La bonté
Après l’amour, la paix, la joie et la patience, voici la bonté , une des saveurs du fruit de l’Esprit Saint, entre suspicion et « bonne poire ».
Il semblerait qu’il soit plus facile d’attribuer le qualificatif « bon » à un plat qu’à une personne… C’est du moins la remarque qui m’a été faite lorsque, un dimanche matin, je me suis permis de poser la question de nos critères pour évaluer une chose ou une personne en vue de pouvoir la déclarer « bonne » (ou non). Pour un plat, pas de problème : il suffit de le goûter pour savoir si on le trouve bon. Pour une personne, par contre, le phénomène est plus complexe : il faut parfois du temps, m’a-t-on dit, jusqu’à ce que l’on reconnaisse sa bonté… Parce qu’on attend, avant de se prononcer, que des preuves de bonté aient été données. Et même, éventuellement, on se méfie : quelqu’un de trop bon peut être suspect. A moins qu’il ne soit « bonne poire »…
DÉFINITION
D’où ma question : le fruit de l’Esprit serait-il, dans son aspect de bonté, susceptible d’être mal perçu, mal reçu ? Susceptible de nous faire passer pour des gens dont on peut plus facilement abuser que les autres ? Le risque, ai-je envie de dire, est au minimum présent. Surtout lorsqu’on pense à la définition suivante : la bonté, c’est comme « […] le désir de se rendre utile, d’assouvir les besoins d’autrui. C’est l’attitude qui pousse un enfant de Dieu à faire le bien ; il voit, il étudie les problèmes de ses frères, du monde qui l’entoure ; il aime, mais de façon absolument pratique, il est terre à terre dans ses rapports humains. Il apporte son aide désintéressée là où on en a le plus besoin. Il est aimable, rempli de compassion au point de chercher à rendre service. »1
BON… COMME JÉSUS
Quand je lis cette définition, je suis bien obligé de reconnaître que j’y vois très bien… Jésus ! Alors, est-ce que je ne devrais pas – au moins un peu et en dépit des risques – pouvoir m’y voir aussi moi-même ? Évidemment, là, c’est plus délicat…
BONTÉ SANS LIMITES
« Soyez bons les uns envers les autres, – écrit Paul –, compatissants, vous pardonnant réciproquement, comme Dieu vous a pardonnés en Christ » (Ep 4,32 ). Une bonté qui se décline en compassion, pardon, service. Et qui ne devrait pas, à l’image de celle de Dieu, avoir de limites ou être sélective (je ne suis bon qu’avec ceux qui, à mes yeux, le méritent) : parce que « l’Éternel est bon envers tous, et ses compassions s’étendent sur toutes ses œuvres » (Ps 145,9), « […] il est bon pour les ingrats et pour les méchants » (Lc 6,35). Bonté envers tous, donc, sans considération de personnes, qui nous conduit à aimer nos ennemis, à faire du bien et à prêter sans rien espérer…
BONTÉ SURNATURELLE
Face à un tel programme, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le Nouveau Testament parle de la bonté comme d’un aspect du fruit du Saint-Esprit… Qui de nous, en effet, peut prétendre y atteindre, si ce n’est par sa puissance agissant en nous ? Ce n’est pas, et heureusement, que soit niée la possibilité pour les gens « du monde » (non régénérés) de vivre quelque chose de cette bonté, mais celle qui vient du Saint-Esprit est surnaturelle. « […] La bonté de Dieu te pousse à la repentance », dit encore Paul (Rm 2,4). Et si la bonté dont je pouvais, par le Saint- Esprit, faire preuve, amenait d’autres à la repentance ? Peut-être alors cela vaudrait-il quand même la peine de prendre le risque d’être (trop) bon…
QUELLES MOTIVATIONS POUR ÊTRE BONS ?
C’est vrai, notre monde est ainsi fait qu’une personne trop bonne peut paraître suspecte : elle a quelque chose derrière la tête. De grâce, n’en faisons pas une excuse pour ne pas vivre la bonté ! Il peut par contre parfois être utile d’examiner nos motivations à faire le bien. Ne sommes-nous pas à l’occasion tentés d’être bons avec ceux qui nous entourent dans le seul but de pouvoir ensuite leur annoncer l’Évangile ? Même si je suis convaincu de l’importance de cette annonce, je ne suis pas sûr que ce soit là la bonne perspective…
« TA BONTÉ TE PERDRA… »
Reste la question suivante : être trop bon ne risque-t- il pas de faire de nous des « bonnes poires » ? On connaît tous la maxime : « Ta bonté te perdra »… A être trop bon, ne risque-t-on pas de se faire avoir ? De voir les gens abuser de nous ? Sans doute. C’est pourquoi il convient de rappeler qu’être bon ne veut pas nécessairement dire accepter de tout faire et n’importe comment. Ce n’est pas ainsi qu’on aide les gens. Cela dit, je ne peux m’empêcher de penser que, quelque part, la bonté de Dieu l’a « perdu » : « […] lorsque la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes ont été manifestés, il nous a sauvés […] » (Tt 3,4-5). Et nous savons ce que lui a coûté notre salut !
ÊTRE TROP BON POUR L’ÊTRE ASSEZ…
Mr Orgon, dans la pièce de Marivaux « Le Jeu de l’amour et du hasard » avait cette parole : « Dans ce monde, il faut être un peu trop bon pour l’être assez »…2 Sagesse qui aura au moins le mérite de nous rappeler qu’il vaut mieux, me semble-t-il, risquer d’être un peu trop bon plutôt que de ne pas l’être assez – même si c’est au risque d’être parfois « bonne poire »…
NOTES
1. Définition donnée par Ralph Shallis, dans son livre Explosion de vie, Farel, 19832, p. 80.
2. Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, Bordas, 1995, acte I, scène 2. Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, qui écrivit cette pièce en 1730, fut un auteur dramatique et romancier français (1688-1763).
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