Israël – Palestine (10) : histoire de mobilité
Alors que le voyage d’étude du Mennonite Central Committee approche de sa fin, plongée dans la réalité quotidienne compliquée des Palestiniens en matière de déplacements et de mouvements.
« Imaginez les effets du mur sur la vie des Palestiniens, nous enjoint le représentant de « Stop the Wall ». Vous traversiez la rue pour faire vos courses ou amener votre voiture chez le garagiste. Désormais, il vous faudra une heure ou plus. » Les dizaines de kilomètre de mur qui serpentent autour de Jérusalem n’ont que quatre entrées vers la ville avec d’interminables bouchons. S’il est possible de changer de garagiste ou de magasin, cela est beaucoup plus difficile en ce qui concerne les amis ou les parents… Les familles et les réseaux de solidarité villageoise plus que centenaires se voient ainsi disloqués. Comme aussi la vie familiale dans son entier : emmener les enfants à l’école ou aller au travail suppose de se lever parfois plusieurs heures plus tôt pour être à l’heure. Sans compter les villages que le mur a simplement entourés, puisqu’il fallait relier les colonies à Jérusalem notamment par un réseau d’autoroutes rapides et efficaces ! Une de ces enclaves s’est vidée de ses habitants… Un nouveau tracé du mur va certainement en faire une colonie juive.
Un mur pharaonique
« Israël n’a que peu de records dans le Guiness Book », continue notre interlocuteur. « Alors il s’est engagé il y a dix ans dans cette construction pharaonique d’un mur de plus de 8 m de haut et 750 km de long. En comparaison, le mur de Berlin était une entreprise de gamins. » Miradors, barbelés électrifiés, vidéosurveillance, surveillance par satellite complètent le tableau. Les Palestiniens débattent entre eux pour savoir s’il vaut la peine d’en faire un lieu d’expression, ce qui pourrait être une forme d’acceptation. Ce sont les étrangers qui pour la plupart taguent le mur.
Check points
Jusqu’ici protégés par les plaques d’immatriculation israélienne de notre bus, par l’identité idoine de notre chauffeur et la fermeté de notre guide, nous n’avons pas eu d’expérience directe de la violence des contrôles aux check points. Par cet anglicisme passé en français, entendez une barrière physique au mouvement des personnes, avec contrôle en général militaire avec chiens, déshabillage en public, coups parfois si vous résistez. Les Palestiniens n’en parlent que peu, mais des amis danois parlent du traumatisme de devoir attendre à plusieurs centaines dans une salle obscure barrée par des tourniquets dont un ou deux fonctionnent au hasard.
Restrictions à la mobilité
A priori tous les Palestiniens connaissent de multiples restrictions à leur mobilité : interdiction de quitter le territoire sans autorisation spéciale délivrée par l’autorité militaire, aucune chance pour aller à Gaza si vous êtes de Cisjordanie. Si vous êtes, comme notre hôte de deux nuits, une Palestinienne âgée de Cisjordanie voulant rejoindre son fils aux Etats Unis, vous êtes « persona non grata » en Israël. Pas question de passer par le plus proche aéroport international, l’aéroport Ben Gourion à Tel Aviv, mais par Amman en Jordanie. Le pont sur le Jourdain est contrôlé par Israël qui ne laisse passer les Palestiniens qu’à pied ou en bus. Et si vous faites partie des Arabes de Jérusalem Est, vous avez l’obligation de justifier régulièrement de votre résidence effective à Jérusalem. « Lorsque j’envisage un voyage, nous explique B., je n’en dors pas plusieurs nuits avant. » Résident de Jérusalem, il pourra passer par Ben Gourion. Mais c’est un cauchemar pour ce père de famille de voir ces enfants déshabillés et palpés jusque dans les langes, marqués comme « hautement dangereux pour la sécurité » ! Où s’arrêtera le délire sécuritaire d’Israël ?
Politique sécuritaire
En fait, la sécurité, c’est la façade pour les médias occidentaux. Ici, personne n’est dupe, surtout pas ceux qui en sont victimes : ce serait suicidaire de passer un check point avec une bombe sur soi, alors que tous les ingrédients, interdits en Cisjordanie pour confectionner une bombe artisanale, sont en vente à Jérusalem ? Clairement, il s’agit d’humilier, de harceler et finalement d’exclure les Palestiniens de leur espace de vie historique au profit de la colonisation israélienne ; il s’agit aussi de faire monter la pression, de provoquer une réaction violente et de justifier l’état policier auprès des médias locaux et internationaux.
Double citoyenneté
Nous assistons lors de la visite de la ville très disputée de Hébron à une telle confrontation entre deux groupes d’enfants ; en descendant de leur colonie, les enfants isréaliens s’arment de pierres qu’ils ont l’intention de lancer sur le groupe de jeunes palestiniens qui jouent au foot sur la place. Notre guide nous explique que les enfants juifs religieux sont élevés dans la haine des Palestiniens et qu’ils sont instrumentalisés par les adultes pour les harceler. Ils sont animés d’un sentiment d’impunité puisqu’ils sont soumis à une loi civile difficile à mobiliser pour un Palestinien, alors que ce dernier est soumis lui à une loi militaire que les soldats postés à tous les « check points » et dans les miradors s’empressent d’appliquer. Cette double citoyenneté est une caractéristique des systèmes d’apartheid.
Evangéliques sionistes
En mars dernier, des théologiens palestiniens ont organisé une conférence intitulée « Christ au check point ». Cet événement a marqué le monde évangélique, puisque plus de 600 participants du monde entier y compris des leaders y ont assisté. Les contributions sont disponibles sur le site « www.christatthecheckpoint.com ». Peut-être le point de vue sioniste de certains évangéliques va-t-il évoluer ? La prochaine fois que vous entendrez parler du terrorisme palestinien, dites-vous bien que c’est un terrorisme du désespoir, savamment entretenu par ceux qui disent vouloir l’éradiquer.
Daniel Goldschmidt
Photo : Ruedy Nussbaumer. Prières au mur des lamentations palestiniennes.