné par un état laïc. Il abolit le califat en 1924 et depuis lors la Communauté musulmane, umma, n’a plus de chef ni même de figure emblématique pour la représenter (au moins pour ce qui est des Sunnites).

A la chute de la puissance coloniale, loin de gagner leur indépendance, les peuples arabes se trouvèrent sous la coupe des Alliés, vainqueurs de la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire les Britanniques et les Français. En vertu de l’Accord Sykes-Picot de 1916, la région fut divisée en deux zones d’influence principales : britannique (Palestine, Egypte, Irak) et française (Afrique du Nord, Syrie, Liban). Il fut ensuite très facile de demander à la Société des Nations d’entériner cet accord en donnant un mandat officiel aux Britanniques et aux Français pour gouverner la région.

Les causes : injustice, mauvaise gouvernance, corruption

Les années 40 marquent le début des velléités d’indépendance qui menèrent les peuples du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord à conquérir leur indépendance, à l’exception notable du peuple palestinien. Le combat pour l’indépendance contre les puissances coloniales a vu s’engager ensemble chrétiens et musulmans, combat fondé sur le nationalisme arabe dont l’islam n’était qu’un aspect. Partis et chefs nationalistes accédèrent au pouvoir sitôt l’indépendance proclamée (comme en Algérie et Tunisie) ou quelques années plus tard après s’être débarrassés d’un régime post-colonial (comme en Egypte, Syrie, Irak ou Libye). Ces nouveaux régimes se sont trouvés face à d’énormes défis auxquels ils n’étaient pas préparés : économiques, sociaux, éducatifs, amplifiés par un fort taux de natalité. Finalement, aucun n’a été capable de traiter ces problèmes convenablement.

Au lieu d’engager leurs pays dans un processus démocratique qui aurait pu offrir un choix à leurs peuples, ils ont usé et abusé de références patriotiques pour se maintenir au pouvoir à tout prix, quitte à utiliser la répression et allant jusqu’à tuer leurs opposants. Leur faillite a été manifeste en 1967, lors de la Guerre des Six Jours, qui vit Israël remporter une spectaculaire victoire sur les armées égyptienne, syrienne et jordanienne. Ces régimes se sont avérés non seulement incompétents, mais également de plus en plus autoritaires et corrompus, favorisant leurs « clients » : membres du parti, groupes ethniques, minorités religieuses, l’armée, des hommes d’affaires. Il n’est donc pas étonnant qu’une impopularité croissante ait pu donner naissance à différents groupes d’opposition généralement impitoyablement réprimés.

Tout ceci met en exergue les origines multiples des soulèvements arabes. Ces frustrations politiques, sociales et économiques devaient un jour exploser ; en fait, ce sentiment de frustration était latent depuis de nombreuses années, mais ne générait que déni, répression, promesses non tenues, demi-mesures, et recours à la politique du bouc émissaire rendu possible par la politique occidentale et Israël. La vraie question est en fait de savoir pourquoi les révoltes ont mis tellement de temps à apparaître ?

La révolution de la technologie de l’information et la globalisation ont incontestablement joué un rôle de catalyseur. Notre monde n’avait jamais autant ressemblé à un village dont les habitants peuvent, au moyen de réseaux sociaux, se connecter en une fraction de seconde au monde entier. Les téléphones mobiles et Internet rendent quasiment impossible l’isolement total d’un pays par rapport au monde. Potentiellement, aucun événement ne peut échapper à une diffusion sur la toile, le rendant accessible à tous. C’est ainsi que tout un chacun s’est donné la possibilité de partager ses rêves et ses combats ; et ce sont principalement les jeunes qui ont mené les soulèvements. Ils ont été attirés par des valeurs défendues par les cultures occidentales et se les sont appropriées (la liberté, la démocratie, les droits de l’homme). Ils ont vite été rejoints par bien d’autres groupes tels que : activistes des droits de l’homme, opposants politiques et divers groupes musulmans, dont des religieux qui rejettent le matérialisme occidental, son hégémonie et sa décadence morale. Enfin, l’effet domino a également joué son rôle. La réussite des révolutions pacifiques tunisienne et égyptienne a enhardi les populations qui ont investi les rues au Yémen, à Bahreïn, en Libye, en Syrie, au Maroc et en Jordanie. Après tout, ces pays ont beaucoup en commun en termes d’histoire, de culture, de situation socio-économique, de religion, de niveau d’éducation, et d’oppression politique continue.

