500 ans des réformes – Réformons notre conscience de l’Eglise

 Dans 500 ans des Réformes, Blog

Voici le 10e article de cette série consacré aux 500 ans des réformes. Chaque auteur, ici Alexandre Nussbaumer, répond à la question : de quelle réforme l’Eglise aujourd’hui a-t-elle besoin ?

 

 

Ce 31 octobre 1517, Martin Luther jetait un énorme pavé dans la mare de l’Eglise. Remonté contre la pratique des indulgences, il affichait sur la porte de l’église de Wittenberg 95 thèses soutenant sa colère et son intention de purifier l’Eglise. En voici quelques extraits qui nous aideront à prendre la température d’un discours résolument offensif contre le règne de l’argent dans l’Eglise :

 

27. C’est une invention humaine, de prêcher que sitôt que l’argent résonne dans leur caisse, l’âme s’envole du Purgatoire.

37. Tout vrai chrétien, vivant ou mort, participe à tous les biens de Christ et de l’Église, par la grâce de Dieu, et sans lettres d’indulgences.

53. Ce sont des ennemis de Christ et du Pape, ceux qui, à cause de la prédication des indulgences, interdisent dans les autres églises la prédication de la parole de Dieu.

84. Et encore : quelle est cette nouvelle sainteté de Dieu et du Pape que, pour de l’argent, ils donnent à un impie, à un ennemi le pouvoir de délivrer une âme pieuse et aimée de Dieu, tandis qu’ils refusent de délivrer cette âme pieuse et aimée, par compassion pour ses souffrances, par amour et gratuitement ?

 

500 ans plus tard, les regards continuent de se croiser sur la portée de cet acte de Martin Luther, comme s’il continuait encore aujourd’hui d’éclabousser l’Eglise. Pour certains, c’est un acte d’une grande lucidité qui a permis d’aller vers une réforme profonde et salutaire de l’Eglise. Pour d’autres, c’est un acte d’une grande inconscience qui aura allumé la mèche du plus grand schisme de l’Eglise. Et pour chacun de nous, quelle est notre conscience de cet événement ? Et quelle conscience avons-nous de la réforme que nous appelons de nos vœux pour l’Eglise d’aujourd’hui ?

 

Un détour par l’ennéagramme

Les jésuites Maria Beesing, Robert Nogosek et Patrick O’Leary supposent que la conscience de soi résulte d’une « scission entre le moi et le monde »[1]. Une contradiction survient chez l’enfant entre ses sentiments intérieurs et la réalité sociale extérieure dissonante et oppressante. Ne pouvant satisfaire pleinement ses besoins intérieurs, la société va lui apparaître d’une certaine façon hostile. D’où la perception d’un manque, d’un paradis perdu, d’une union impossible avec la réalité sociale extérieure : le foyer parental, l’Eglise, le monde, la totalité du cosmos et jusqu’à Dieu lui-même. Face à cette chute, à cette impossible union, l’enfant mettra en place une des trois stratégies de contournement qu’il conservera toute sa vie et qui aboutira à trois façons de se regarder, trois façons d’entrer en relation avec le monde, trois modes de conscience au monde.

1.     Je suis plus grand que le monde, le monde n’est pas à ma hauteur.

2.     Je dois être à la hauteur du monde.

3.     Je suis plus petit que le monde, je ne suis pas à la hauteur du monde.

·        Les tenants de la première façon, que la tradition actuelle de l’ennéagramme nomme extérieure, chercheront à dominer le monde. Ils se considèrent souvent comme les meilleurs, les plus forts, les plus aidants, les plus « sachants », et sont à l’aise dans l’exercice du pouvoir, du contrôle, qu’ils exerceront souvent avec brio.

·        Les tenants de la deuxième façon, intérieure-extérieure, considèrent qu’ils doivent s’adapter au monde, qu’ils doivent s’ajuster à lui tel qu’il est et l’accepter dans ses bons et ses mauvais côtés. Ils seront fiers de se conformer aux standards de leur environnement. Ils chercheront à préserver l’ensemble des parties et vivront mal les remises en cause majeures.

·        Les tenants de la troisième façon, intérieure, consacreront toute leur énergie à changer le monde et à en inventer un nouveau, l’actuel leur semblant trop inquiétant. Ils seront idéalistes, perfectionnistes, créatifs, réformateurs, mais bien souvent aussi dépassés par des idées qu’ils n’arriveront pas à mettre en œuvre, le réel finissant toujours par les rattraper.

Et alors, qu’est-ce que cela a à voir avec la réforme de l’Eglise ?

Eh bien, à votre avis, Martin Luther…, quelle était sa conscience de l’Eglise et sa façon d’entrer en relation avec elle ? On peut facilement exclure le mode « statu quo » et facilement aussi exclure le mode « je suis le plus fort ». Ses 95 thèses font transparaître son désir idéaliste (la gratuité prime sur l’argent), perfectionniste (plusieurs des thèses commencent par l’injonction : « Il faut ») et créatif (tout un programme qui émerge et qu’il diffuse habilement pour inventer une nouvelle Eglise). On se rappellera aussi sa conversion et sa vocation monastique qu’il reçoit alors qu’il est surpris par un violent orage, par la foudre qui tombe à ses côtés et qu’il se dit « Enveloppé des angoisses et de l’épouvante de la mort », quelque part saisi par un monde qu’il juge trop grand et trop inquiétant et qu’il s’évertuera à réformer.

 

Quelle conscience de l’Eglise aujourd’hui ?

