Implantation d’Églises dans une vision anabaptiste

Qu’entendons-nous par « Église anabaptiste » ? Au 16e siècle, étaient appelés « anabaptistes » les partisans du baptême d’adultes sur confession de leur foi, opposés au baptême des petits enfants habituellement pratiqué dans l’Église de la Réforme de l’époque, et opposés au système de chrétienté fondé sur une alliance entre l’Église et l’État. Cependant, comme l’auteur l’explique dans son livre Radicalement chrétien !¹ les différents mouvements anabaptistes partageaient bien d’autres convictions communes qui se sont enrichies au fil des siècles. Il y propose sept « convictions anabaptistes » pour tenter de décrire le mouvement mondial qu’est devenu aujourd’hui l’anabaptisme. De manière plus concise, d’autres ont essayé de résumer la compréhension anabaptiste à partir des trois points clés suivants : Jésus est au centre de notre foi, la communauté est au centre de nos vies, et la réconciliation est au centre de notre mission².

Cet article doit donc être lu avec cette compréhension de l’anabaptisme : une tradition de justice et de paix, centrée non seulement sur la mort et la résurrection de Jésus, mais aussi sur son enseignement et son exemple de vie, centrée également sur la vie communautaire, lieu privilégié de la lecture de la Bible, de son interprétation et de sa mise en pratique.

Pierre-Daniel Matthey

INTRODUCTION

Après 1945, les missionnaires mennonites américains ont décidé de ne pas implanter d’Églises mennonites au Royaume-Uni mais plutôt de proposer les acquis de cette tradition. Le Centre Mennonite de Londres a fonctionné de manière œcuménique avec des chrétiens d’autres traditions avant d’être dissous. Le Réseau Anabaptiste, créé en 1991, a préféré fournir des ressources et du soutien aux chrétiens inspirés par la vision anabaptiste mais les discussions n’ont pas été concluantes. Cependant on assiste actuellement à un regain d’intérêt. Il n’y a que quelques Églises de tendance anabaptiste en Grande Bretagne. La présence anabaptiste est principalement due au Réseau Anabaptiste sous forme de groupes d’études ou de congrès avec diverses organisations.

Questions posées : Des chrétiens dispersés peuvent-ils refléter la vision anabaptiste axée sur la communauté ? On a inventé l’expression « anabaptiste avec trait d’union » pour décrire les Églises d’autres traditions qui ont découvert l’anabaptisme, ses principes et ses pratiques. Faut-il continuer à proposer des ressources ou implanter des Églises explicitement anabaptistes ?

L’ANABAPTISME : UN MOUVEMENT D’IMPLANTATION D’ÉGLISES

Group of people plant a tree together outdoors

Au 16e siècle, la communauté faisait la différence entre les réformateurs et les anabaptistes. Pour ces derniers, il était crucial d’établir, sur la base du baptême des croyants, des communautés indépendantes de l’État, ouvertes à la discipline de l’Église, à la mise en commun des biens et au renoncement à la violence. Les anabaptistes ont renoncé à transformer les Églises établies en Églises anabaptistes, mais ils ont créé beaucoup de nouvelles communautés en Europe germanophone. Ces petites Églises, réunies en secret à cause de l’opposition, avaient des différences sensibles de pratiques et de convictions. Les communautés moraves en particulier ont soutenu des missionnaires pour créer de nouvelles Églises en Europe. Au 16e siècle, l’implantation d’Églises coûtait la persécution et l’exécution des dirigeants. Mais la conviction qu’il fallait rétablir l’Église des origines plutôt que de la réformer a été pour longtemps le moteur du mouvement. Par la suite, le zèle missionnaire a diminué. L’attention s’est portée sur le soin pastoral, la conformité doctrinale et ecclésiale, la survie dans un cadre hostile. Fuite, clandestinité, renoncement à évangéliser en échange de la tolérance des autorités, ont empêché de nouvelles implantations dans des régions autrefois anabaptistes. Les Églises d’Europe de l’Est et d’Amérique du Nord avaient peu d’objectifs missionnels. Dans ces dernières décennies, la pratique de l’implantation d’Églises a repris avec la montée de la postchrétienté. Tout en veillant à ne pas imposer une culture étrangère, des Églises ont été implantées dans des régions où la présence anabaptiste était jusque-là faible ou inexistante.

