Israël – Palestine (5) : histoire de mémoire

 Dans Blog, Israël - Palestine

Cinquième article de cette série, sur la mémoire oubliée et réinitialisée…

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Ce matin, nous quittons la Cisjordanie et empruntons la route nationale 1 qui relie Jérusalem à Tel Aviv et à la côte. A mi-chemin de cette voie historiquement importante, il y a Emmaüs, « Imwas » en arabe, dont la visite est une expérience qui rappelle celle de deux disciples il y a bien longtemps. Notre « tour opérateur » un peu particulier a organisé pour nous une rencontre avec un membre d’une Organisation Non Gouvernementale, nommée « Zokhrot », en français « Mémoire ». Notre ami est un Palestinien ou Arabe d’Israël dont la conscience s’est réveillée après avoir été soldat dans l’armée israélienne. Il rejoint cette ONG qui se donne pour mission de remettre en mémoire des Israëliens les circonstances réelles de la création de leur Etat, circonstances que les autorités ont soigneusement effacées.

Village disparu
Ce très gros village palestinien (avec deux autres voisins, au total 6000 habitants) a été détruit en 1967 et recouvert d’un parc à la manière de ce que feraient des Européens : pins maritimes et autres essences importées, espace avec table pour pique-nique et barbecue, chemins de découverte. Mais « il n’y a pas de crime parfait », commente notre ami en pointant un fer à béton qui dépasse, et des figuiers qui repoussent de sous la couche d’oubli sous laquelle on a voulu les enfouir : ici vivaient des Palestiniens, dans une enclave de la Cisjordanie que les troupes de colons (la Haganah) avec à leur tête Itzhak Rabin n’ont pas réussi à conquérir en 1948. Il fallait donc compléter le travail 20 ans plus tard, car c’est un endroit stratégique, au mépris de la version officielle donnée aux organismes internationaux : sur les cartes, cette enclave fait partie de la Cisjordanie, mais rien sur le terrain ne permet de l’identifier. Ce territoire comme tant d’autres a été simplement annexé, ses habitants expulsés vers Ramalla ou la Jordanie avec interdiction formelle et toujours actuelle d’y revenir.

Euphémisme
Il y a quelques années l’ONG Zokhrot a demandé aux Nations Unies que soient signalés aux passants les événements qui ont marqué ce lieu : il fallut des négociations serrées pour que soit apposée une plaque où la mention des villages est noyée dans l’histoire du lieu, tour à tour romain, puis byzantin, islamique, croisé, mamelouk, ottoman, enfin britannique. Une balise indique d’ailleurs : « bains romains » là où une mosquée a été construite sur ces vestiges romains. On a creusé et retrouvé les bains … et sélectionné dans les événements ceux qui sont politiquement corrects. L’usage de l’euphémisme est aussi un modèle du genre : « il y avait ici un village jusqu’en 1967… » et la phrase continue en mentionnant des points de peu d’intérêt. Il faut vouloir fouiller l’histoire et se demander par quelle opération ce lieu est devenu un parc ? Un monument détaille les noms des donateurs pour la plupart des juifs canadiens, qui ont permis la création du parc. Certains d’entre eux, apprenant le contexte passé, ont protesté et demandé à ce que leur nom soit enlevé du monument. Mais, pas question de reconstruire le village encore moins d’y faire revenir ses habitants.

Laverie des mots
Ce lieu est une démonstration des mécanismes de désinformation que Avraham Burg a appelé « la laverie des mots » : euphémismes, demi vérités, sélection des événements…, c’est une grande opération de nettoyage du langage qui cache une vaste entreprise de nettoyage des lieux : certaines personnes, les Palestiniens ou Arabes ne sont pas admises en certains lieux « pour des raisons de sécurité »… Evidemment, puisque les Palestiniens sont tous des Arabes, les Arabes tous des musulmans, les musulmans tous des extrémistes et les extrémistes tous des terroristes. Ceci est le présupposé à l’œuvre dans l’idéologie en marche.

Regard dessillé 
Pour les touristes éclairés par « Zokhrot », cette visite fait tomber les écailles des yeux. Un soldat qui a participé à cette campagne a pris des photos qu’il a longtemps cachées. Gêné dans sa conscience, il a organisé une exposition il y a une quinzaine d’années qui pour beaucoup a écorné sérieusement l’image de leur armée. Je vois encore mon père m’expliquer devant la radio crachottante, lors de la « Guerre des six jours », que les prophéties sont en train de s’accomplir. Je sais que son regard serait dessillé comme le mien en ce moment, comme celui de beaucoup. Le Dieu auquel nous croyons n’est pas du côté de l’Etat d’Israël, pas plus qu’il ne l’était des Nazis. Et pourtant, ils brandissaient son nom sur leur ceinturon…

Daniel Goldschmidt

Photo : Ruedy NUssbaumer : notre Guide montre l’état du village avant (à g.) et après démolition.

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