Un film sur les mennonites suisses et les amish

Lancé en août 2005, un documentaire de Peter von Gunten intitulé « Ici-bas, au-delà » décrit les mennonites du Jura bernois (Sonnenberg) et les amish et mennonites de Berne, Indiana, aux USA. Le film a fait la programmation de cinémas en Suisse alémanique, vient de sortir en DVD et devrait être diffusé prochainement sur les écrans de Suisse romande. Plus de 10 000 personnes ont déjà vu ce documentaire qui alterne paysages du Jura bernois et des Etats-Unis, en donnant la parole à des mennonites et des amish d’aujourd’hui. Ils s’expriment sur leur foi, leur manière d’être et de vivre. Pour comprendre la démarche de ce documentaire, nous avons choisi d’interviewer son réalisateur Peter von Gunten .

CHRIST SEUL : Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de réaliser ce travail ?
Peter Von Gunten : J’avais travaillé de 1993 à 1995 sur des chrétiens coptes soudanais, qui avaient des difficultés au sein des groupes musulmans fondamentalistes. Je me suis demandé ce qui faisait qu’un homme tenait à sa conviction même dans l’adversité et la persécution. Et je n’ai trouvé aucune réponse. Je me suis donc demandé si la liberté religieuse existait réellement en Suisse, puisqu’en dehors de l’Eglise catholique officielle, on ne parle pas beaucoup d’autres religions. Je suis tombé par hasard sur l’histoire des anabaptistes, puis des mennonites, que je ne connaissais pas ; je me suis demandé où ils étaient, comment ils vivaient aujourd’hui, ce qu’ils pensaient. Cela a été la base du film.
CHRIST SEUL : La manière de vivre des mennonites dans la société vous a-t-elle surpris ?
Peter Von Gunten : J’ai été très surpris du mode de vie des amish, comme il y a trois siècles. Surtout par rapport aux mennonites américains qui sont comme vous et moi. En Suisse, je trouve l’assemblée du Sonnenberg très ouverte, par rapport aux mennonites américains que j’ai rencontrés. Les gens autour de l’assemblée du Sonnenberg sont toujours surpris de l’accueil, de la joie de vivre qui s’y dégage. Moimême, j’ai été accueilli sans distance, sans réserve.
CHRIST SEUL : Qu’est-ce qui vous a le plus surpris d’un côté comme de l’autre ?
Peter Von Gunten : Quand j’étais chez les amish, nous n’avons pas cessé de rire. Quand on ne parle pas de règles de vie religieuse, ces gens sont incroyablement gais. Ils chantent volontiers, tous ces chants suisses de l’Emmental, avec leurs propres textes. Je me suis dit qu’avec les amish, je n’avais pas besoin de télévision, leur compagnie suffisait à remplir une soirée. J’ai demandé une fois à l’un des pasteurs : « Pourquoi ne voulez-vous pas prendre l’avion ? » Il m’a répondu : « Je ne sais pas, je n’y ai jamais réfléchi. Nous n’en avons pas besoin, je pense. » Je l’ai relancé : « Peut-être est-ce parce que dans un avion vous seriez un peu trop près de l’amour de Dieu ? ». Il a ri à gorge déployée, et m’a dit : « Tu as sans doute raison ! ». Les mennonites américains, eux, sont très divisés à propos de leurs choix politiques. Dans l’Indiana, beaucoup ont voté Bush parce que ce président se déclarait chrétien. Avec la guerre en Irak, ils se sont soudain posé des questions sur leur choix. J’ai donc perçu une certaine tension sur ce point. En Suisse, cela a été très amical, avec beaucoup d’échanges sur la foi et sa pratique.
CHRIST SEUL : Les mennonites vous ont-ils appris des choses ?
Peter Von Gunten : Je me décris comme libre penseur, bien que de tradition chrétienne. Mais ces quatre années de travail m’ont fait me poser beaucoup de questions, et m’ont montré combien sans doute ma position est difficile : devoir décider tout seul de ce que je dois croire du monde.
CHRIST SEUL : Vous avez montré le film aux participants ; quelles ont été les réactions ?
Peter Von Gunten : Au Sonnenberg, un ancien m’a dit : « Ce n’est pas seulement ton film, c’est le nôtre. » Les Suisses se sont très vite approprié le film, ils s’en sont même servi pour nourrir leur propre réflexion. Aux Etats-Unis, j’ai pu le montrer à un petit nombre d’amish « libéraux », exclus du groupe plus traditionnel, qui acceptaient de voir un film ; ils ont été très impressionnés. Les mennonites américains étaient très surpris de constater que l’on pouvait réaliser un documentaire sur eux. Ils ont assez peu de recul, ils ont accepté le film de manière très émotionnelle. Côté européen, la réaction a été beaucoup plus intellectuelle.

UN AVIS
Les paysages sont magnifiques, l’authenticité des jeunes et des moins jeunes sonne juste. Le passage d’un continent à l’autre élargit l’horizon. La manière d’exprimer sa foi, en profondeur discrète, en force tranquille, est un trait commun aux personnes, amish et mennonites. J’ai essayé de regarder le film avec un regard critique sur moi, sur nous mennonites. J’ai admiré la manière dont une femme pasteur dénonce la récupération de Dieu par le gouvernement des Etats- Unis au profit de la guerre en Irak, et le nationalisme religieux de certains chrétiens nord-américains. Quand la foi chrétienne conduit à ce genre de clarté prophétique tranquille, alors il fait bon être mennonite ! Pour le reste, j’ai eu l’impression de voir des gens bien installés dans leur vie quotidienne et dans leur vie en Eglise, sans tambour ni trompette certes, mais sans prise de risque au nom de leur foi. La radicalité éthique et missionnaire des anabaptistes du XVIe siècle semble assez loin… Cette impression est renforcée peut-être par la longueur du film, par la lenteur des séquences, par l’approche ethnologique. Mais l’interrogation est là : comment, dans un contexte très différent, vivre la radicalité de l’Evangile ? Ce documentaire est un bon miroir…
MICHEL SOMMER

Le film
« Ici-bas, au-delà » (« Im Leben und über das Leben hinaus »), un documentaire de Peter Von Gunten, Cinov, Berne, une coproduction de SSR Idée Suisse/SF DRS (145 minutes).
En français, allemand, anglais (sous-titrage dans les autres langues).
DVD au prix de 80 € + frais de port, à commander à : Cinov filmproduktion, CH – 3000 Bern 13, vogu.film.bern@bluewin.ch
Prix dégressif pour commande de 5 ou 10 exemplaires.
Infos et photos sur www.artifar. com/clients/vogu