Résultats prometteurs

J’ai souvent entendu cette phrase : le mur de la peur est détruit. Je l’ai entendue dans des endroits très différents, même là où la répression est encore présente. Il flotte incontestablement un air de liberté. Les gens n’ont plus peur de parler politique, ce sujet quasiment tabou. La peur et la suspicion instillées dans la société par la dictature étaient telles que les gens se méfiaient les uns des autres, ne pouvant faire confiance à personne, qu’il soit étranger, ami ou membre de sa propre famille.

Suite à ces changements, la Tunisie, l’Egypte et le Maroc ont organisé des élections qui se sont déroulées sans fraude. A la surprise générale, ces élections démocratiques (tout comme en Palestine en 2006) ont été remportées par des partis islamistes. Dans ces pays, on a révisé la constitution pour prendre en compte les aspirations populaire à vivre sous un vrai régime démocratique respectant la dignité, les droits et les libertés de chaque citoyen. Il est vrai que le changement de régime politique ne garantit pas des réformes politique et économique ni la justice sociale. Cependant, sans régime démocratique, l
a mise en place de ces réformes est encore plus difficile à effectuer.

Ambiguïtés

A l’intérieur
Les soulèvements ont eu pour conséquence un accroissement du sentiment d’insécurité parmi les populations en général et les minorités en particulier, surtout parmi les chrétiens. Certains événements récents montrent que ce sentiment répandu notamment parmi les chrétiens coptes n’est pas totalement infondé : le 9 octobre 2011, 26 personnes ont été tuées lors d’une manifestation contre l’incendie volontaire d’une église en Haute Egypte. Les crimes ont tendance à se multiplier, les criminels jouissant d’une sorte d’impunité dans cette étape de transition. L’économie a connu un ralentissement, principalement dans les pays très dépendants de la manne touristique, comme l’Egypte ou la Tunisie. Par ailleurs, de nombreux Egyptiens clament que rien n’a véritablement changé après le remplacement de Moubarak par un Conseil militaire. Des rapports font état de tortures contre des prisonniers de l’ancien régime en Libye, et il semble bien que ce sont des milices, et non la police, qui s’occupent du maintien de l’ordre. En Syrie, des groupes de terroristes sont à l’œuvre pour précipiter le pays dans le chaos et atteindre leurs objectifs.

A l’extérieur
Parmi ces ambiguïtés, on peut citer le fait que pendant des années les pays occidentaux ont commercé avec l’Egypte, la Libye et la Tunisie, fournissant notamment des armes aux régimes en place. Les opérations militaires de l’OTAN pour renverser le régime en Libye sont allées bien au-delà de la Résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l’ONU faisant plus de 30 000 morts et détruisant complètement toutes les infrastructures du pays. Le président Obama a choisi de prononcer son remarquable discours du 4 juin 2009 sur le monde musulman depuis Le Caire, alors que la poigne exercée par le président Moubarak sur son pays était à son maximum. L’Arabie Saoudite, si critique du régime syrien, a envoyé des troupes à Bahreïn pour éviter au régime sunnite en place de s’écrouler dans un pays à majorité chiite ; et le régime saoudien est loin d’être un modèle de démocratie. Malgré cela, ce régime est un des alliés les plus sûrs des Américains dans la région. L’hostilité des Etats du Golfe envers le régime syrien n’est pas étrangère à l’alliance de ce pays avec l’Iran chiite perçu comme une menace pour la stabilité de la région. L’ancien président du Yémen a été traité avec indulgence contrairement au président syrien, et ceci sans aucune autre raison que sa coopération avec les Etats-Unis dans son combat contre Al-Qaïda. Enfin, si les mêmes critères étaient imposés à Israël et aux Arabes, le peuple palestinien n’aurait plus à souffrir de l’occupation israélienne ni de son oppression brutale.