L’IMPLANTATION D’ÉGLISES AUJOURD’HUI

Malgré certaines objections minoritaires, l’implantation d’Églises est reconnue comme un aspect significatif de la mission dans une société postchrétienne. Il s’agit d’ouvrir à tous les groupes sociaux, y compris à ceux qui le désirent et n’en ont pas la possibilité, l’accès à différents types d’Églises. Ainsi sont élaborées des stratégies d’implantation aux niveaux national, régional et local. Des financements importants permettent les formations, le coaching, les publications. Le ministère d’évangéliste et d’implanteur est validé comme celui de pasteur et d’enseignant. Les nouvelles Églises implantées ne prospèrent ni ne survivent toutes, et sont trop rares, mais la pratique est bien approuvée. La postchrétienté a peu à peu remplacé l’ère chrétienne qui avait suffisamment de pasteurs, d’enseignants et d’Églises pour tous. La relation entre Évangile et culture était bien établie, avec très peu de variations dans les pratiques ecclésiales. Les premiers anabaptistes qui contestaient la relation entre Évangile et culture et implantaient de nouvelles Églises en ignorant les frontières des paroisses, ont été mal accueillis par la société ritualisée de l’époque. L’implantation d’Églises revient à l’ordre du jour en période de transition culturelle, quand l’Église redécouvre sa vocation missionnelle.

Ces dernières années, on a créé des milliers d’Églises distinctes des plus anciennes, pour atteindre plus de gens dans une culture complexe et changeante, d’où les expressions « Église émergente », « nouvelles façons d’être Église » et « nouvelles expressions de l’Église ». Malgré des résultats mitigés, ces initiatives rappellent qu’établir une Église ne consiste pas à reproduire des formes existantes, mais à exprimer la créativité ecclésiale et missionnelle, avec une réflexion nouvelle sur la relation entre l’Évangile et les sous-cultures environnantes qui évoluent et se diversifient. De nombreux implanteurs se sont inspirés de la tradition anabaptiste, surtout de ses formes créatives et expérimentales. L’implantation d’Églises contemporaine est œcuménique et coopérative, avec des congrès, des collaborations, des réseaux locaux et de nombreuses discussions pratiques sur les finances, le personnel, le leadership et la redevabilité. Les éléments sectaires et compétitifs ne prédominent pas. Cette coopération œcuménique a des retombées positives sur le nombre d’Églises établies en un temps relativement court. Elle invite aussi à la réflexion sur les types d’Églises nécessaires à la postchrétienté et sur les structures favorisant les priorités de l’Église. L’absence de discussion et de coopération, la pression pour établir rapidement de nombreuses Églises, ont empêché davantage de réflexion théologique dans le mouvement d’implantation. La plupart des nouvelles Églises ressemblent aux anciennes, avec une créativité limitée aux méthodes d’évangélisation et au style de culte, sans débats théologiques sur la nature et le but de l’Église.

(À suivre…)

Traduction : Jean-Jacques et Claudine Streng

NOTE : Stuart Murray, pasteur baptiste anglais, théologien et implanteur d’Églises, travaille pour le « Réseau anabaptiste » (Anabaptist Network) comme consultant et formateur au Royaume-Uni. Il est l’auteur de plusieurs livres concernant l’implantation d’Églises en milieu urbain et la missiologie contemporaine.

1 Stuart Murray, Radicalement chrétien ! – Éléments essentiels de la démarche anabaptiste, Cléon d’Andran, Excelsis, coll. Perspectives anabaptistes, 2013
2 Palmer Becker, Qu’est-ce qu’un chrétien anabaptiste ? Livret disponible en fichier PDF sur le site de la Conférence Mennonite Mondiale, dans la rubrique du Réseau Mennonite Francophone : https://mwc-cmm.org/sites/default/files/website_files/dl.missiodei18.f.pdf