Marthe Ropp, une vie pour la mission
Pendant plus de trois décennies, Marthe Ropp a incarné l’engagement missionnaire des mennonites français, alliant soin médical et soutien aux Églises locales. Rédigé à partir d’archives très abondantes (surtout des courriers parus dans le bulletin du Comité de mission puis dans Christ Seul), cet article revient sur la vie d’une pionnière.
Dans le numéro de janvier 1950 de Christ Seul, apparaît pour la première fois, dans une note à propos de Java de la plume du rédacteur Pierre Widmer, le nom de celle qui sera la première missionnaire envoyée par les mennonites français : « Notre jeune sœur, Marthe Ropp, docteur en médecine à l’hôpital de Pfastatt, a récemment reçu appel [sic] du MCC pour aller occuper ce poste » – celui de médecin dans la région centrale de Java où était active la mission mennonite hollandaise. « Nous la recommandons aux prières de tous. »
RECONNAISSANCE D’UNE VOCATION
Le 28 janvier 1951, à Valdoie, une réunion du Comité de mission mennonite français (CMMF) entérine la collaboration avec les missions mennonites des Pays-Bas, de Suisse et d’Allemagne dans le cadre du Comité européen de mission (EMEK) et envoie Marthe Ropp avec des finances conséquentes (150 000 francs de l’époque) pour elle et la mission à Java. Ainsi est née une vocation médicale missionnaire qui durera 17 ans à Java, à cheval sur cette période de l’histoire marquée par la décolonisation.
Dès le début, Marthe Ropp est consciente d’être envoyée au service d’une Église locale proprement javanaise, certes naissante, mais avec des leaders dont un nom ressort, celui du frère Hadi Djojodihardjo. Dès la Conférence mennonite mondiale de 1952 à Chrischona (Bâle, Suisse), il représente cette Église avec son épouse. Il sera d’une grande aide au début de la mission médicale, défendant les missionnaires et les conseillant dans un contexte culturel et politique parfois hostile. La naissance de l’Église un siècle auparavant dans la région du Mont Muria, au centre de l’île de Java, le rôle joué par la mission mennonite des Pays-Bas et les leaders javanais rempliraient un livre et ne peuvent être évoqués ici. Mais Marthe Ropp inscrit sa présence et son action dans le cadre de cette Église.
« REVENEZ NOUS AIDER ! »
Elle demande dans ses lettres d’intercéder pour elle et décrit ses problèmes en restant confiante dans l’œuvre de l’Esprit. Après un premier séjour (de février 1951 à février 1954) sous l’égide du MCC, elle revient sous la houlette de l’Église mennonite de Java en avril 1955 pour un ministère médical confirmé, jusqu’en 1968, en trois séjours de quatre ans environ. L’imploration d’une malade l’a touchée au cœur : « Mademoiselle, revenez pour nous aider ! » Elle mènera ce ministère avec détermination, combinant le côté médical et la participation assidue à la vie des Églises mennonites de la région du Muria. Son service sera officiellement reconnu au bout d’une quinzaine d’années par son Église locale à Pakis, qui la nomme conseillère, sorte de diacre à la parole, responsable des réunions en semaine et de l’accompagnement. Elle revient en congé en juin 1968 avec l’idée de repartir pour Java au bout d’un an et demi, après un recyclage en médecine tropicale à Liverpool.
L’APPEL POUR L’AFRIQUE
Mais le numéro de septembre 1969 de Christ Seul annonce : « Dr Marthe Ropp ne retournera pas à Java ‒ Elle dit pourquoi aux lecteurs de Christ Seul. » Après avoir décrit dans le détail son cheminement spirituel et la sollicitation providentielle de deux infirmières missionnaires allemandes, elle précise : « L’Indonésie trouvera avec facilité un médecin mennonite (aussi longtemps que je suis là, je bloque la place pour les autres, et il y a des candidats) et il y a déjà deux médecins du pays. Pour la Gambie, il n’y en a pas. » Elle poursuit en expliquant que ce choix n’a pas été facile, mais il reçoit l’approbation des divers partenaires et notamment du pasteur H. Djojodihardjo de passage en Europe. Elle invite les Églises mennonites de France et l’EMEK à poursuivre leur soutien à Java, mais elle se sent appelée à une autre mission pionnière sous l’égide de la WEC, ce qui suppose de vivre « par la foi » dans une autre région pauvre du monde pour un témoignage médical en milieu musulman.
MÉDECIN DE BROUSSE
Elle passe cinq ans dans une banlieue de la capitale Banjul avec les deux sœurs infirmières. Puis c’est en brousse, à Sibanor, qu’elle se sent appelée. Dans un long courrier de janvier 1977, elle décrit les activités à Sibanor finalement assez proches de ce qu’elle a connu à l’époque pionnière en Indonésie comme « médecin de brousse ». Elle évoque également les occasions de témoignage auprès des collaborateurs embauchés, dont peu sont chrétiens. Elle relate les thèmes abordés lors de la « conférence missionnaire » de Gambie : baptême, cène, mais aussi l’autorité dans l’Église en lien avec le ministère féminin.
Après un congé durant lequel elle assiste au mariage de sa nièce, elle rejoint son équipe et se réjouit de l’agrandissement de la station de Sibanor, plus fonctionnelle pour prendre en charge les 300 à 500 malades par jour. Dans ce milieu, elle note que « l’aide médicale est la clé qui ouvre les cœurs… et les cases ». Le 5 mars 1978, elle écrit : « Nous sommes vraiment reconnaissants pour les possibilités qui nous sont données en Gambie, pays tellement tranquille, comme un îlot de paix dans un monde troublé ! Il n’y a pas de guerre, pas de réfugiés, pas de danger, pas de persécutions. Nous pouvons travailler en paix, annoncer l’Évangile, prendre des vacances. On a presque honte d’être des missionnaires si privilégiés (…) Cependant, en voyant la foule des malades venant à nos cliniques, la souffrance, les maladies et les morts que la saison de pluies amène, notre cœur se serre. »
LE TEMPS DE LA TRANSMISSION
Ce courrier résume bien ce que sera la vie de Marthe Ropp en Gambie jusqu’à ce mois de mai 1984 où son retour déjà programmé est précipité par le constat d’une tuméfaction au sein. Cette maladie soignée, elle servira ensuite comme enseignante au Bienenberg et dans divers forums. Elle exercera également dans une clinique psychiatrique allemande pendant deux ans. Elle partagera sa vaste expérience comme membre du bureau de l’Association des Églises mennonites, dans son Église de Pulversheim, au CMMF et à la WEC. Elle demeurera auprès de la famille de sa nièce jusqu’à son décès, le 24 mars 2018.
Une telle biographie factuelle ne rend pas justice à la beauté et à la complexité de l’engagement de Marthe Ropp. Un deuxième article essaiera d’y remédier.
POUR ALLER PLUS LOIN…
Voir aussi la biographie rédigée par sa nièce Anne-Marie Ropp :