Les défis du Printemps arabe : la nécessité de travailler avec les concitoyens musulmans

Nombreux sont les défis qui se présentent aux peuples arabes, aux chrétiens en particulier. Les chrétiens représentent environ 5 % de la population arabe. Les 15 millions d’Arabes chrétiens vivent dans tous les pays du Proche-Orient, l’Eglise d’Egypte étant la plus grande de toutes. En tant que minorité, ces chrétiens se sentent particulièrement vulnérables, d’autant plus que leur loyauté est parfois mise en doute en raison des relations qu’ils entretiennent avec les anciennes puissances coloniales toujours considérées comme des pays chrétiens par les musulmans en général.

L’expérience montre qu’il est bien plus difficile de bâtir un nouveau régime que de se débarrasser de l’ancien. Paradoxalement, sous des régimes autoritaires, les gens se sentent davantage en sécurité, pourvu qu’ils soient disposés à ne pas se mêler de politique ou à collaborer avec le parti au pouvoir. De façon générale, les chrétiens ont suivi la première option bien que certains se soient engagés en politique pour ou contre le pouvoir en place. Quelle doit être notre attitude face à ces événements ?

Jésus-Christ a enseigné à ses disciples qu’ils sont ses témoins dans le monde (Jn 17.11). Cela signifie que nous devons nous impliquer dans les affaires de notre pays même (peut-être surtout) quand il passe par des crises. Le fait qu’il est plus difficile de le faire dans pareilles circonstances n’est pas une raison pour nous replier sur nous-mêmes.

On peut facilement comprendre que les chrétiens, en particulier les responsables, se méfient de tout changement du statu quo. En Syrie et en Irak surtout, grâce au parti Ba’ath qui est un parti laïc, les Eglises ont été relativement bien traitées. Les responsables chrétiens, le plus souvent, ont fermé l’œil sur les échecs du régime et on n’a guère entendu leur voix prophétique. Cette attitude était-elle légitime ? Était-elle efficace ? N’est-il pas un peu égoïste de prendre une position en fonction de ses propres intérêts seulement? L’éthique chrétienne est fondée sur l’amour du prochain (Lc 10.25-37) ; en d’autres termes, nous devons considérer les intérêts de toute la communauté, y compris de ceux qui sont d’origine religieuse ou ethnique différente, ce qui dans le cas de la Syrie comprend les Sunnites, les Chiites, les Alaouites, les Kurdes, les Arméniens, etc.

Mais que se passe-t-il si des élections démocratiques aboutissent à un régime islamique ? Le monde arabe n’a pas été touché par le mouvement de sécularisation au même degré que le monde occidental. Les gens sont restés religieux, même si tous les musulmans ne sont pas pratiquants. L’islam constitue une composante importante de leur identité. Par conséquent, nous ne soyons pas étonnés si les gens veulent que l’enseignement islamique joue un rôle important dans la vie nationale. Soit dit en passant, en Grande Bretagne se déroule actuellement un débat sur le fait de savoir si le pays est chrétien et sur le rôle que la foi doit avoir dans la vie publique. En tant que chrétiens, nous devons être activement engagés dans le processus démocratique si nous voulons que ce processus ne soit pas pris en otage par des groupes marginaux. La majorité des musulmans ne sont pas des intégristes ; comme dans toute religion, il y a des extrémistes, mais il y aussi des musulmans libéraux voire laïcs. Beaucoup de musulmans, peut-être la plupart, sont modérés et acceptent des valeurs telles que la liberté, l’égalité, la dignité humaine, la démocratie, la solidarité. Nous devons travailler avec eux de façon à ce que le nouveau régime respecte tous les citoyens, peu importe leur appa

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