Que l’on soit tenant de l’une ou de l’autre des trois façons possibles d’entrer en relation avec le monde extérieur et en particulier avec l’Eglise, nous vivrons invariablement la perception d’un manque. Ce manque tient assurément à ce que l’Eglise n’est pas ce qu’elle devrait être, mais il tient également pour grande partie au fait que chacun de nous n’est pas ce qu’il devrait être. Notre limitation, inscrite de fait par le récit biblique dans la chute originelle, nous amène à un sens faussé du réel, à une vision d’autant plus étriquée que notre part d’ombre sur nous-même est grande. Seul Jésus, dans le mystère de Dieu qui se fait pleinement homme, nous révèle un homme en qui il n’y a aucune part d’ombre. Un Dieu-homme qui repose pleinement en lui-même, qui jouit d’une autorité sans faille, d’une compassion sans contreparties et qui assumera pleinement notre humanité. C’est de lui, par lui et pour lui que vit l’Eglise ou se mêlent étroitement sa parole, son Esprit Saint et les ombres de notre humanité. La réforme de l’Eglise que j’appelle aujourd’hui de mes vœux est la réforme qui met tout un chacun dans les dispositions à discerner ce qui en lui vient des ombres de son humanité et ce qui vient de l’Esprit de Jésus. Et comme premier pas à cela, je propose sept thèses.

 

Sept thèses pour reformer notre conscience de l’Eglise

1. Je fais la liste de tous les « il faut » en lien avec l’Eglise : Il faut aller au culte, il faut prier plus, il faut aimer notre prochain… et je les remplace par « Je choisis de » : je choisis d’aller au culte, je choisis d’aimer mon prochain ou « je choisis de ne pas », par exemple je choisis de ne pas prier plus. Je rappelle ainsi ma liberté acceptée à l’égard de l’Eglise et mes limites consenties, mes frontières définies.

2. J’analyse ma critique de l’Eglise et je regarde si elle ne me renvoie pas plus profondément à ma part d’ombre non acceptée. Quelqu’un qui dira « l’Eglise ne m’aime pas » vit peut-être en réalité « Je ne m’aime pas » ou encore « Je n’aime pas l’Eglise ». Quelqu’un qui dira « le mode de décision n’est pas collégial » vit peut-être en réalité « je n’ai pas assez de pouvoir décisionnaire, je devrais en avoir plus ». Quelqu’un qui dira « L’Eglise manque d’unité » vit peut-être en réalité « Je manque d’unité en moi ou je ne suis pas uni à l’Eglise ». Quelqu’un qui dira « les mennos sont coincés » vit peut-être « je me sens coincé avec cette étiquette menno » et ainsi de suite. Je choisis ainsi de ne pas projeter sur l’Eglise ce que je n’arrive pas à accepter en moi-même. En prenant conscience de mes parties sombres, je me donne la possibilité d’apprendre à les aimer comme un écho à l’invitation que nous adresse Jésus d’aimer nos ennemis.

3. J’analyse mon rôle préféré dans l’Eglise : suis-je le plus souvent victime de l’Eglise (l’Eglise me doit quelque chose…), sauveur de l’Eglise (je supplée à ce qui manque dans l’Eglise…) ou bourreau de l’Eglise (j’ai l’art des petites remarques acides…) ? Ces trois rôles sont des fausses routes qui trouvent leur origine dans les limitations et blessures de nos personnalités et des échanges interpersonnels. Je choisis de laisser Jésus-Christ être le Sauveur de l’Eglise (non au moi Sauveur). Je choisis de porter ma vie (non au moi victime). Je choisis d’accepter les autres là où ils en sont aujourd’hui et je leur laisse la possibilité de progresser demain (non au moi bourreau).

4. Je choisis de m’accepter tel que je suis. J. Monbourquette[2] discerne trois principales sources de mésestime de soi : la déception de ne pas être à la hauteur d’idéaux très élevés, les messages négatifs reçus des parents ou de personnes signifiantes pour soi, les attaques de l’ombre personnelle formée en grande partie par son potentiel humain et spirituel refoulé et, par conséquent, non développé. Je choisis de vivre le pardon à moi-même en acceptant mes limites et le pardon à ceux qui m’ont offensé dans l’Eglise en acceptant leurs limites. Je choisis d’écouter et d’accepter les remarques que les uns et les autres me font dans l’Eglise comme source de progrès, de pacification de mon être et de ma relation aux autres.

5. Je choisis de grandir intérieurement. Les mystiques sont convaincus qu’il existe en nous un espace de silence où Dieu habite. Les disciplines spirituelles, pratiquées en lien avec l’Eglise, m’aident à avoir accès à cet espace intérieur dans lequel Dieu m’attend et me repose. Notre cœur est sans repos jusqu’à tant qu’il repose en Dieu, affirmait Saint Augustin.

6. Je choisis de co-créer avec Dieu dans l’Eglise. Co-créer dans l’Eglise, c’est travailler avec Dieu à la manière dont lui-même travaille dans l’Eglise pour en faire surgir le meilleur. Se laisser entraîner dans le processus créateur, c’est accepter avec Dieu la peine, le travail difficile, les déceptions comme le chemin inévitable que Dieu emprunte et empruntera avec moi jusqu’au dernier jour. Henri Nouwen a défini la communauté comme « le lieu où se trouve toujours la dernière personne avec laquelle vous souhaiteriez vivre ».

7. Après avoir fait miennes ces six premières thèses, j’analyse combien ma conscience de moi-même, de l’Eglise et de Dieu a changé. Je suis maintenant en chemin pour apporter ma contribution réformée à l’Eglise de Jésus.

Alexandre Nussbaumer, pasteur en congé sabbatique

 

Notes

[1] Je puise assez largement dans l’ouvrage : Maria Beesing, Robert, Nogosek, Patrick O’Leary, L’Ennéagramme, un itinéraire de la vie intérieure, Desclée de Brouwer, 2003.
[2] Jean Monbourquette, Comment pardonner, Bayard, 2011.

 

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