Sobriété numérique à l’ère de la mise à distance

 Dans Christ Seul

Les restrictions de mouvement provoquées par la pandémie ont accéléré la digitalisation croissante de nos vies. De nouvelles formes de travail et de sociabilité ont pris une place prépondérante dans notre quotidien ; « télétravail », « visio » ou « Zoom » font désormais partie de notre vocabulaire. Les pratiques numériques ne sont pourtant pas uniformes, ni toujours maîtrisées, ni même accessibles.¹ Sur fond de distanciation physique, voyons quelques facettes de la mise à distance digitale en cours.

SURINFORMÉS ET MAL ÉQUIPÉS

En 1977 déjà, l’historien, sociologue et théologien Jacques Ellul écrivait : « Nous ne sommes plus une société dominée par l’impératif de production, mais par l’émission, la circulation, la réception, l’interprétation d’informations multiples ».² Son propos reste pertinent, les technologies numériques renforçant cette prépondérance de l’information. Le quotidien même des individus est submergé par l’avalanche d’actualités, notifications, photos, statuts, ou autres courriels. Il semble que ce qui caractérise l’être humain dans notre société d’infobésité, c’est sa capacité – ou son incapacité ! – à trier l’information.

Dans un contexte d’incitation à fréquenter diverses plateformes digitales, les individus comblent de plus en plus le vide par des clics et des scrolls³. Les réseaux sociaux deviennent pour certains la source principale d’information. Par ailleurs, des inégalités se forment ou se renforcent par la digitalisation de la société, compliquant par exemple l’accès à des services publics. On parle alors de fracture numérique. Même les jeunes sont concernés, notamment lorsque leur usage est essentiellement récréatif, ce qui ne signifie pas la maîtrise des outils ni la sensibilité aux contenus rencontrés.

ACTUALISER OU S’INFORMER ?

Bon nombre d’utilisateurs réguliers de technologies numériques sont mal armés et parfois même incapables de gérer la surinformation, ce qui peut comporter un danger pour le vivre-ensemble. À titre d’exemple, les médias ont récemment mis en exergue la popularité des théories du complot favorisant la création de sa propre réalité alternative. Le climat est propice au relai instantané d’affirmations sans vérification approfondie. Le débat, lui, est émotionnel et vif, quitte à accuser faussement les autorités ou offenser les autres internautes. Même sans verser dans des théories obscures ou des échanges corrosifs, chacun court le risque de vivre distrait dans un flux constant d’actualités et de notifications affectant la sérénité et limitant la prise de distance critique et la réflexion.

Qui dit usage, dit maîtrise des codes. L’information est partie prenante d’Internet et des plateformes digitales, mais il est essentiel de saisir que tout le monde ne sait pas y distinguer le vrai du faux, ou fait et opinion. Pourtant, les compétences techniques ne sont pas les seules responsables de nos mauvaises pratiques numériques. Celles-ci sont le reflet de dynamiques sociales plus globales (cf. encadré). Internet est révélateur de phénomènes qui ne sont pas nouveaux, même pas les fake news. Le problème n’est pas uniquement technique ni techniquement résoluble ; il est aussi question d’accès à une éducation numérique et à une sensibilisation à l’esprit critique dans un monde qui change.

SAGESSE NUMÉRIQUE

Osons l’ajouter : l’enjeu est spirituel. La Bible a son mot à dire sur notre éthique digitale. Qui dit maîtrise d’un usage, dit aussi maîtrise… de soi ! Il vaut la peine de méditer plus largement sur la place de la modération dans la vie du chrétien (Ga 5.16-24, sur le fruit de l’Esprit). Par ailleurs, la sagesse des Proverbes est une immense ressource pour qui tient à veiller à son comportement en ligne – ou à celui de ses frères et sœurs, pour l’édification commune. Il est aisé d’y actualiser les nombreux contrastes entre calomnie et vérité, division et paix, méchanceté et bienveillance. Quelle force derrière une déclaration comme « Celui qui dit la vérité proclame la justice, et le faux témoin la tromperie » (Pr 12.17). Proclamons-nous la vérité lorsque nous relayons des opinions martelées avec force et persuasion sans fondement réel ? Plus généralement, de nombreux passages des Proverbes peuvent guider notre rapport à Internet, notre lecture des actualités et notre comportement sur les réseaux sociaux.

Une approche sobre et équilibrée ne signifie pas vivre complètement hors écran, mais savoir discriminer entre diverses pratiques, et parfois sortir du numérique pour ne pas s’y perdre. Cette démarche sera bénéfique à la fois pour les sur-connectés distraits et pour les largués qui ne perdront pas le peu de fil social qui leur reste en ces temps troublés… et auront même la possibilité d’être initiés intelligemment à l’espace digital.

 

 

Pratiques numériques et dynamiques sociales

Auteur de Culture numérique, le sociologue Dominique Cardon parle de « dérégulation du marché de l’information ». Il avance que le constat grandissant d’une désinformation numérique dangereuse pour la démocratie provient paradoxalement de la démocratisation d’Internet, sans que celle-ci ne l’explique. Rudy Reichstadt, fondateur de Conspiracy Watch, avertit que « si chacun se fabrique dans son coin sa propre réalité alternative, celle qui conforte le plus sa vision du monde, alors le débat démocratique se condamne à être un dialogue de sourds ». Ainsi, il convient de prendre au sérieux les enjeux d’une citoyenneté numérique et d’agir en faveur des personnes – y compris soi-même – marginalisées par le manque d’accès aux outils technologiques ou par leur incapacité à naviguer la surcharge informationnelle.*Les opinions exprimées sont celles de l’auteur.

¹ Charles de Laubier, Le Monde, 30 août 2020, « La fracture numérique au révélateur du Covid-19 ».
² Jacques Ellul, 1977, p.105. Le Système technicien. Paris, Calmann-Lévy.
³ Défilement de pages Web.
Julien Brygo, Le Monde diplomatique, août 2019, « Peut-on encore vivre sans Internet ? ».
 Maxime Tellier, France Culture, 31 mai 2020, « La fracture numérique n’épargne pas les jeunes ».
⁶ La polémique autour du documentaire Hold up l’illustre bien.
⁷ Robert Darnton, Le Monde, 20 février 2017, « On retrouve tout au long de l’histoire l’équivalent de l’épidémie actuelle de “fake news”».
⁸ Une liste non exhaustive : Pr 3.30 ; 6.12-19 ; 10.12-14 et 18-19 ; 11.11-13 ; 12.11-28.

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