Pris au piège

 Dans Christ Seul, Explorer

Depuis quelques mois, le Comité de Mission Mennonite Français soutient un travail parmi les enfants et les jeunes à Bogota en Colombie dans le quartier très dangereux de Cazuca.

« On est pris au piège », me dit Mercedez. La pièce où nous nous trouvons est exiguë, il y fait sombre. L’espace est occupé par trois lits, une armoire, et une table sur laquelle sont empilées des couvertures recouvertes d’une bâche pour les protéger de la pluie qui perce les tôles rouillées servant de toit.
« Nous sommes pris au piège », me répète Mercedez en me prenant la main comme pour demander de l’aide. Deux jours plus tôt, son fils de 16 ans, Mickaël, a été victime de la violence qui règne dans le quartier.
Il est 19 h lorsqu’une petite pierre vient frapper le toit. Mickaël sait que c’est le signal de Carlos, 14 ans, qui passe le chercher pour rejoindre un de leurs copains du quartier. Comme dans les contes, Mercedez lui dit. « Ne sors pas ». Mais comme dans les contes, le fils n’écoute pas. Sur ce qui s’est passé ensuite, il y a plusieurs versions. La police a conclu à un règlement de compte entre bandes rivales C’est faux !
Cette nuit-là, cinq autres jeunes, armés de machettes et de revolvers, ont sorti de force Mickaël, Carlos et Santiago de l’épicerie où ils se trouvaient. A la vue de tous, ils les ont traînés vers le bas du quartier.

LOI DU SILENCE

Les habitants, les voisins, savaient ce qui était en train de se passer, ils ont couru se cacher en appliquant la fameuse loi du silence. Prévenus par d’autres jeunes, les pères de Carlos et Santiago se sont mis à parcourir les rues, cherchant quelqu’un qui leur dirait quelque chose, où leurs fils avaient été emmenés… Mais le quartier était devenu désert. L’information qu’ils cherchaient leur est parvenue trop tard. « Ils viennent de les exécuter sur le petit terrain vague ».
Carlos et Santiago sont morts. Mickaël, avec une balle dans le thorax, s’est débattu entre la vie et la mort pendant des jours. II s’en est sorti par miracle. Sa mère, Mercedez, ne sait pas si elle doit s’estimer heureuse parce que son fils est en vie, ou malheureuse car désormais, pour protéger la vie de Mickaël et de ses frères, elle doit fuir le quartier et laisser le peu qu’elle possède
Pris au piège, c’est comme ça que se sentent de nombreux jeunes qui vivent à Cazuca, une zone du sud de Bogota. Une zone où la vie des jeunes est âpre comme ses rues de poussière qui s’élèvent à près de 3000 mètres d’altitude.

IMPUNITÉ

Quelques semaines plus tard, Edison, un jeune de 17 ans avec qui j’échangeais quelques mots, me disait : « De mes amis, trois ont été assassinés, c’était des gars sérieux. Ils étaient à un bal, quand des hommes sont arrivés avec une liste des personnes à liquider. Ce quartier est tellement cool, que ceux qui tuent peuvent le faire devant tout le monde et partir tranquillement en marchant! »
Depuis 2004, on estime à plus de 240 le nombre de personnes assassinées à Cazuca, la plupart avaient entre 12 et 22 ans. Les paramilitaires, un groupe armé illégal qui pratique le « nettoyage social », sont à l’origine de ce scandale. Suspectant les jeunes d’être de potentiels délinquants ou guérilleros, ils les assassinent

L’INDIFFÉRENCE DES BONS

C’est pour des jeunes comme Mickaël, Carlos et Santiago que nous sommes engagés et que nous luttons. Mettre en place des processus de formation et d’organisation et proposer des alternatives concrètes à la violence, c’est ce que nous souhaitons. Au travers de l’éducation comme pratique de la liberté, pour reprendre les termes de Paulo Freire, et en nous inspirant des valeurs de l’évangile, nous rêvons et essayons de construire de petits morceaux de paix et de justice.
Je termine par cette phrase que j’ai lue récemment et qui m’a fait réfléchir: « Ce n’est pas la méchanceté des mauvais qui me surprend, mais l’indifférence des bons. »

 

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