Martin Luther King, 40 ans après

 Dans Christ Seul, Explorer

Il y a quarante ans Martin Luther King était assassiné. Ce pasteur noir américain est devenu une sorte de symbole de la lutte non-violente pour la justice. Lui qui avait été si critiqué pour son engagement, y compris parfois dans les Églises, est peu à peu devenu une figure unanimement respectée aux côtés des grands personnages de l’histoire de l’Église. Nous ne pouvons que nous en réjouir mais il nous faut rester prudents. Le Seigneur lui-même a indiqué qu’il n’y avait pas de plus sûre manière de faire taire la voix des prophètes que de leur construire de somptueux tombeaux. Que voulons nous garder de l’apport de Martin Luther King et en quoi cela peut-il nous indiquer aujourd’hui la route à suivre ?

Vers la communauté réconciliée

Martin Luther King s’est retrouvé impliqué dans un mouvement de lutte contre la ségrégation qu’il n’a pas déclenché, mais dont il est rapidement devenu le leader et le symbole. Depuis longtemps, les Noirs subissaient cette situation d’oppression et pendant très longtemps, l’enseignement de Jésus sur la non-violence avait servi à les garder dans la soumission. King a reçu de Gandhi le moyen de lutter contre l’injustice dans le respect de l’autre et sans lui faire subir de violence. Cette forme d’action non-violente, Gandhi l’avait lui-même reçue de l’Evangile à travers l’enseignement de Tolstoï.

La lutte non-violente pour la justice

Pendant des siècles, les Eglises ont été divisées entre certains – une très petite minorité – qui voulaient respecter le Sermon sur la montagne et ne jamais employer la violence, et d’autres qui pensaient que la justice devait être défendue par les moyens les plus efficaces. La méthode employée par Martin Luther King veut faire la synthèse des deux approches. Ce n’est pas la lutte pour la justice qui est remise en cause par l’enseignement de Jésus, mais la manière de lutter. Il s’agit, dans ce qu’on appellera faute de mieux la non-violence, d’amener l’autre à changer de position en acceptant de subir nous-mêmes la souffrance. Il y a donc bien acceptation du conflit, mais sans chercher à vaincre l’autre, mais seulement à le convaincre.

Le but de cette démarche n’est donc pas la victoire des uns – en l’occurrence de la communauté noire américaine – mais la communauté réconciliée dans laquelle les uns et les autres pourront apprendre à vivre ensemble. C’est le thème essentiel du célèbre discours de Washington, « je fais un rêve ».

Ne devons-nous pas, nous qui nous voulons aussi les disciples de Jésus-Christ, continuer le travail autour de cette volonté de lutter pour la justice par des moyens non-violents ? Si la non-violence est aujourd’hui plus généralement acceptée, particulièrement dans les Églises, elle n’est guère mise en pratique que par de petites minorités. Plutôt que d’envisager tout de suite les cas limites où elle ne pourra peut-être plus jouer de rôle, ne nous faut-il pas chercher à la mettre en œuvre dans toutes les situations où elle peut à l’évidence être efficace ?

La désobéissance civile

Souvent, dans nos Églises comme dans bien d’autres, l’accent a été mis sur la soumission aux autorités dans la ligne du 13ème chapitre de l’épître aux Romains. L’État est serviteur de Dieu pour la justice; nous n’avons donc pas à nous opposer à lui. Cette soumission qui abandonne toute responsabilité entre les mains de gouvernants qui ne se veulent pas nécessairement animés par des principes que nous reconnaîtrions, a parfois empêché les Eglises de réagir comme nous croyons qu’elles l’auraient dû dans certaines situations. Nous devons garder à la mémoire que la Justice est au-dessus du droit. Lorsque des lois injustes sont régulièrement votées et appliquées, elles ne deviennent pas justes pour autant. Nous devons certes reconnaître la nécessité des gouvernements et des autorités; ce sont eux qui peuvent assurer la paix et une certaine justice dans notre monde pécheur. Mais s’ils légitiment l’injustice, c’est encore leur être soumis que de leur désobéir tout en demandant de subir la peine prévue pour cette désobéissance. Le but n’est pas de renverser les autorités, mais de leur faire prendre conscience de la situation injuste qu’elles défendent. La désobéissance civile peut être une manière plus haute de respecter les autorités en les aidant à redevenir conformes à la volonté de justice de Dieu.

