Histoire de pieds

 Dans Christ Seul

Aurélie Hirschler est envoyée de Mission Mennonite au Burundi. Elle accompagne l’équipe d’une école élémentaire en la formant à diverses méthodes pédagogiques et à l’enseignement du français langue étrangère.

« Merci, mais je ne peux pas les garder ! » Janvier détourne son regard de la nouvelle paire de sandales qu’on vient juste de lui offrir. Il quitte la grande salle sans son cadeau.

Sur les collines du Burundi, les chaussures sont un grand luxe. Quand un généreux donateur a financé l’achat de sandales pour tous nos écoliers à Karubabi Harvest School, j’étais très heureuse. Les chaussures sont bien plus qu’un accessoire de mode : elles protègent nos pieds. Imaginez les sentiers burundais de boue et de cailloux, ou encore les champs de ronces qui deviennent occasionnellement un passage pour les élèves pressés. Les pieds de nos élèves sont forts, les pieds de nos élèves sont beaux.

Un cadeau trop précieux

Crédit photo : Aurélie Hirschler

La journée de distribution des paires de chaussures était une journée festive, et sans avoir entendu la conversation avec Janvier, j’aurais même dit que c’était une excellente journée. Cependant, la confusion était évidente : pourquoi Janvier a-t-il refusé son cadeau ? « Elles seraient trop rapidement volées », m’explique le directeur. En tant que benjamin dans sa famille, Janvier n’était pas équipé pour se défendre face à ses grands frères. Ils allaient tout simplement lui prendre les sandales et les vendre, pour se procurer quelques millilitres de bière à consommer.

Alors que Janvier se tenait devant nous, pieds nus, nous avons constaté que son corps était sale et abîmé, mais également fort et précieux. Comme tous les élèves des collines voisines, ses pieds étaient infectés de chiques, ces insectes qui pondent leurs œufs sous la peau et les ongles. Ses pieds étaient couverts de plaies, de croûtes et de crevasses. Ses ongles ne le protégeaient pas. Ses chaussures ne le protégeaient pas. Et ses frères ne le protégeaient pas non plus. J’étais triste, choquée, émue, énervée…, mais j’ai vu que mes collègues burundais n’étaient, eux, ni surpris ni découragés par la situation. C’est leur réalité.

Prendre soin

Crédit photo : Aurélie Hirschler

Rapidement des enseignants et personnels de l’école se sont organisés pour retirer, une par une, les centaines de chiques sous les pieds de Janvier. Ils ont désinfecté les plaies et appliqué de l’huile sur la peau ouverte à vif. Janvier n’était pas le seul enfant à bénéficier de leur aide, et les collègues se sont mobilisés pour que ces élèves n’aient pas à marcher jusqu’à chez eux ce soir-là, mais pour qu’ils puissent rester au centre de santé. Nos professeurs sont en classe pour enseigner, mais leur engagement les amène également à marcher sur ces sentiers étroits et sales, afin de rencontrer les élèves dans leurs familles. Ils salissent leurs chaussures et abîment les semelles. Les pieds de nos enseignants, bien qu’équipés de chaussures, sont forts. Les pieds de nos enseignants sont beaux.

Et tes pieds, ça va ?

Crédit photo : Aurélie Hirschler

J’ai été spectatrice de cette scène telle que je vous l’ai décrite. Ce n’est pas une histoire figée, c’est une histoire qui s’inscrit dans un contexte que j’apprends jour après jour à aimer, un contexte que j’apprends jour après jour à appréhender. Nos repères et nos habitudes sont si relatifs ! Nos définitions sont si relatives ! Qu’est-ce qui est bon pour Janvier ? Certains disent des chaussures, d’autres parlent de la paix avec ses frères. Qu’est-ce qui est juste pour nos enfants ? Certains disent des pieds chaussés, d’autres parlent d’un accès à l’éducation. Qu’estce qui est acceptable de la part des donateurs étrangers ? Certains disent des équipements et des infrastructures, d’autres parlent de relations et d’édification. Et vous, lecteurs, que pensez-vous ? Pourrions-nous ne pas nous précipiter dans nos analyses et nos conclusions ?

Heureusement que la Parole de Dieu dépasse les époques et les lieux. C’est ma foi en Jésus-Christ qui me sert de boussole. « On te l’a enseigné, ô homme, ô femme, ce qui est bien et ce que l’Éternel attend de toi : c’est que tu te conduises avec droiture, que tu prennes plaisir à la bonté et que tu vives dans l’humilité avec ton Dieu » (Michée 6.8). J’aimerais que mes pieds soient forts, car enracinés dans la Vérité.

J’aimerais que mes pieds soient beaux, car humblement au service des enfants, des adolescents, des adultes autour de moi.

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