Actes des Apôtres : rencontre avec « l’ennemi »…
L’Église primitive a été poussée à aller à la rencontre des personnes les plus improbables. Exemple : la rencontre de Pierre le Juif avec Corneille le représentant romain de la force d’occupation (Ac 10).
À l’heure où les réflexes nationalistes et protectionnistes sont exacerbés un peu partout en Europe, ce texte nous invite à comprendre que l’œuvre de Dieu dépasse les frontières que dressent les hommes, et appelle tous les hommes à vivre réconciliés avec Dieu, et en paix les uns avec les autres.
PURS ET IMPURS
Le monde de l’apôtre Pierre était divisé en deux : d’un côté les purs et de l’autre les impurs ; d’un côté les Juifs, et de l’autre les Romains. Jésus était certes l’ami des péagers et des prostituées (Lc 11.19), il annonçait être venu pour le salut de tous, accueillant aussi bien les Juifs que les étrangers, qu’ils soient Samaritains, Phéniciens ou Romains… Cela n’empêchait pas Pierre d’être profondément marqué par ses racines juives selon lesquelles il est interdit pour un Juif d’entrer en contact avec un étranger (Ac 10.28). Cette conviction est renforcée par la situation politique conflictuelle de l’époque : la Palestine était occupée par les Romains. Si donc un Juif allait à la rencontre d’un ennemi romain, il était considéré comme un traître, un collaborateur.
Mais la vision de ces animaux impurs descendant du ciel avec cet ordre de les manger va bousculer fondamentalement cette vision du monde, et préparer Pierre à la rencontre avec Corneille. Grâce à la pédagogie divine, Pierre le Judéo-chrétien comprendra que le salut n’est pas réservé aux Juifs, mais qu’il s’adresse à tous. Grâce à l’œuvre de Dieu, le Juif verra dans le chef militaire romain non pas un ennemi, mais un frère sur qui le Saint-Esprit est aussi répandu (Ac 10.44ss).
MENNONITO-CHRÉTIENS…
En tant que mennonito-chrétiens, quelle est notre vision du monde ? Avons-nous besoin, comme l’apôtre Pierre, que le Seigneur nous bouscule ?
Depuis plusieurs années, nos Églises ont amorcé un heureux changement, qui leur a permis de réaffirmer leur identité : les membres de nos communautés ne sont plus uniquement d’origine mennonite comme par le passé, mais sont baptisto-chrétiens, évangélico-chrétiens, catholico-chrétiens, réformo-chrétiens, pagano-chrétiens… comme pour rappeler qu’être mennonite, ce n’est pas une question de patronyme, mais d’appartenance au Christ, au Christ seul.
LES « CORNEILLE » D’AUJOURD’HUI…
Mais la bousculade va plus loin : dans notre société actuelle, l’ennemi n’est pas l’oppresseur romain. Certains pourraient voir l’ennemi dans la montée de l’islam, ou dans une société toujours plus libertine en termes de mœurs, ou encore dans un libéralisme effréné. Le lobby homosexuel ne bouscule-t-il pas les repères moraux marqués par la morale judéo-chrétienne ? Le libéralisme n’interpelle-t-il pas notre aspiration à un monde plus juste, où il y aurait moins d’inégalités ? Et l’islam ne chahute-t-il pas les repères religieux d’une société post-chrétienne ?
Le mennonite du 21[exp]e[/exp] siècle saura-t-il rencontrer le musulman comme Pierre a rencontré Corneille ? Parmi les musulmans, beaucoup ont une foi profonde et sincère, empreinte de piété et d’actes de compassion (Ac 10.2). Et si, tout comme le Seigneur a préparé Corneille à recevoir la visite de Pierre, il préparait aujourd’hui les musulmans à recevoir Jésus-Christ ? Et si tout comme le Seigneur a préparé Pierre à rendre visite à Corneille, il préparait aujourd’hui nos Églises à voir dans les musulmans que nous côtoyons des hommes et des femmes en recherche, aimés de Dieu et en attente d’une rencontre avec Jésus ? Et bien entendu, à côté des « Corneille musulmans », il y a certainement beaucoup d’autres Corneille qui attendent que nous venions à eux.
Jésus n’est pas venu créer une nouvelle religion, il est venu annoncer à tous les hommes qu’ils sont aimés de Dieu et les inviter à une vie nouvelle, transformée par l’amour de Dieu.
SOMMET DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES
Le récit de la conversion de Corneille, premier non-Juif à se convertir, n’est pas un acte isolé dans l’histoire de l’Église. Il est, comme le dit Daniel Marguerat, « un sommet du livre des Actes », un acte fondateur qui a profondément marqué l’Église primitive. Dorénavant, le salut n’est plus réservé aux seuls Juifs, il est ouvert aussi aux autres nations. Et c’est Paul, l’apôtre des païens (Ga 2.8) qui, par ses nombreux voyages missionnaires, sera le principal artisan de cette ouverture de l’Église à tous.
RÉFLEXES PROTECTIONNISTES
Mais les réflexes protectionnistes ont malheureusement fleuri tout au long de l’histoire de l’Église et fleurissent peut-être encore dans nos têtes ; essayant d’une part de restreindre l’accès au salut aux seuls prétendus détenteurs de la vérité, et d’autre part de nous convaincre que nous sommes dans la vérité. Il n’en demeure pas moins que l’amour de Dieu ne se limite pas à des lieux ou des personnes, ni à des traditions ou des rituels, mais concerne tous ceux qui cherchent le Seigneur sincèrement : « Si vous me recherchez de tout votre cœur, je me laisserai trouver par vous. » (Jé 29.14)
DES « PIERRE » D’AUJOURD’HUI…
Il ne reste plus qu’à espérer qu’aujourd’hui encore, des Pierre soient prêts à quitter leurs zones de confort pour rencontrer les Corneille.