Le Défi des mennonites paraguayens

 Dans Christ Seul, Explorer

Riches et puissants dans un pays pauvre et à État faible, les mennonites du Paraguay doivent s’interroger sur des questions de justice sociale et économique. Comme nous !

L’image ci-contre ne paraît pas tellement exotique : deux hommes à la peau basanée réparent un trottoir. C’est un tableau familier qui pourrait se situer au bout de ma rue ! En fait, il s’agit de deux Indiens en train de travailler devant le centre d’une des colonies mennonites du Chaco. Chez nous, c’est la mairie du coin qui fait appel à une entreprise qui, à son tour, fait travailler des Africains. Là-bas, ce sont les mennonites qui emploient directement des Indiens.

PROSPÈRES

L’époque des mennonites arrivant exsangues et à bout de souffle, dans un pays qu’ils ne connaissaient pas, pour aller s’enterrer dans une zone reculée, est révolue, même s’ils aiment rappeler cette histoire. Aujourd’hui, il s’agit d’un groupe qui a pignon sur rue. L’ensemble des coopératives mennonites a le quasi-monopole de la production laitière du pays. Si vous achetez un yaourt, vous vous apercevrez qu’il vient de l’une de ces coopératives. Filadelfia, siège historique des colonies mennonites, est devenue le chef-lieu de région officiel (en partie contre la volonté des mennonites, d’ailleurs). Dans la région de la capitale, Asunción, plusieurs mennonites sont des chefs d’entreprise qui emploient des dizaines de salariés. Le groupe gère, probablement, plusieurs pour cent du PIB du pays et l’un d’entre eux a été ministre des Finances dans le gouvernement précédent.

APPORT SOCIAL

La particularité est que ce pouvoir s’exerce tout en s’appuyant sur des formes communautaires maintenues au-delà des frontières de l’Église. Les Indiens de la photo travaillent pour une coopérative dont ils ne sont pas membres. Cela met mal à l’aise. D’un autre côté, ces coopératives ont également réussi à monter des structures hospitalières et de la médecine de proximité grâce à des formes d’assurance maladie qu’elles se sont imposées à elles-mêmes et grâce à des conventions avec les communautés d’Indiens. Dans un pays dont la médecine est branlante, c’est à relever. Grâce à l’enracinement communautaire qui subsiste jusque dans la capitale (près de deux millions d’habitants), des groupes font de l’accompagnement de prisonniers. Ils leur proposent ainsi une insertion facilitée dans des réseaux sociaux, alors que lesdits prisonniers se trouvent souvent coupés de toute attache.
Quand il s’agit de construire des rapports de groupe à groupe avec les Indiens vivant en milieu rural qui pratiquent, eux aussi, la vie sociale sur une base communautaire, cela fonctionne bien. Quand il faut réinscrire dans la société des prisonniers qui en sont exclus, c’est un portail d’entrée de premier choix.

PATERNALISME AU TRAVAIL

Lorsque l’on entre dans le monde du travail, en revanche, je trouve que cela produit un paternalisme qui a ses limites. L’évangélisation dans les entreprises est financée par les chefs d’entreprise et on propose un accompagnement aux salariés. Mais on ne propose pas un partage des revenus différent. Il y a un travail auprès des fonctionnaires pour les encourager à résister à la corruption ce qui, au Paraguay, est une mission de salut public, mais, pour le reste, on encourage ces fonctionnaires à être de « bons petits gars » qui font bien leur travail et ne font pas de vagues. Est-ce là tout ce qu’il y a à dire ? Le ministre mennonite a été nommé, paraît-il, au nom de sa compétence. Mais de quel projet de société était-il porteur ?

ÉTAT FAIBLE

Évidemment, dans un pays qui ignore l’impôt sur le revenu, où l’évasion fiscale sur la TVA est monstrueuse, où le réseau routier interurbain est réduit à sa plus simple expression, où l’État a été accaparé pendant des décennies par un dictateur qui pensait surtout à financer l’armée, il faut bien prendre les choses en main. On n’est pas dans le cadre d’un État providence.
Mais une fois que l’on se retrouve doté d’un tel pouvoir économique, une fois que l’on prend pied dans une société mondialisée, une fois que l’on fait du commerce avec l’étranger, il faut reconnaître que l’on doit aborder des questions plus formelles, engageant plus que des rapports de personne à personne : le partage du revenu, la mobilité sociale, la place des contre-pouvoirs. L’enracinement communautaire est une bonne chose, mais il doit construire des ponts avec d’autres manières de raisonner qui soulèvent, il faut le reconnaître, des questions qui fâchent.

QUESTIONS QUI FÂCHENT

Mais finalement, cela nous renvoie des questions à nous-mêmes. Revenons à l’image. J’ai dit qu’il s’agissait d’un tableau familier. Familier vraiment ! Et cela ne nous choque pas ? Qu’avons-nous à dire sur le partage du revenu, sur les chances des enfants de ces travailleurs de connaître un autre sort, sur la place des contre-pouvoirs chez nous ? D’accord, nous ne sommes pas des employeurs. Mais nous sommes dans un pays où l’État a des moyens et où nous avons notre mot à dire sur l’emploi de ces moyens. Que faisons-nous de notre pouvoir ?

Pour aller plus loin…
Retrouvez photos et impressions quotidiennes de Frédéric de Coninck au cours de 12 jours passés au Paraguay et au Brésil cet été sur le blog.

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