Israël – Palestine (4) : histoire de points de vue

 Dans Blog, Israël - Palestine

Quatrième jour du voyage du voyage organisé par le Mennonite Central Committee. Avec des rencontres de personnes que les points de vue opposent. Récit et réflexions.

SONY DSC

Rarement, ai-je vécu un tel contraste en aussi peu de temps : la même matinée, nous avons échangé avec un colon juif pratiquant, puis avec un paysan palestinien leader de la résistance non-violente dans les villages de sa région au Sud d’Hébron. Les deux étaient persuadés d’être dans leur droit de résider sur cette terre ; les deux racontaient des histoires d’abus et de violences venant de l’autre bord ; les deux accusaient l’autre d’être responsable de l’échec des négociations.

Un point de vue israélien
« On pourrait résumer le problème avec cette image : cette tasse est-elle brune ou blanche ? » commence l’ami juif en brandissant une tasse brune à l’extérieur, blanche en dedans. Question de point de vue, de philosophie de la vie. Celui du juif pratiquant est le sionisme comme accomplissement des prophéties. « Nous sommes de retour sur cette terre que Dieu nous a donnée. Point. Rien à rajouter ! » Nous objectons : et le Shalom, l’appel à être une lumière pour les nations, la désobéissance à l’origine de la destruction du temple, l’intériorisation de la foi selon Jérémie. Tout cela ne remet pas en question le droit des juifs sur la Terre Promise. Les musulmans palestiniens, qui sont des ennemis héréditaires, se mettent en travers de l’accomplissement de la promesse. Les expulser revient à accomplir le plan de Dieu. Le politique et le religieux se donnent la main, l’Etat d’Israël et le peuple juif se confortent dans cette entreprise. D’ailleurs, l’actualité apporte de l’eau à ce moulin : voyez bien que les chefs palestiniens sont des terroristes qui poussent leur peuple au crime.

Un point de vue palestinien
Le point de vue du palestinien questionne cette notion de droit du sang ou d’héritage juif sur une base ethnique. Abraham n’appartient à aucune des trois religions révélées à l’exclusion d’une autre, ni aucun des lieux de culte. D’ailleurs qui peut dire que les Arabes qui ont vécu en Palestine du premier siècle (la destruction de Jérusalem) jusqu’à l’arrivée des premiers colons 18 siècles plus tard, n’ont pas d’ascendance juive ? Pour les Palestiniens, la fondation de l’état d’Israël est une catastrophe (« Naqba ») du fait de la destruction de plus de 500 villages palestiniens, l’extension continue des implantations juives en Cisjordanie une colonisation permanente, la construction du mur un apartheid. Jamais sans doute n’auront-ils autant mérité le titre d’un livre d’Elias Chacour, actuel archevêque de l’Eglise melkite de Haïfa : Frères de sang .

Raisonnement circulaire
Dans l’absolu, rien ne permet de départager les deux frères ; comme l’image de la tasse le laisse pressentir. Mais il n’y a pas d’absolu sur cette terre. Nous avons tous une histoire, une opinion et des lunettes qui colorent notre lecture des événements. Nous donnons à notre interlocuteur juif notre grille de lecture de l’histoire : nous sommes un peuple, les mennonites, qui a également été persécuté, a erré de terre en terre sans s’accrocher à ses privilèges, à cause de l’attitude non violente et du shalom que les écrits de Dieu nous inspirent. « J’ai beaucoup d’estime pour les mennonites », rétorque notre ami ; mais comparaison n’est pas raison. L’alliance que Dieu a établie avec Israël est EXCLUSIVE ET ETERNELLE (il insiste). Ni vous ni personne n’aurez jamais devant Dieu la même place que le peuple juif, car vous n’êtes pas tenus d’observer les 613 commandements spécifiques que Dieu nous a donnés. » A moins d’une conversion. Mais là, il y a contradiction puisque a priori il n’y a pas et il n’y aura pas de converti palestinien et qu’à l’inverse on ne voit pas ce qui permet de considérer comme juive les 80 % de la population israélite non pratiquante et ouvertement athée… Notre ami ne reconnaît pas que son raisonnement est circulaire, qu’il porte des lunettes fortement teintées et déformantes. Circulez, le chef a raison. Le drame est que ces juifs orthodoxes fournissent l’idéologie et la méthode au pouvoir de droite actuel en Israël pour mettre en oeuvre la politique d’exclusion des Palestiniens de leurs terres. Les colons religieux sont invités à noyauter les colonies « séculières » pour harceler les occupants des terres environnantes et étendre les colonies.

Résistance non-violente
Quel contraste avec l’ami palestinien rencontré juste après : il nous explique comment la résistance non violente aux ordres d’expulsion leur a permis en 13 ans non seulement de rester, mais de doter leur village d’équipements comme une école, des routes, et d’empêcher la construction du mur. « L’approche non violente nous a permis de faire des amis en Israël et dans le monde qui soutiennent notre action parce qu’ils savent qu’elle est juste ; et ils la font connaître et nous aident à la faire reconnaître devant la Haute Cour de Justice. » Nous demandons : « Qu’est-ce qui vous a conduit à choisir une résistance non violente ? » Non, ce n’est pas l’exemple ou la foi en Jésus, ni même la lecture de Gandhi ou de Thoreau, car c’est un musulman qui nous parle ; c’est le constat auquel il est arrivé par lui-même : réagir violemment aux injustices subies, c’est donner de l’eau au moulin de l’Etat et des colons israéliens qui n’attendent que cela pour justifier leur action face à leur peuple et aux médias du monde entier.

Changer de lunettes
Nous aurions aimé que cet homme nous resserve l’exposé sur l’ancienne et la nouvelle alliance qui nous a passionnés le jour précédent à l’Institut Biblique de Bethlehem. Le professeur nous exposait l’interprétation très largement dominante des prophéties sur Israël chez les chrétiens de tout bord pendant 19 siècles : elles s’appliquent à l’Eglise où les Juifs sont invités à entrer par la foi en Jésus. Depuis, la lecture dispensationnaliste de la Bible a envahi les milieux évangéliques sous sa forme originale ou actualisée. L’antisémitisme a sévi en Europe, avec son cortège d’horreurs interdisant aux chrétiens et aux non Juifs tout point de vue critique sur Israël et la Terre sainte. Saurons- nous changer de lunettes et percevoir ce qu’il y a de vrai dans l’exemple vécu de notre interlocuteur, un paysan-berger de Palestine, qui plus est musulman ?

Daniel Goldschmidt

Photo : Rachelle Friesen. Le groupe avec l’ami palestinien et un volontaire de Operation Colombe.

Contactez-nous

Envoyez nous un courriel et nous vous répondrons dès que possible.

Illisible ? Changez le texte. captcha txt
0

Commencez à taper et appuyez sur Enter pour rechercher