La liberté, un test pour le caractère
Abraham Lincoln aurait dit un jour : « Si tu veux découvrir le caractère d’une personne, donne-lui du pouvoir. » Moi je dirais plutôt : si tu veux découvrir le caractère d’une personne, donne-lui de la liberté.
Nous désirons tous éprouver le sentiment de liberté. Dans notre culture, la liberté est considérée comme un élément essentiel pour assurer la qualité de vie et le bonheur : pouvoir décider moi-même ce que je veux croire, quel métier je veux exercer, qui j’aimerais épouser et où je passe mes vacances. Mais « la liberté » est aussi un concept ambigu. Souvent, il est utilisé de manière trop simpliste, devient paradoxal et perd tout sens. Mon point de vue est le suivant : on ne devrait parler de liberté qu’en relation avec le caractère, la liberté est en quelque sorte un test pour le caractère.
UN VOYAGE SANS BOUSSOLE
La plupart des gens vivent de manière à peu près convenable et raisonnable aussi longtemps qu’il y a des lois et des règles, aussi longtemps qu’on les voit et qu’on les entend, aussi longtemps qu’il y a des récompenses pour les bonnes actions et des sanctions pour les mauvaises actions. Mais comment nous conduisons-nous quand il n’y a ni normes ni réglementation, quand personne ne nous voit, ne nous entend, quand il n’y a ni « friandises » en récompense, ni « coups de fouet » comme punition ? À ce moment-là, c’est la commande interne du caractère qui entre en action, ce sont les qualités, ou bien les défauts, qui prennent les commandes.
Le sage juif Martin Buber a dit un jour : « J’aime la liberté, mais je me méfie d’elle. » Dans ses écrits sur la pédagogie il ajoute : « Comment pourrait-on lui faire confiance quand on l’a vue en face ? » C’est le sentiment fulgurant de tout comprendre et de tous les possibles. Pour Buber, la liberté est comme un voyage sans boussole et pourtant il se bat pour elle. L’homme a besoin d’être libéré de certains liens mais la liberté ne doit pas conduire à l’absence de limites, de relations, de responsabilités et de buts. La liberté doit mener à une vie responsable en relation avec Dieu et avec les autres hommes. La boussole dont parle Buber, c’est le caractère d’une personne.
LA VRAIE LIBERTÉ
Si, dans nos Églises, nous voulons amener les gens à une liberté responsable, il ne nous faut ni davantage de lois et de règlements, ni une libéralisation illimitée et sans but ; ce qu’il nous faut, c’est former les caractères.
L’épître aux Hébreux nous dit, au sujet des personnes mûres, qu’elles ont acquis par expérience des sens bien exercés pour discerner le bien du mal (Hé 5.14). On ne forme pas le caractère par l’enseignement, mais par les expériences qui sont les reflets de notre vécu partagé dans les échanges avec d’autres personnes.
Personne, sans doute, n’a décrit les pas à faire sur le chemin vers la vraie liberté de façon plus précise que Dietrich Bonhoeffer dans son texte de 1944 intitulé Les étapes sur le chemin de la liberté.
QUELLES SONT CES ÉTAPES ?
La discipline
Aujourd’hui nous dirions peut-être « autodiscipline » ou «autodirection ». D’après Bonhoeffer, le chemin vers la liberté n’est pas un abandon incontrôlé aux sens et aux désirs. Il nous conseille de veiller à ce que nos sens, nos désirs et nos membres ne nous « conduisent pas tantôt par-ci, tantôt par-là ». Il nous dit de nous concentrer sur le but auquel nous sommes appelés et de contrôler notre esprit et notre corps sur le chemin vers ce but.
L’action
Cette discipline nous libère pour l’action : il s’agit de « ne pas flotter dans le possible mais de saisir avec courage la réalité ; la liberté n’est pas dans la fuite des pensées mais uniquement dans l’action ». « Sors des hésitations de la peur et entre dans le tourbillon des événements, porté seulement par les commandements de Dieu et par ta foi, et la liberté va envelopper ton esprit de jubilation. » C’est cela la libération en vue d’une action engagée dans le service.
La souffrance
Puis on découvre que l’action ne mène pas au but souhaité. Bonhoeffer est neutralisé, il est en prison : « Tes mains fortes et actives sont liées. Impuissant et solitaire, tu vois la fin de ton action. » Maintenant il faut lâcher prise. Ceci est aussi une libération. J’ai tout donné, mais maintenant il faut que je re-dépose tout cela dans les mains de Dieu. J’ai atteint les limites de mes possibilités. « Paisible et réconforté, je dépose tout dans des mains plus puissantes », je m’en remets à Dieu « afin que Lui opère un accomplissement glorieux ».
La mort
Finalement l’homme arrive à sa limite définitive. Il ne peut pas retenir sa vie. Il est incité à la lâcher. Est-ce alors la fin ou le début de sa liberté ? Bonhoeffer écrit : « Mort, fais tomber les chaînes pesantes et les murs de notre corps périssable et de notre âme aveuglée pour que nous apercevions enfin ce qu’il ne nous a pas été accordé de voir ici-bas. » « Liberté, (…) maintenant, en mourant, nous te découvrons devant la face de Dieu. »
Traduction : Frieda Manga