« Les anabaptistes incarnaient l’unique Réforme issue de la foi seule », selon le théologien Jürgen Moltmann

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Le magazine Christ Seul l’avait signalé dans ses pages : le 20 mai dernier, le Prix de la paix Michael Sattler 2016 a été remis à Ekklesiyar Yan’uwa a Nigeria et à l’organisation « Christian and Muslim Peace Initiative », une œuvre commune fondée en 2010 avec ses partenaires musulmans pour travailler à la réconciliation  entre les deux communautés. A cette occasion, le théologien réformé Jürgen Moltmann a prononcé la laudatio (éloge), adressée aux organismes nominés et à leurs représentants, mais aussi au mouvement anabaptiste pacifiste.

Un texte à lire ci-dessous.

Dans la reconnaissance pour le témoignage de paix

Je rends un hommage appuyé à l’Eglise martyre d’hier et d’aujourd’hui :  à Michael Sattler et sa femme Margaretha, au mouvement anabaptiste de l’époque de la Réforme d’hier, et aujourd’hui à « l’Eglise des Frères et Sœurs » de Ekklesiyar  Yan’uwa a Nigéria, située dans le nord-est du Nigéria.

Ils ont porté les « souffrances du Christ » et les portent encore aujourd’hui. « Pressés de toute part, nous ne sommes pas écrasés ; dans des impasses, mais nous arrivons à passer ; pourchassés, mais non rejoints ; terrassés, mais non achevés ; sans cesse nous portons dans notre corps l’agonie de Jésus afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre corps. » (2 Co 4. 8-10)

Et je suis rempli de tristesse parce que ni les chrétiens luthériens ni les chrétiens réformés n’ont su reconnaître, au temps de la Réforme, les anabaptistes comme frères et sœurs du même Esprit et de la même foi, mais ils les ont même condamnés et persécutés en tant qu’exaltés. Il est temps que nous confessions non seulement la culpabilité de nos ancêtres, mais que nous révisions nos écrits de confessions ou que nous rédigions de nouvelles confessions.

Moi-même, j’ai découvert le témoignage rendu au Christ par les mennonites durant le mouvement pour la paix en 1981. Comme eux, nous voulions « construire la paix sans recourir aux armes ». J’ai invité des pasteurs mennonites et des « anciens » à notre conférence « Le sermon sur la montagne et la vie à la suite du Christ », et suis allé à leurs séminaires à Elkhart (USA) et Winnipeg (Canada).

La « révolution pacifique » de 1989 en Allemagne de l’Est, puis dans les pays de l’Europe de l’Est, a été pour nous un miracle, ou comme les Allemands disaient à l’époque : « c’est de la folie », et une preuve que ce n’est ni par l’armée ni par la force, mais par l’Esprit de Dieu que cela doit se réaliser. Malheureusement, par la suite, les gouvernements allemands ont défendu les intérêts de l’OTAN et de l’armée, au lieu d’en appeler à l’Esprit de la paix et de la réconciliation. Les politiciens affirment : « On ne peut gouverner un état avec le Sermon sur la montagne », mais malheureusement aucun d’entre eux ne s’y est jamais essayé. De ce fait, nous assistons à nouveau à des confrontations militaires en Europe de l’Est.

 

Qui étaient les anabaptistes et pourquoi ont-ils été si cruellement persécutés par les catholiques et les protestants ?

Luther les a nommés « les exaltés », les historiens parlent de « l’aile gauche » de la Réforme. Je pense qu’ils incarnaient l’unique Réforme issue de la foi seule.

C’est à partir de la prédication de la Réforme et de l’approbation du peuple que les magistrats des villes et les princes des régions ont effectué la Réforme des Eglises et des écoles.

En 1555, les princes catholiques et protestants se sont mis d’accord quant à la formule politico-religieuse Cujus regio-ejus religio (qui gouverne la région détermine la religion). Ainsi Rottenburg devint catholique et Tübingen protestante. La Réforme a eu lieu selon les lois du Corpus Christianum, c’est-à-dire les lois du Saint Empire Romain Germanique. L’empereur Constantin et ses successeurs ont établi comme religion de l’Empire le christianisme persécuté auparavant par des empereurs dans Rome, pour ainsi déclarer l’Empire romain comme le « Saint Empire » du Christ. Les réformateurs sont restés fidèles aux lois de ce « Saint Empire ». Mais les anabaptistes ont rejeté les fondements de cette religion chrétienne d’Etat et ce « Saint Empire » : ils ont mis un terme au baptême des enfants par lequel chaque enfant devient chrétien, et ont introduit le baptême de la foi, d’abord à Zürich, puis dans l’Europe entière, également à Horb et Rottenburg. Ils ont rejeté le service de l’épée : « Jésus interdit la violence de l’épée ». Ils ont refusé de prêter serment : « Jésus interdit aux siens de jurer par qui ou quoi que ce soit ». Ils ont rejeté la participation aux autorités temporelles, « car il ne peut convenir au chrétien d’être une autorité. » Ces vocations fondées sur Jésus sont écrites dans la Confession de Schleitheim. En 1527, Michael Sattler les a rédigées en « Sept articles concernant l’Union fraternelle d’un certain nombre d’enfants de Dieu ». Ainsi, les anabaptistes ne rejettent pas moins que la religion chrétienne d’Etat et le « Saint Empire ». Ils ont été persécutés par les princes catholiques et protestants conformément au droit impérial. Ils ont été considérés comme ennemis de l’Empire. Et lorsque Michael Sattler, dans son interrogatoire à Rottenburg, dit de surcroît : « Et que vienne le Turc, il ne faut pas lui opposer de résistance, car il est écrit : “Tu ne tueras pas”», le danger émanant des anabaptistes devint public, car le peuple était de leur côté. C’est pourquoi l’exécution de Michael Sattler a été particulièrement horrible, visant un effet dissuasif : ils lui ont coupé la langue, l’ont ferré sur le chariot, lui ont arraché la chair du corps avec des pinces incandescentes et l’ont brûlé sur la « bosse de la potence » à Rottenburg le 20 mai 1527 comme hérétique et ennemi de l’Etat. Sa femme Margaretha a résisté à toutes les tentatives de récupération et a été noyée dans le Neckar, peu de jours plus tard.

