La non-conformité, une valeur à redécouvrir
Le Réseau mennonite francophone a publié plusieurs articles sur ce thème dans cette rubrique ces derniers mois, en provenance du Congo, du Burkina Faso, du Québec, de France et de Suisse. Essai de synthèse de cette série.
Savez-vous que, dans les cinq domaines suivants : divorce, inconduite sexuelle, violence conjugale, matérialisme, racisme, les chrétiens évangéliques nord-américains se comportent globalement comme leurs concitoyens ? Ron Sider l’a montré, statistiques à l’appui1 : pas de différence de comportement (ou presque) entre les chrétiens évangéliques et le reste de la société !
Être comme tout le monde ou être différents, parce que chrétiens. Cette question de la non-conformité évangélique a été traitée ici au fil des derniers mois, par des auteurs de trois continents (voir encadré). L’ensemble de ces articles permet de dessiner quelques traits du paysage mennonite francophone à travers le monde.
FONDEMENTS
Les sept auteurs ont globalement estimé que l’appel à la non-conformité évangélique était juste et important. La Bible y appelle (Rm 12,1-2) et les anabaptistes l’ont soulignée, en parlant de « séparation d’avec le monde ». Le terme est repris par certains auteurs congolais, comme appel à l’Église de leur pays à se démarquer clairement de la pratique de la corruption. Certains auteurs occidentaux cherchent à montrer que la non-conformité n’a pas pour but un retrait du monde, mais plutôt la mission de l’Église pour le monde.
DIFFÉRENTS EN QUOI ?
Quels sont les domaines où les Églises mennonites francophones se démarquent de leur entourage ? En Suisse : le tutoiement, l’hospitalité, la générosité, l’avortement, les rapports sexuels au sein du mariage ou au moins dans un engagement dans la durée. Au Burkina Faso : la musique mondaine, les pratiques animistes et occultes, le port d’armes, la nécromancie. Au Congo : le refus du baptême des enfants, le refus du service militaire (en théorie).
DAVANTAGE DIFFÉRENTS EN QUOI ?
Dans leurs articles, les auteurs ont souvent plaidé pour que les chrétiens et les Églises se démarquent davantage qu’ils ne le font, dans certaines situations. Au Congo : ne pas céder aux conflits tribaux dans l’Église, ne pas recourir aux tribunaux entre chrétiens, répondre au problème de jeunes filles se prostituant pour nourrir leur famille, refuser la corruption et la violence verbale, renoncer aux mauvais traitements envers les personnes âgées… Au Burkina Faso : ne plus se taire face à l’injustice sociale et économique. Au Québec : pratiquer la justice sociale et la paix. En France : être prêt à donner de son temps pour l’Église plutôt que pour les vacances et les loisirs. En Suisse : partager et pratiquer l’assistance mutuelle, moins s’attacher aux richesses et s’engager davantage pour la justice et la paix.
AUTO-CRITIQUE
Les auteurs de chaque pays ont donc eu un regard critique sur leur Église, dans le domaine de la non-conformité. Ils en appellent à un témoignage plus clair dans les comportements, tout en étant conscients des difficultés. Car le contexte de pauvreté et de guerre au Congo, par exemple, pèse lourd sur les chrétiens : « Comment ne pas se conformer à une société où l’on est obligé de se « débrouiller » pour subvenir à ses besoins ou pour vivre ? », demande Tatiana Ndjoko. En Europe, le contexte qui affecte les choix et les comportements des chrétiens, c’est l’individualisme d’une part et la société des loisirs d’autre part : « L’image du disciple souffrant qui se donne jusqu’à la moelle n’a plus trop la cote, parce que notre monde se taille des parts de lion de notre discipulat », écrit Alexandre Nussbaumer. Dans les deux cas, on voit bien combien le sujet est important : comment ne pas être entraîné par le conformisme ambiant, par facilité ou par difficulté à faire autrement ?
ET SI NOUS NOUS METTIONS à LA PLACE DE L’AUTRE ?
Un des mérites de ces articles, c’est, pour nous lecteurs du Nord, de nous faire entrer un peu dans le contexte de vie des chrétiens mennonites d’autres latitudes, en particulier au Congo. Comment réagirions-nous si nous étions dans un contexte de guerre, de pauvreté chronique, de corruption, de lutte pour la survie quotidienne ? Il s’agit en tout cas pour nous chrétiens de l’hémisphère Nord de refuser de nous habituer au « scandale des inégalités de l’Église chrétienne à l’échelle mondiale » (Samuel Escobar).
URGENCE
Alors, la non-conformité évangélique, un thème dépassé ? Au vu du constat de Ron Sider, c’est plutôt un thème urgent ! Il s’agit tout d’abord d’être au clair sur le programme de Jésus (Mt 5-7 entre autres) pour ses disciples en matière de comportement et d’y dire « oui » : c’est la base, souvent différente du fonctionnement habituel. Ensuite, cherchons à être conscients du conformisme qui nous imprègne, de manière souvent subtile, de manière différente dans chaque contexte, en Europe, en Afrique, en Amérique du Nord. Enfin, osons faire le saut d’appliquer le programme de Jésus aujourd’hui, à plusieurs. Cela demande du courage et de la persévérance, valeurs peu post-modernes… Mais en définitive, si nous désirons transmettre l’Évangile, il s’agit de poser question en étant « heureusement » différents.
Note
1. Ronald J. Sider, The Scandal of the Evangelical Conscience – Why Are Christians Living Just Like the Rest of the World ?, Baker Books, Michigan, 2005.
EXPLICATIONS
De mai 2008 à novembre 2009, sept articles ont été publiés sur le thème de la non-conformité évangélique, en provenance des Églises des pays suivants : Suisse, France, Québec, Burkina Faso, République Démocratique du Congo (trois fois), qui forment le Réseau mennonite francophone. Ils émanaient d’une femme et de six hommes, deux Européens, un Nord-Américain, quatre Africains. Une question avait été posée à chaque auteur à propos des Églises mennonites de son pays : « Dans quels domaines s’exprime la non-conformité, dans quels domaines ne s’exprime-t-elle pas, dans quels domaines devrait-elle s’exprimer (davantage) ? »
Les articles du Réseau mennonite francophone sont publiés dans Christ Seul, Perspectives, Le Lien et sur le site de la Conférence Mennonite Mondiale.
Coordination : Jean-Paul Pelsy.