Israël – Palestine (2) : histoire de terres
Deuxième jour de voyage, avec la visite d’un camp de réfugiés palestiniens près de Bethlehem. Plongée dans l’histoire et la réalité vues du côté palestinien.
Nous sommes accueillis ce matin dans une maison en périphérie d’un camp de réfugiés palestiniens. Nous montons sur le toit plat pour avoir une perspective circulaire : sur une colline proche, une des 19 colonies qui enserrent Bethlehem ; des sortes de citadelles d’immeubles clairs et empilés qui se serrent les coudes, entourées d’espaces verts propres, et de voies de dessertes neuves aux courbes harmonieuses et bien dessinées. Juste en contre bas , le « camp » flanqué sur l’un des côtés par le mur haut de 8 m avec ses miradors. Entre les deux, l’ancien village dont les maisons à toit plat appartiennent aux anciens propriétaires des lieux, palestiniens souvent chrétiens qui n’y vivent plus pour la plupart. Ils ont rejoint des régions moins troublées de Palestine ou alors ils ont grossi le flot continu des Palestiniens qui ont émigré, souvent aux Etats-Unis – la diaspora palestinienne représente les deux tiers des cinq millions de Palestiniens.
La « catastrophe »
Le récit de la « catastrophe » de 1948 nous a été fait plus tôt par l’un des animateurs de cette maison pour enfants. La « catastrophe », c’est la concrétisation sur le terrain du rêve sioniste accordé en 1917 par James Balfour, alors ministre des affaires étrangères de la Grande Bretagne qui administrait la Palestine sur mandat de la Société des Nations. Cette lettre a été envoyée à Lord Rothschild en accord avec Chaim Weizmann, alors président de la Fédération Sioniste et qui sera élu en 1948, président de l’État d’Israël. Selon les Palestiniens, le rêve sioniste se résume dans cette formule aujourd’hui polémique « un peuple sans terre pour une terre sans peuple ». Quoi qu’il en soit, les premiers colons israéliens durent « évacuer » pas moins de 519 villages palestiniens représentant près de 800 000 gêneurs pour établir leur Etat. Pourquoi cela a été possible en 1948 et pas avant a affaire selon eux (et certains Israéliens comme Avraham Burg) avec la culpabilité occidentale à l’égard des Juifs après la Seconde guerre mondiale.
Camp de réfugiés sous surveillance
Aujourd’hui, le « camp de réfugiés » qui s’étale devant nos yeux n’est plus ce village de tentes qu’il a été en 1948. Les Nations Unies ont donné aux familles du ciment ; elles ont construit un misérable abri sur le seul niveau autorisé, à raison d’un mètre carré par personne. « Mes 14 frères et sœurs, mes parents, grands-parents, une tante et un oncle, nous vivions tous dans trois pièces de 9 m² chacune », commente notre hôte. Ainsi parqués comme des bêtes, leur vie est réglementée par les permis accordés pour tous les aspects de leur vie par le gouvernement qui les a déplacés. Ils n’eurent le droit de construire un étage, puis jusqu’à quatre que par étapes dans les 60 ans qui suivirent. Aujourd’hui, le camp est caractérisé par un mur d’enceinte, et un espace occupé jusqu’au dernier mètre carré. Les constructions sont extrêmement denses et les espaces verts se résument au plantes sur les balcons. Les rues sont propres et font penser à nos vieilles villes moyenâgeuses : on peut se parler sans crier d’une façade à l’autre. Très peu d’infrastructures sont autorisées : deux écoles voient s’entasser les milliers d’élèves par équipe de deux fois 4 heures. Les cours se résument à l’utile : pas de dessin ou autre matière futile qui pourrait ressembler à du jeu.
Il y a 10 ans, quelques jeunes trouvent insupportable le sort fait aux enfants. Ils décident de leur proposer un espace de jeu et des activités dans des garages donnant sur une rue. Ils tissent des relations avec des visiteurs étrangers qui s’émeuvent de leur détermination et les aident. Le Mennonite Central Committee fait partie de ceux là comme le vante une banderole sur la nouvelle maison qu’ils ont pu acquérir juste à côté du camp. Ils ont refusé des subventions importantes d’organismes qui leur demandent d’organiser des activités mélangeant enfants israéliens et réfugiés palestiniens. Ces programmes « pour la façade » comportent, pour nos hôtes une part intolérable d’hypocrisie, tant que les enfants réfugiés rejoindront leur espace de vie confiné dans les camps. Si du moins leur partenaire israélien n’était plus amnésique et reconnaissait le fait historique de l’occupation, ils pourraient être d’accord…
Quel avenir ?
Les accords d’Oslo de 1991 à 1994 ont placé ce camp sous l’Autorité palestinienne, à l’exception de la rue qui permet d’y accéder toujours sous vidéosurveillance israélienne. Suite à la construction du mur autour de la Jérusalem proche, « l’état occupant » selon les termes de notre orateur contrôle l’accès aux emplois (en général à Jérusalem) et donc les revenus des réfugiés. L’état d’Israël (ou la ville de Jérusalem Ouest voisine) détient 80 % des ressources en eau, en carburant, en électricité…; il contrôle et taxe toutes les entrées et sorties de denrées de la Cisjordanie. Le coût de la vie a augmenté ainsi que la valeur des terrains (d’un facteur 20 en 20 ans). Les réfugiés n’ont donc plus de possibilité de construire une vie hors des camps. Ils sont pris comme des rats. A l’approche de l’échéance du bail emphytéotique contracté par l’ONU avec les propriétaires de l’époque, ils n’auront bientôt même plus le droit de rester dans leur camp. Ont-ils le droit d’exister ? Quel avenir pour les enfants qui jouent sur le terrain de jeu arraché par la maison d’enfants aux ordures et à l’égoïsme de leurs propriétaires ?
Daniel Goldschmidt
Photo : Ruedy Nussbaumer