PIEDS D’ARGILE

 Dans Christ Seul, Explorer

A12_2054RCe qui semble indéboulonnable s’écroule un jour, et ce qui est fort repose sur ce qui semble faible. Retournements et paradoxes.

Ce qui semble indéboulonnable s’écroule un jour, et ce qui est fort repose sur ce qui semble faible. Retournements et paradoxes.

Il est difficile, en voyant cette photo, de ne pas penser au colosse aux pieds d’argile dont parle le livre de Daniel (au chapitre 2).
La statue, que voit en songe le roi Nabuchodonosor, est composée de matériaux divers : la tête est en or, la poitrine et les bras en argent, le ventre et les cuisses en bronze, les jambes en fer et les pieds en fer et en argile (ou en céramique) (Dn 2.32-33). Un caillou tombe d’un endroit inconnu et vient frapper le point vulnérable de cette statue « immense et d’une splendeur extraordinaire » (v. 31), à savoir ses pieds, et tout l’édifice s’écroule en poussière (v. 34 et 35).

Retournement symbolique

Ce rêve rejoint un thème fréquent dans l’Ancien Testament : celui du retournement symbolique. Ce qui semble solide est fragile, celui qui se glorifie de sa force est faible, ce qui est grand devient petit, celui qui domine est dominé, le riche devient pauvre, etc. Il y a, d’ailleurs, deux chapitres plus loin, dans le livre de Daniel, un songe tout à fait parallèle : celui du grand arbre qui est abattu (Dn 4).
La statue, dont on voit un fragment ici, est de taille modeste, mais alors que la pierre dont elle est faite semble solide, on s’aperçoit qu’un bout s’en est détaché. Est-ce le fruit d’un acte de vandalisme ? Peut-être, mais il aurait fallu attaquer la pierre avec un outil extrêmement dur : une masse ou un ciseau en acier, pour le moins. Je pense plutôt à l’effet répété du gel sur la pierre : une petite fissure dans laquelle l’eau s’installe, puis gonfle sous l’effet du gel. Ensuite, la brèche s’agrandit d’année en année, jusqu’à provoquer l’explosion de la pierre.
En tout cas, je suis frappé par ce symbole de fragilité qui surgit dans cet ensemble robuste, et qui fait écho aux retournements symboliques de l’Ancien Testament.
La composition de la statue du livre de Daniel est, en elle-même, suggestive : plus on s’éloigne de la tête, moins les matériaux sont nobles. Il y a quelque chose de pourri, que l’on n’aperçoit pas depuis la tête. Les fondements sur lesquels s’appuie le pouvoir de Nabuchodonosor sont ébranlés, mais si on se limite à voir ce qui se passe en haut, autour du roi et de sa cour, on a l’impression que tout va bien. Aux niveaux inférieurs, on s’aperçoit pourtant que l’or s’est transformé en argent, en bronze et même en fer. Il faut sortir de la fascination qu’exerce la tête pour voir la situation telle qu’elle est.

Le chêne et le roseau

Mais il est rare qu’un pouvoir prestigieux cède la place sans fracas. La Fontaine l’a dit à sa manière, en usant d’une parabole que n’auraient pas désavouée les prophètes bibliques : le roseau est sensible à des vents légers que le chêne ignore superbement. Mais lorsque survient un vent violent, le roseau « plie, mais ne rompt point », tandis que le chêne est déraciné soudainement.
Certaines personnes nous apparaissent comme des rocs inébranlables, mais que se cache-t-il sous leur impassibilité ? Est-ce qu’elles serrent les dents et souffrent en silence ? Est-ce qu’elles refusent d’avouer leurs faiblesses ? Est-ce qu’elles s’illusionnent elles-mêmes sur leurs forces réelles ? Soudain, un événement, apparemment anodin, se produit et tout s’écroule.
C’est tout particulièrement le cas de ceux qui exercent des positions de pouvoir et que la situation empêche de faire état de leurs doutes et de leurs difficultés. S’ils n’ont pas eux-mêmes cette tendance, ce sont ceux qui les entourent qui leur déconseillent de se laisser aller aux confidences ou qui ne peuvent pas croire qu’ils se débattent dans de tels dilemmes. Beaucoup de personnages haut placés doivent recourir aux médicaments pour dormir ou pour, simplement, tenir le coup. Ceux qui les ont élus, ou ceux qui les ont portés à la tête d’une entreprise ou d’une administration, les voient comme des statues.

« Tout ce qui brille n’est pas or »

Pourtant, chacun a ses fissures. L’eau s’infiltre et le gel vient travailler ces fissures. Si l’on n’a pas de lieu pour s’interroger sur ces fêlures, pour les reconnaître, pour les retourner en vie et, ainsi, les dépasser, le danger guette. Au début, comme dans l’histoire de Daniel, tout va bien. Et il faut même un regard exercé pour se rendre compte que « tout ce qui brille n’est pas or ». Tout n’est pas aussi parfait que l’on pouvait le croire. Insensiblement, la situation se dégrade, mais la statue tient le coup… jusqu’au caillou minime, mais fatal, qui provoque l’explosion soudaine.
Du talon d’Achille à ceux qui nous « cassent les pieds », le pied a souvent été perçu comme un point vulnérable, chez l’être humain. Il est tout en bas de notre corps, mais il est, également, l’organe sur lequel tout repose si nous prétendons nous mettre en marche. Il rappelle tout ce que la grandeur doit à la petitesse et toute la faiblesse qui se cache sous la force.

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