Des poissons et des crabes

 Dans Christ Seul

Pour mes dernières vacances, j’ai séjourné dans une communauté religieuse protestante près de Nevers, la Fraternité de Moria. J’y ai côtoyé plusieurs personnes autistes, dont un papi de 76 ans, que l’on appellera Joël, et qui est porteur du syndrome d’Asperger. Joël passe ses journées seul dans un coin à faire des mots croisés et à remettre des bûches dans le poêle à bois. Je n’ai quasiment pas entendu le son de sa voix. Sauf un jour, à table.

POISSONS VOLANTS

Nous parlions des paparazzi, ces photographes très indiscrets, quand il demanda avec malice : « Il n’y a pas des mamanrazzi aussi ? » Gros éclats de rire autour de la table ! Comment fait-il, Joël, pour être aussi drôle, imprévu, « déjanté » ? On dit souvent des autistes qu’ils sont « dans leur bulle » – mais en fait, pas du tout.

Joël me fait penser à d’autres personnes autistes que je côtoie, notamment au collège où je travaille. Même malice, même humour. « Que mange la lune quand elle se réveille ? », me demande Norman un matin. Je ne sais pas. « Un croissant ! » Ce matin-là, Norman a illuminé ma journée d’un joli soleil, avec sa blague tendre et poétique. Très sérieux, il poursuit : « Est-ce que les crabes dans l’océan pensent que les poissons volent ? » Mais comment fait-il pour penser à des choses aussi sensibles et « vraies » ?

PANIERS DE CRABES

Crédit image : Ben

En vérité, en vérité, je vous le dis, il n’est pas impossible que les poissons volent aux yeux des crabes. Dans son appréhension du monde colorée par l’autisme, je me demande à qui, des poissons ou des crabes, Norman s’identifie. Je l’imagine volontiers en poisson argenté, virevoltant dans le courant des eaux en surface, jouant avec les marées et le soleil. Pendant ce temps, nous, qui nous pensons « valides », car non « handicapés », nous nous déplaçons de travers, les pattes dans le sable, la carapace bien accrochée, les pinces devant. Nous, paniers de crabes affairés, nous levons nos têtes et, voyant ces petits poissons argentés, haussons les épaules : « Ils sont dans leur bulle. Ils sont dans la lune. »

Elle a bien raison, la lune, de manger un croissant le matin en se réveillant. Car eux, ces petits poissons argentés dans les nuages, ils nous éclairent d’éclats de soleil que reflètent leurs écailles. Et d’éclats de rires, aussi, même si leurs écailles nous entaillent parfois le cœur.

 

 

 

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