Accueillir la souffrance qui dure

 Dans Christ Seul

Nous connaissons tous des personnes qui cumulent les malheurs, qui vivent injustement drame après drame. Le prophète Jérémie était de ceux-là. Être prophète aux temps bibliques n’était certes pas une sinécure, mais Jérémie semble avoir été particulièrement mal loti. Pourtant, contre toute attente, les chrétiens que nous sommes ont pris l’habitude d’associer à cet homme, non des paroles de détresse, mais des paroles d’espérance. Réfléchissez un instant aux versets qui vous viennent en tête à l’évocation des livres de Jérémie. Il y a de bonnes chances que vous pensiez à Jérémie 29.11 et Lamentations 3.22-23. Jérémie, pardonne-nous de faire aussi peu de cas de tes souffrances ! N’avez-vous jamais envoyé ou reçu ces versets, sur fond de pré en fleurs ou de coucher de soleil, dans des temps difficiles ? Pourtant, ce n’est pas vraiment aidant, quand on va mal. Quand on est au fond du puits, parler d’espérance ne suffit pas à la rendre. « Oh tiens, je n’y avais pas pensé ! » Bien sûr que si que j’y pense, tous les jours, et ça me ronge de ne plus avoir d’espoir.

FACE AUX PLAINTES

À la relecture, on remarque vite que ces versets d’espérance sont noyés dans des lamentations. Rien n’est plus insupportable que des lamentations. Est-ce que vous avez déjà vu des gens se lamenter ? Des personnes qui quittent toute attitude de prestance, voire de dignité, et se répandent en plaintes, sanglotent, se mouchent bruyamment. Balayant tout sur leur passage – conjoint, enfants, travail, amis, Église. C’est un spectacle désagréable et dérangeant. Impossible de raisonner ces plaintes. Impossible de leur venir en aide. Car le but de la plainte n’est pas de recevoir de l’aide, mais de s’épancher. Que ça sorte ! Dire ce qui déborde, me saborde et me donne envie de tout abandonner. Et si je pouvais, je partirais, je laisserais tout en plan. Qu’est-ce que j’ai à perdre de toute façon, Dieu lui-même m’a abandonné. Mon frère, ma sœur, toi qui passes par la souffrance et la plainte, souviens-toi : Jésus aussi s’est senti abandonné (Mt 27.46).

L’IMPUISSANCE DU SPECTATEUR

crédit photo : Gavin Spear

« Tu m’as banni loin de la paix, je ne sais plus quel goût a le bonheur » (Lm 3.17). Nous voulons de tout cœur apporter des solutions face au désespoir et à la peine. Or, la lamentation nous place dans la position intenable de spectateur. Non que nous soyons à court d’idées, de plans de sauvetage : proposons-les, ils seront balayés du revers de la main, même les plus pertinents. Le temps de la plainte n’est pas le temps du secours. Ce temps-là n’admet pas de parole. Soyez brillants, composez le plus éloquent des discours, quand bien même il serait écouté, il ne produirait rien. Il y a un temps pour tout, dit l’Ecclésiaste.

UN MOUVEMENT INTIME

Ne soyons pas nos propres dupes. Nous aimons l’efficacité, les changements de vie radicaux et les guérisons instantanées. Or, nous sommes impuissants à mobiliser les autres. À peine sommes-nous responsables de nous-mêmes. Paul nous invite à devenir des adultes qui se comportent comme des adultes. Être adulte, c’est notamment développer la capacité de faire des choix et de les assumer. Le choix libre et adulte de Jérémie, d’après le troisième chapitre de ses Lamentations, c’est de croire en la bonté de Dieu au moment où il n’en a aucun signe. Nul ne sait ce qui se passe entre les versets 20 et 21, entre la plainte et l’espérance. Jérémie soudain se remémore la bonté passée de son Dieu, mais nous ne savons pas comment cette pensée éclot. Nous ne pouvons pas susciter le désir de continuer à vivre chez l’autre. Il y a un mouvement intime qui ne peut se faire qu’en celui qui traverse la souffrance. C’est le lieu de la rencontre avec le Père tout-aimant, celui qui a donné le souffle de vie à Adam. Lui seul vivifie.

CROIRE EN LA BONTÉ DE DIEU

C’est pourquoi la souffrance des autres nous met en échec, si nous nous donnons pour tâche de les aider à aller mieux. Il nous faut déplacer l’objectif. Nous ne pouvons pas relever les autres, mais notre attitude peut les encourager ou non à chercher en Dieu l’espérance qui fait défaut. La responsabilité d’une personne qui souffre, en tant que chrétien, c’est de parvenir à croire en la bonté de Dieu, au cœur même de sa souffrance ; c’est là que la foi se démontre. Quel est alors le rôle de ceux qui sont à côté de lui ? Veiller à ne pas entraver ce processus, en premier lieu. Exemples d’erreurs à ne pas commettre : attirer le regard sur soi plutôt que sur Dieu. Prendre la place du sauveur plutôt que de l’ami. Opposer nos propres réponses à ses questions.

Nous ne savons pas accueillir la souffrance des autres. La souffrance nous gêne, nous dérange, nous déstabilise. Et c’est tant mieux. Cet inconfort nous rappelle que la souffrance ne fait pas partie du projet de Dieu pour l’humanité. Accepter ce malaise nous permet d’affirmer avec force cette vérité porteuse d’espérance : le malheur ne vient pas de Dieu, et le mal aura une fin. Pénétrés de cette conviction, nous pourrons – par grâce – communiquer l’espérance tarie, au-delà des mots, comme des disciples de la Parole faite chair.

Contactez-nous

Envoyez nous un courriel et nous vous répondrons dès que possible.

Illisible ? Changez le texte. captcha txt
0

Commencez à taper et appuyez sur Enter pour rechercher