Penser largement

Martin Luther King s’est engagé dans la lutte pour l’égalité des droits dans le cadre de la ségrégation raciale qui régnait dans certains États du sud des États-Unis. Mais il s’est peu à peu aperçu que le racisme institutionnel n’était qu’une partie du problème et que la misère et la guerre étaient sources de bien d’autres injustices. Son combat s’est donc élargi et son souci des problèmes sociaux, comme son opposition à la guerre du Vietnam, ont certainement été aussi parmi les causes de son assassinat.
N’avons-nous pas souvent tendance à braquer toute notre attention sur telle ou telle question, alors qu’elle ne représente qu’une partie parmi d’autres des causes des problèmes rencontrés ? Si notre but ultime est la communauté réconciliée, nous ne devons pas hésiter à dénoncer les injustices de notre monde. Nous resterons réalistes, sachant bien que jamais nous ne parviendrons à résoudre tous les problèmes, mais nous savons aussi que le peu que nous pourrons obtenir sera déjà pour les personnes concernées une manifestation concrète de l’amour du prochain.

Le courage de s’engager

L’exemple de Martin Luther King, dans son imperfection même, nous rappelle que nous nous sommes souvent dérobés à notre responsabilité. Nous nous sommes si souvent habitués aux injustices qui ne nous touchaient pas directement ; nous avons souvent préféré la fausse tranquillité du désordre établi aux risques encourus par ceux qui disent la vérité et cherchent à défendre les petits et les opprimés.
Être fidèles à notre Seigneur, ce n’est pas annoncer seulement l’Évangile de la grâce, c’est aussi mettre en pratique l’amour du prochain. Quelles sont les injustices qui réclament aujourd’hui notre parole et notre combat ? Nous sommes souvent tentés de nous engager derrière des bannières largement déployées dans des luttes qui rassemblent déjà beaucoup de bonnes volontés. Sans doute est-ce parfois nécessaire. Mais notre appel premier n’est-il pas de nous engager auprès de ceux que personne ne défend, dans des combats qui semblent parfois voués à l’échec ?

Les circonstances actuelles en France ne sont pas, bien sûr, celles qu’a pu connaître Martin Luther King en son temps. Mais si l’on y regarde d’un peu plus près, certaines ressemblances sautent aux yeux. La population de certains quartiers ne connaît-elle pas la pauvreté, la mise à l’écart et une sorte de ségrégation sociale ? La distance entre les riches et les plus pauvres se développe également et la société qui avait, au fil du temps, institué un certain nombre de sécurités pour les plus fragiles est en passe de les abandonner par réalisme économique. Plus globalement, nos sociétés sont en train de devenir des îlots de richesses protégés dans un monde de pauvreté croissante. Les Églises doivent venir en aide à ceux qui restent sur le bord du chemin, et elles le font souvent. Mais ne doivent-elles pas aussi mettre en cause les structures de péché qui conduisent à ces situations de souffrance ?
Si les chrétiens des différents pays s’unissaient dans le même souci de faire progresser la justice, leur poids pourrait sans doute influer sur la situation mondiale. Mais il faudrait pour cela que les Églises se sentent concernées par la recherche de la justice comme étant une fo
rme élémentaire de l’amour du prochain. Certains grands mouvements comme Le Défi Michée sont des signes pleins d’espérance dans cette direction. Mais l’exemple de Martin Luther King doit aussi nous rappeler qu’il ne faut pas attendre l’accord de tous pour s’engager. L’Histoire montre que les engagements courageux et risqués seront toujours le fait d’une minorité. Il y aura toujours autour de nous des discours de « prudence » et de « sagesse » qui chercheront à nous faire accepter l’état actuel des choses. Il y aura toujours des chrétiens qui nous rappelleront que la foi ne concerne que le spirituel et qu’elle a tout à perdre en s’engageant dans des luttes humaines nécessairement ambiguës. Il est vrai que les engagements pour plus de justice n’ont pas pour vocation d’apporter le Royaume, simplement d’aider des hommes et des femmes à vivre mieux leur existence concrète.
A la lumière de l’exemple historique de Martin Luther King et de l’enseignement qu’il nous a laissé, demandons-nous quels sont les sujets qui aujourd’hui nous appellent à l’engagement pour la justice au niveau local, national ou mondial. Il s’agira ensuite de discerner les vocations particulières que le Seigneur adresse à telle personne ou à telle communauté. Mais considérer que cette lutte pour la justice et la communauté réconciliée fait partie de la vocation des chrétiens dans le monde est déjà un pas important qui peut commencer à changer la face de notre terre.

 


Cet article est publié conjointement dans « Pour la Vérité » (Union des Églises évangéliques libres), « Construire ensemble » (Croire publications), « Horizons évangéliques », « En route » (Église évangélique méthodiste) et « Christ seul ». Il a été proposé par la rédaction de « Pour la Vérité ».

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