Michael Sattler était le prieur du monastère de Sankt Peter dans la Forêt-Noire. Il était un homme d’une culture théologique et humaniste très élevée. En 1525, il faisait partie du soulèvement des paysans et s’est marié la même année que Luther. Il a rejoint les anabaptistes à Zürich et a évangélisé en Haute-Souabe. A Horb, il a rassemblé beaucoup de fidèles qu’il a baptisés dans le Neckar. Comme le prouvent ses articles de Schleitheim, il était l’égal des réformateurs connus tels Zwingli à Zürich et Bucer à Strasbourg et du même niveau. Sa devise missionnaire était : « Les chrétiens sont sereins et font confiance à leur Père céleste sans toute cette défense extérieure répandue dans le monde, à savoir l’armement. »

Martin Luther a libéré l’Eglise de la captivité babylonienne du pape, c’est ainsi qu’il l’a écrit.

Michael Sattler l’a libérée de la captivité babylonienne de l’Etat, ce que seule l’Eglise « confessante » a réalisé durant la dictature nazie de 1934. Nous le commémorons avec respect. En l’année 2017 de la Réforme, le nom de ce martyr doit être un phare !

 

Nous en arrivons à la Laudatio

Je suis très heureux de vous annoncer que le « Prix de la Paix Michael Sattler » de cette année 2016 est décerné à l’Ekklesiyar Yan’uwa a Nigéria (EYN) et à l’initiative chrétienne-musulmane de paix (CAMPI) au Nigéria. Je salue chaleureusement le frère Ephraïm Kadala, pasteur et coordinateur de paix de l’Eglise et le frère Hussaini Shuaibu, professeur de lycée technique, médiateur et collaborateur de CAMPI. Nous souhaitons à tous les deux une chaleureuse bienvenue et les remercions d’avoir effectué ce long voyage entre le nord du Nigéria et le sud de l’Allemagne pour venir à notre rencontre.

Nous pensons souvent à eux, prions pour eux et notre regard, en communion fraternelle, se porte sur les initiatives de paix des chrétiens et musulmans courageux qui s’opposent à la terreur. Ils sont un modèle pour nous, en matière d’engagement pour la paix et contre la terreur et la mort.

L’Ekklesiyar Yan’ uwa a ses racines dans le nord-est du Nigéria. On l’appelle dans notre langue « Eglise des Frères et Soeurs» et a été fondée en 1923 par la Church of the Brethren américaine, une des Eglises historiquement pacifistes. Elle compte environ un million de membres. Elle est représentée au Conseil oecuménique des Eglises. Depuis des années, elle souffre extrêmement des attaques de l’organisation terroriste Boko Haram. Parmi les 276 élèves enlevées en avril 2014, 178 d’entre elles faisaient partie de « l’Église des Frères et Soeurs », ce qui a été occulté par nos journaux à l’exception du quotidien souabe du 19 mai 2016. Plus de 10 000 chrétiens ont été assassinés au fil des années, dont six pasteurs.

Des milliers ont été chassés, des écoles et séminaires de théologie détruits.

Dans cette dangereuse situation, l’Ekklesiyar Yan’uwa effectue un service actif de paix : la paix signifie vivre et laisser vivre, le terrorisme signifie tuer et être tué.

Le terrorisme naît dans le coeur et la tête des hommes et doit pour cette raison être vaincu dans les coeurs et les têtes des hommes. Ceci est le langage de la paix, il crée la vie et non la violence. De toute part, on nous dit : « Les terroristes ne comprennent que le langage de la violence ». Mais le langage de la violence a fait grimper le nombre de terroristes, de quelques centaines sous Ben Laden à des dizaines de milliers avec Daesh – Boko Haram.

Il est bon que les initiatives de paix chrétiennes-musulmanes (CAMPI) dissuadent les jeunes hommes de s’adonner à tuer et à être tués et qu’elles les gagnent pour la vie.

Il est bon que des chrétiens et des musulmans s’occupent des enfants soldats victimes de maltraitance, d’abus, pour les guérir du traumatisme de tuer.

Il est bon que les victimes d’injustice et de violence trouvent un chemin de sortie de la douleur et de la tristesse dans les ateliers organisés par l’Église.

Pardonner aux personnes de Boko Haram les ravages qu’elles causent signifie leur montrer le chemin vers la vie et leur faire surmonter le mal qu’elles éveillent sous forme de haine et de vengeance passionnée auprès de leurs victimes. Dans cette mesure, le pardon offre aux coupables l’opportunité d’un changement de direction, et aux victimes de se libérer d’une fixation sur les auteurs. Nous ne souhaitons pas que les personnes de Boko Haram soient détruites, mais qu’elles soient converties à une vie de paix.

Nous refusons de devenir les ennemis des ennemis dans un contexte d’inimitié, mais nous nous appuyons sur la volonté de notre Père céleste dont nous sommes les enfants et que nous voulons rester.

Nous remercions « l’Église des Frères et Soeurs » et l’initiative de paix chrétienne-musulmane pour son témoignage de paix en situation de dangers de mort, nous sommes leurs frères et sœurs et amis.

Jürgen  Moltmann

Traduction : Doris Peterschmitt

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